Publié le 16 May 2019 - 21:17
MORTALITE SUR LES ROUTES

Retour en zones accidentogènes

 

Recrudescence ou état permanent ? Le lourd bilan des deux accidents, en début de semaine, ayant fait une douzaine de morts, rappelle que la mortalité sur la route est un phénomène qui n’est malheureusement pas prêt de disparaitre.

 

Cycliques, récurrents, répétitifs, fréquents, réguliers, calamiteux, mortels, fatals. Et manifestement pas loin d’être incurables. Les accidents de la route et leur lourd bilan macabre font reparler d’eux. En l’espace de deux jours, ce lundi et mardi, douze personnes ont trouvé la mort dans des chocs. Le premier, à Thiaroye, est l’œuvre d’un dérapage d’un camion, dont la roue s’est disloquée, ayant emporté dans son échappée macabre quatre personnes.

Le second, une collision frontale entre un minicar et un camion, survenu à Nioro, a fait 8 morts et plus d’une trentaine de blessés. Comme si le destin s’amusait à faire un clin d’œil macabre, cette série de drames survient moins d’une semaine après la tenue de la Semaine nationale de la prévention où la question a été débattue à fond, comme ça se fait chaque année. Les évaluations emblématiques du ministère des Transports terrestres sous Mansour Elimane Kane, faisaient état d’une ‘‘perte économique de 77 milliards de francs Cfa, soit 1 % du Pib’’ due aux accidents. Des statistiques que semblent conforter le rapport 2018 du Groupement national des sapeurs-pompiers (Gnsp).

La mortalité sur les routes due à des accidents est de l’ordre de 612 personnes contre 635 en 2017. Sur les 24 427 interventions et secours opérés l’année dernière, les accidents de la circulation routière viennent en tête, avec 16 373, soit 67 % (contre 16 100 en 2017). Celles-ci ont fait 27 364 victimes, dont 7 273 piétons renversés. Les dérapages suivis de renversement de véhicules, notamment ceux de transport en commun et/ou de collisions ont été très meurtriers, avec 239 décès. ‘‘Notre société est malade de la sécurité. Notre rôle de représentant du peuple nous incite à nous engager dans une campagne de sensibilisation des populations pour une meilleure prise en charge des questions de sécurité routière, porter le plaidoyer pour le respect strict du Code de la route et pour des sanctions efficaces et effectives en cas de non-respect’’, a déclaré Awa Guèye,  il y a moins de dix jours. La présidente des femmes parlementaires avait pris cet engagement, lors de la Semaine nationale de la prévention routière aux Parcelles-Assainies. Mais même à un échelon supérieur, les engagements n’ont pas réussi à éradiquer le mal.

Suite pas illogique

Sur les cinq dernières années, les accidents se sont ‘‘imposés’’ au mauvais souvenir de l’opinion. La meilleure illustration est certainement le lourd bilan du Magal de Touba : 12 morts en 2014, puis 13 l’année suivante. Et pour l’édition d’après, 16 sur les routes, selon les décomptes officiels définitifs du Groupement national des sapeurs-pompiers (Gnsp). Pour l’édition 2017, rien que le bilan d’étape avait déjà dépassé celui des trois derniers réunis : 44 morts dénombrés sur les routes dont un lourd bilan de 25 victimes pour la seule journée du lundi 6 novembre 2017 à Ndieng Diaw, près de Sagatta (Kébémer). Sept membres d’une même famille saint-louisienne ont trépassé dans ce choc. 

Ce bilan n’est toutefois pas spécifique à cette commémoration grandeur nature et s’inscrit dans le prolongement d’une série d’accidents meurtriers dont le trident est composé de Dakar et des deux autres régions qui abritent les deux plus grandes capitales confrériques du pays (Thiès et Diourbel). En 2014, les sapeurs-pompiers ont enregistré 12 547 accidents de la circulation, dont 16 ferroviaires, pour 22 441 victimes constatées, dont 433 décès. La capitale est en tête avec 5 653 accidents pour 8 225 victimes, dont 126 morts. Thiès et Diourbel, qui polarisent Tivaouane et Touba, suivent avec 3 644 accidents ayant causé 115 décès. Viennent ensuite Kaolack, Fatick et Kaffrine, pour 1 119 accidents occasionnant 61 décès.

Au bas du tableau, on retrouve Tamba et Kédougou, avec 450 accidents pour 23 morts. Une moyenne annuelle officielle qui fait mal. ‘‘Chaque année, au Sénégal, nous perdons 500 personnes sur nos routes. Le coût économique des accidents de la route est de plus de 1 % du produit intérieur brut (Pib), soit plus de 77 milliards de francs Cfa par an’’, informait le ministère des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement en octobre dernier, dans nos colonnes. En 2016, les chiffres ont fait état de 600 décès sur la route. Loin des 430 morts par accident de 2015. La moyenne mensuelle a dépassé les 22 à 25 décès en 2017.

