Publié le 7 Apr 2018 - 08:24
MOTS CHOISIS

Anissa Corto de Yann Moix Editions  Grasset

 

Il est dit que "la chance est un maigre hasard" et c'est ce hasard qui m'a fait rencontrer Yann Moix au lendemain de la mort de Michael Jackson, par un texte sublime qu'il avait publié dans « Le Figaro », expliquant comment l'artiste, toute sa vie durant, a été un homme à l'envers. On commence à être enfant pour ensuite devenir adulte, mais que la star lui, a été privée d'enfance par un père plutôt homme d'affaire si bien qu'il avait fini par différer cet âge. Le «moonwalk», cette danse qui est une révolution, qui est d'avancer vers le révolu, avancer vers l'arrière, symbolise toute son évolution. Devenu adulte et célèbre, il a voulu retrouver cet âge d'or qu'est l'enfance pour jouer et rire.... Ce texte si tendre,  avait suscité en moi une telle compassion que je finis par adopter l’artiste, mais aussi, me révéla un homme de lettres à l'écriture si fine et si dense à la fois.

Le hasard encore a mis entre mes mains, ces jours-ci, un de ses romans, " Anissa Corto" publié par les Editons Grasset - 283 pages. Texte magistralement écrit qui dévoile toute la sensibilité de l'auteur et son côté iconoclaste.

Par "Anissa Corto", on aura compris que l'amour n'existe que comme perspective et jamais comme réalisation et cela est apparu à l'auteur en ce 21 juillet 1972, alors que le monde n'avait que quatre ans (il est né en 1968). Cette petite fille aux cheveux noirs morte dans l'eau, qu'il ne connaissait pas, va demeurer son amour éternel qu'il cherchera en toutes les femmes. Cet amour imaginaire est désormais nommé Anissa Corto et l'auteur vit cette liaison d'une manière si intense pour ressusciter une rose trop tôt fanée.

Alors, l'on se demanderait "par quelle aberration le cœur sait-il s'infliger, pour la durée d'une vie humaine, la passion d'un visage unique et d'un unique souffle. Peut-être que vouloir un corps, c'est épouser un avenir et déjà, il entrevoyait cette fillette heureuse à vingt ans, serrant sa main devant Dieu, revêtue de blanc et habillée de son nom". Les rêves d'amour sont fous et lui permettent lui aussi "d'avancer vers l'arrière".

Il entretient l'amour par le souvenir-perspective et le drame de cette petite fille morte dans l'eau, cette "Anne régulière dans sa beauté comme la couleur jaune dans sa définition, unirait hier et demain dans la perpétuité de sa terre". Ses obsèques et son enterrement resteront un tourment car il est révoltant de voir "la terre fumante se régaler d'une jeunesse impossible", un jeune cercueil conserver les cris d'une personne dédiée à l'avenir et voir des lèvres qui n'embrasseraient plus les garçons, mais seulement "un ciel cloué".

Anne est désormais soustraite à l'ensemble, mais en terme de fillettes, la race humaine a de la marge et aujourd'hui, le monde entier a trente ans et le prénom de Anne cherche un sourire où se poser, un souvenir où habiter comme ce poème à son adresse :

"Une petite belle m'avait donné un peu d'amour

Elle est partie dans les orties pourrir sans fin

Juré craché qu'elle m'épouserait pour toujours

Elle est morte la nuit, j'étais seul au matin"

Il cherchera à se guérir en admettant qu'on n’aime jamais au singulier et qu'une femme conjugue toutes les femmes, à tous les modes et à tous les temps et, pour ce faire, convoque François Truffaut qui s'attaque aux mollets des femmes parce que « leurs jambes sont des compas qui arpentent le globe terrestre en tous sens, lui donnant son équilibre et son harmonie », avec ce film culte des années 76, "L'homme qui aimait les femmes" (Nous faisions la queue au cinéma Vox de Rufisque pour voir ce film magistralement interprété par Charles Denner). On comprend aujourd'hui que c'était une manière de se guérir de l'amour.

