Publié le 27 Mar 2015 - 21:53
MOTS CHOISIS

‘’le terroriste noir’’ thierno monenembo 

 

Parce qu’un devin Bambara avait marché des milliers  de kilomètres  depuis Ségou pour  dire au Peul sa prédiction,  qu’il  il en fut ainsi.

Addi Bâ, cet enfant de Pelli Foulatabé, un hameau situé à un battement d’aile de Bomboli dans cette Guinée Française était devenu vosgien par la guerre, Langeais par adoption parce que Maurice Maréchal, percepteur aux impôts de Conakry l’avait amené avec lui à la fin de sa mission alors qu’il n’avait que treize ans.  Le devin  avait dit au  père que l’âme de  son fils est tatouée par les dieux et qu’il fera parler de lui, loin d’ici, au pays des Blancs où il vivra sa vraie vie et où il la perdra.

Romaincourt, ce village vosgien n’a pas oublié Addi Bâ et aujourd’hui en sa mémoire, décide de baptiser une rue au nom de ce Guinéen sorti des tranchées de la guerre. Pourtant, dans cette localité conservatrice, les rues ont toujours porté des noms d’Ecole ou d’Eglise. La rue Addi Bâ parle ici mieux que toute autre appellation parce que c’est à Romaincourt qu’il a vraiment vécu  et c’est pour Romaincourt qu’il est mort. Il fait partie de la mémoire, il est la mémoire de ce village.

Mais comment Addi Bâ est-il devenu  le héros, la mémoire de Romaincourt, ce village vosgien ancré dans les vieux principes : la famille, le travail, la potaye et l’ennui ?

La Germaine Tergoresse, adolescente à l’époque chez qui il se faisait laver son linge et accomplissait ses menus besoins, âgée aujourd’hui de quatre vingt ans, raconte au neveu du sergent Addi Bâ venu spécialement de la Guinée pour la cérémonie  la glorieuse histoire de son oncle. Elle lui fit savoir que  La Libération l’avait honteusement écarté parce qu’il était Noir et lorsqu’il fut acquis soixante plus tard que des honneurs lui reviennent de droit, commença alors le travail de mémoire pour retrouver ses parents afin qu’ils assistent à la cérémonie. Voilà quelqu’un qui, à un moment où sa race passait pour la plus vile de l’humanité, a réussi à s’imposer sur tout un canton de France lui dit-elle encore.

Elle nous apprend que ce sont les Valdenaire, une famille de ce hameau,  qui le virent la première fois. Il venait de s’évader d’une garnison de Neufchâteau et cette rencontre fut le début de tout. Il était apparu avec sa petite taille, son teint de ricin, son nez de gamin, ses yeux de chat, ses habits de tirailleur, tâchés de sueur et de boue. Avant son arrivée, personne n’avait jamais vu de Nègre à Romaincourt. A l’époque, personne n’imaginait  aussi qu’il allait bouleverser la vie de village et marquer pour de bon son histoire après seulement trois années de séjour.

Les Valdenaire : Hubert le mari, Yollande sa femme et leur fils Etienne vont le recueillir malgré la désapprobation du chef de famille. Yollande l’installa dans l’appartement qui lui était dédié en tant que directrice de l’école et qu’elle n’avait  jamais occupé et lui porta assistance à l’insu de son mari qui ne voyait pas d’un bon œil la présence de ce nègre dans leur périmètre en cette période de pleine guerre.

Le temps passant, il s’accoutuma à la vie du village. Il était là, dans les communions, les baptêmes, les Noël et les Saint-Nicolas et avait tissé cette corde inusable qui le lie encore à cette terre. C’est dans ces fêtes familiales qu’il avait noué des alliances et inspiré confiance au plus grand nombre. Il devint Romaincourtien et on l’appelait « le nègre » quand il n’était pas là et simplement « monsieur » quand on se trouvait en face de lui. .

A l’époque, la France avait cessé d’être une république pour devenir une petite chose quelconque et clandestine parce que sous le joug allemand.

C’est à cette période, en 1942 qu’il entre en contact avec la Résistance et crée le premier maquis des Vosges, le maquis de la Délivrance. Il refusait la Débâcle  et songeait aller à  Londres rejoindre la France Libre. C’était lui l’inconnu sorti des forêts d’Afrique qui voulut se battre alors que les blancs avaient  jeté les armes, avaient pactisé avec l’ennemi.  Drôle de situation : des nègres résistants, des Français traitres à la patrie, des collabos quoi. Avec son groupe, il organisa la résistance dans les Vosges, en parfaite intelligence avec Londres, avec Yollande, les jeunes Bertrand,  Cyprien, Armand….Les Allemands le surnommèrent « le terroriste noir ».