La recrudescence de ces accidents de la route laisse penser que l’amélioration accélérée des infrastructures routières, à partir des années 2010, n’a pas contribué à diminuer ce phénomène qui continue d’emporter des citoyens. ‘‘Les accidents de la route font maintenant partie du quotidien des Sénégalais’’, de sorte qu’ils sont ‘‘devenus une banalité’’, lançait en octobre dernier le directeur du Fonds de garantie automobile, Bocar Sall, à l’ouverture de Preventica International, un forum sur la sécurité routière.

Pas de grâce pour Me Oumar Youm

Le président Macky Sall, après l’accident particulièrement horrible de décembre 2016 à Koumpentoum (13 morts, 14 blessés) suivi dans la foulée de celui de Ngaye Mékhé (8 morts), a aussitôt enjoint aux démembrements de l’Etat de s’emparer de la question avec la plus grande diligence et ‘‘la plus grande fermeté’’. En procédant au lancement de la première phase du Train express régional, au Centre international de conférences Abdou Diouf de Diamniadio, en décembre 2016, il invite les services de l’Etat, notamment la Direction des transports terrestres, les forces de police et de gendarmerie à plus de fermeté dans les contrôles routiers et techniques des véhicules. Il a ainsi exprimé toute son amertume face à ces multitudes d’accidents qui entraînent ‘’la mort d’honnêtes citoyens’’.

Pour le chef de l’Etat, ‘’la situation est grave’’. Et pour y remédier, il exhorte le gouvernement ‘’à prendre toutes les dispositions idoines’’. Ces mesures, renseigne Macky Sall, doivent concerner le ‘’contrôle technique des véhicules’’, ‘’le respect dans la délivrance des permis de conduire’’ et le ‘’contrôle permanent de la route, de jour comme de nuit’’. Le ci-devant ministre du Transport, Abdoulaye Daouda Diallo, avait touché du doigt une des principales solutions à ce problème. ‘‘La prévention, c’est dans la construction de bonnes infrastructures de transport, c’est aussi dans le changement du parc des véhicules de transport’’.

Les responsabilités sont peut-être partagées mais, de manière générale, le discours des autorités se dédouane et charge plus les usagers. Ousmane Ly, représentant du directeur des Transports routiers, à la Semaine nationale de la prévention routière, estime que ‘’92 % des accidents sont dus aux mauvais comportements des humains, notamment l’excès de vitesse, le téléphone au volant, le non-port de casque et de ceinture de sécurité’’.

Me Oumar Youm, qui est en train de prendre ses marques dans le département des Transports terrestres, n’a déjà plus de période de grâce. Il fait face à sa première grande épreuve, qui a été celle de ses prédécesseurs. En dehors de la vieillesse du parc automobile, l’application effective du permis à points acté sous son devancier, en juillet 2018, est agitée comme la panacée universelle à ce phénomène. La nouveauté pour ce document est sa généralisation à tous les types de véhicule, et l’objectif est de réduire les accidents de 35 % à l’horizon 2035. Son application rigoureuse est souhaitée par l’opinion et sa mise en œuvre calamiteuse traduit les réticences qui l’ont accompagnée depuis que l’idée a fait jour. L’adoption de ce document était agitée depuis quelques années par le gouvernement.

En janvier 2017, alors que le pays était en proie à une série d’accidents routiers mortels, le prédécesseur de M. Diallo au poste, Mansour Elimane Kane, avait déjà annoncé l’entrée en vigueur du permis à points avant la fin de cette année civile. ‘‘Nous allons mettre en œuvre le permis à points avant la fin de cette année, parce que le marché a été attribué. Et, de ce point de vue, il n’y a aucun problème’’, avait-il dit en présentant ses condoléances à une famille de victimes à Malem Hoddar. Le directeur des Transports routiers, Cheikh Oumar Gaye, a même été plus précis, puisqu’il a avait parlé de juin 2017 comme date d’entrée en vigueur de ce document. Sans plus de résultats. Le passage à l’acte, plus d’un an plus tard, a été émaillé par de vives contestations syndicales.

‘‘L’application du permis à points ne réduira pas les accidents de la circulation. Le Sénégal n’a pas besoin du permis à points pour lutter contre les accidents. Au contraire, nous voulons que l’Etat, qui délivre les permis de conduire, prenne la responsabilité et les délivrent à ceux qui le méritent. Mais également qu’il prenne des engagements pour construire de bonnes routes’’, déclarait à cet effet le secrétaire général de l’Union des transporteurs routiers du Sénégal, Gora Khouma, juste après l’adoption de la loi.

OUSMANE LAYE DIOP

 

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