Alors, sachant qu'il faut marcher longtemps pour rencontrer son destin, Porte de Clignancourt, une femme aux cheveux noirs se promenait dans la foule. La figure inventée dans les nuits de l'auteur, coïncida avec le visage dévoilé. Celle-là est la femme de sa vie : Anissa Corto.

Là, nous aurons compris que "l’amour déborde dans le passé et que la rencontre de l'être aimé n'est que la concrétisation, la forme vivante d'un amour commencé avant, et qui n'attendait plus qu'un corps précis pour se constituer prisonnier".

Ici, tous les souvenirs des années passées reviennent : Mike Brant chantait "Dis-lui", Joe Dassin "l'Eté Indien" et, Christophe " Les Mots Bleus", chanson admirable…

Depuis toutes ces années-là, il avait aimé Anissa Corto qui maintenant, habite son quartier. Et dès lors, ses errances dans le coin n'avaient pour destinations que de "corriger les erreurs de l'imagination, les approximations de la mémoire par l'extrême fraîcheur du souvenir rapporté". L'amour, c'est un visage ; un seul et unique visage.

Anissa Corto, ce prénom et ce nom contenait une formule magique à l'exotisme obscur : anissacorto, la "rebeu de Clignancourt" que le héros cherchera à rencontrer par tous les moyens avec cette peur de lui révéler son amour si bien qu'il est dans l'indifférence, n'occupant aucune importance chez elle, n'être qu'un "sol dièse dans la Cinquième Symphonie" de Beethoven…

Ainsi, et à défaut de conquérir l'être rêvé, on cherche à cohabiter avec son ombre, à chercher les traces de son passage quelque part, à connaître son parfum pour embaumer le futur. L'appartement d’Anissa Corto est désormais occupé par le héros qui y avait aménagé sitôt que celle-ci eut déménagé dans un autre appartement du quartier. Décidément, l'amour rend fou ! Et le héros habite avec une femme qui n'habite plus là.

Dès lors, le mécanisme de la jalousie commence à fonctionner, imaginant qu'Anissa Corto a un mec. Ce fut une réalité et alors, elle devint une « collection désagréable des héritages légués par les amoureux qu'elle avait eus ». Il la scrutait de loin, le regardait répondre au téléphone, et "les déambulations aléatoires et mécaniques d'Anissa Corto n'obéissaient qu'aux intonations de cette voie surgie de nulle part", et l'envie de la bousculer et de lui arracher le téléphone l'habitait. Il comprit alors que le bonheur se faisait sans lui.

Il laissa sa jalousie suivre sa pente naturelle...

L'amour rêvé, sublimé et non reçu, devient fou et sa folie s'amplifie pour entrer dans son sens clinique dans lequel entre la terreur. Finalement, Anissa Corto, la plus grande difficulté de l'existence du héros, est débarrassée de la vie par son fol amoureux pour qu'elle continue à vivre là où elle a toujours vécu : dans son esprit et rejoindre ainsi Anne.

Alors "Anissa Corto, désertée par la vie, inanimée, reste seule face au silence. Enfin, ce poème en mémorial :

"Elle avait fait l'amour, avait connu l'instant

Passager, dangereux, infini, volatil,

Où la chair est ivre de la chair de l'amant

Et la bouche remplie de discours inutiles.

.....

Combien sont restés, à l'aimer sans avenir,

Tandis qu'elle en riait, apprêtée au hasard,

Pour passer cette nuit à vomir des soupirs

Sur un corps anonyme embrassé dans le noir ?"

Anne n'a été qu'un souvenir et Anissa ne fut qu'un nom...

Roman magnifique où Yann Moix nous décrit l’amour passion, cet amour qui rend fou parce que possessif, cet amour qui fait peur et tout ceci, dans un style qui lui est propre où les mots s’emboîtent avec une  justesse  extraordinaire.

Yann Moix est lauréat du Goncourt du premier roman avec « Jubilations vers le ciel » (1996),

et Prix Renaudot 2013 pour son roman « Naissance », un pavé de plus de 1100 pages !!!

Depuis la rentrée audiovisuelle 2015 (samedi dernier), il est chroniqueur dans l'émission « On n'est pas couché », sur France 2  où il a remplacé Ayméric Caron.

Ameth GUISSE

 

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