C’est suite à un incident survenu avec une montre en or pris chez un des prisonniers russes envoyés en  éclaireurs par les Allemands que Addi Bâ préféra donner à Bertrand alors que Armand la voulait que  tout se précipita en cauchemar…..

Il alla rejoindre ses autres camarades du 12ème régiment des tirailleurs sénégalais, Kamara Moussa, Farara Dantillah,  Moriba Doumbia, Moussa Diallo, Fodé Soumah, Magaria Niger…, tous morts pour la France

Qui a trahi Addi Bâ ? Une de ses nombreuses amantes parce qu’il était un bourreau des cœurs, il aimait les femmes et elles le lui rendaient bien. Il était jeune, vigoureux, élégant et la guerre avait rendu une foultitude de femmes esseulées telle Asmodée cette femme fatale ? Un collabo professionnel ? Ou tout simplement la rivalité opposant les Tergoresse et les Rapenne, cette famille cousine et ennemie de celle  de la Germaine ?

De toute façon, c’est parce qu’il était noir, que ce combattant de la France libre n’a reçu la médaille de la Résistance qu’en 2003, soit 60 ans après son exécution.

Léopold Sédar Senghor avait raison d’écrire :

« On fleurit les tombes, on réchauffe le Soldat inconnu,

Vous, mes frères obscurs, personne ne vous nomme. »

La Germaine  apprend au neveu que c’est l’Etienne qui l’a découvert, c’est la Pinéguette partie maintenant de ce voyage dont on ne revient plus  qui se prenait  pour sa fille mais c’est elle qui la connaissait le mieux parce qu’il était de sa famille, les Tergoresse.  Elle  lui remet un paquet où elle avait soigneusement gardé son uniforme, ses photos, ses lettres et son Coran, tout ce qui était précieux pour Addi Bâ qu’elle avait subrepticement emporté de la chambre du sergent lorsque les Allemands l’arrêtèrent..

Aussi, lui dit -t-elle que quand les Allemands l’ont fusillé, les Romarcourtains n’avaient pas perdu un Nègre des colonies tombé en s’échappant des bois, mais un frère, un cousin, un élément essentiel du clan, du même sang qu’eux.

Un roman croustillant où la Germaine, comme toutes les vieilles, revisite sa mémoire dans un désordre total pour nous rappeler tous les faits qui ont rythmé la vie de ce village vosgien qu’est Romaincourt. Des anecdotes inédites à déguster, des histoires drôles et pleines de sagesse à découvrir avec Huguette, Yollande, nonon Totor  dont la Germaine nous dit qu’avec Addi Bâ, ils formaient la paire la plus incroyable jamais vue à Romaincourt : lui le musulman, le fier Africain plein d’élégance et de retenue et, l’autre, le bon Vosgien amoureux de la cochonnaille, de gnole, de pêche à la ligne et de grasses plaisanteries.. Tout  comme ce Colonel Melun, un ancien d’Indochine qui avait décidé de consacrer sa vie de retraité pour réparer ce qu’il appelait « l’ignoble tort fait aux tirailleurs ».

Elle nous dit aussi que la mosquée de Paris fut un haut lieu de résistance qui a abrité un nombre important de juifs, se rappelant aussi les oignons que Addi Bâ lui demandait souvent d’y déposer à chaque fois qu’elle partait à Paris  et juste dix , pas plus. Elle se demandait souvent comment dix  oignons pourraient suffire à la mosquée quoiqu’Addi Bâ lui eût dit que c’était une coutume chez eux d’offrir des oignons à la mosquée et que cela favorise les bénédictions divines… La Germaine découvrit plus tard que les oignons représentaient l’un des principaux canaux de communication de la résistance et la méthode était simple : il suffisait d’écrire son message sur du papier cigarette et de le glisser soigneusement entre les peaux d’un oignon….

Pour ce roman, je dirai simplement MERCI à  ce grand écrivain guinéen Thierno Monénembo de  nous faire rire et pleurer tout en rendant hommage aux oubliés de l’Histoire. Ce roman est un monument à visiter…..

Ameth GUISSE

amathguise@yahoo.fr

 

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