Publié le 16 Apr 2017 - 21:30
MOTS CHOISIS

Le monde est mon langage 

 

Alain Mabanckou - Editions Grasset 

« Le monde est mon langage », un livre qui pourrait aussi s’intituler « Rencontres littéraires » ou « Résidences d’écriture » tellement l’auteur nous promène dans différentes contrées, nous parle de ses rencontres avec des hommes et des femmes de lettres, des lieux qui l’ont fortement marqué et inspiré.

Alain Mabanckou est un amoureux de la langue française et nous étale tout au long des 320 pages sa vaste culture littéraire qui apparait ici comme un guide pour les écrivains africains, une manière de faire comprendre aux uns et aux autres qu’il faut beaucoup lire si l’on veut écrire…C’est le seul secret.

Un livre, une galerie de portraits dans un voyage autour du monde.

Ils se nomment Jean Marie Gustave Le Clezio, Dany Laferrière, Edouard Glissant, Douglas Kennedy, Henry Lopez, Bessora, Aminata Sow FALL…, d’illustres hommes et femmes de lettres disséminés à travers le monde, Paris, Nouvelle-Orléans, Martinique, Montréal, Londres, Brazaville, Alger, Le Caire, Congo, Pointe à Pitre, Bruxelles, Buenos Aires, Marrakech, Cuba, Californie, Pointe-Noire, Dakar, Madagascar, Port-Au-Prince, Douala, Libreville, Conakry, Genève…et enfin Château Rouge.

De ses discussions avec ces différents hommes et femmes de lettres, Alain Mabanckou nous offre sa passion des livres avec une générosité débordante, un goût du partage. Parce qu’il n’est pas l’écrivain d’un pays mais citoyen du monde et qu’il écrit dans différents continents que ce monde est devenu son langage. Il a compris que « ce qui fonde et nourrit une littérature est l’expérience née de la multiplication des rencontres. »

Ce livre, non seulement est admirablement bien écrit mais nous révèle des sources intéressantes. Moi qui suis si admiratif de son roman « Verre Cassé » et qui croyais jusque-là que le personnage était de Pointe-Noire et que le bar en question s’appelle bien « Le crédit a voyagé », découvre à travers ce roman que le personnage de « Verre Cassé » est inspiré d’un pianiste doualais qui jouait toujours à contre-courant, des notes persistantes et fausses dans un cabaret de Douala et que le « Crédit a voyagé » a été emprunté à une inscription figurant sur une pancarte dudit cabaret. Le monde est vraiment son langage !!!

Ce livre est aussi un hommage à un des plus grands écrivains africains Sony Labou Tansi, très tôt parti et qui avait aiguillonné le jeune Alain Mabanckou alors étudiant à Brazzaville.  Pour l’auteur, son roman « La vie et demie » avec celui d’Ahmadou Kourouma « Soleil des indépendances »  et celui du Malien Yambo Ouologuem  « Devoir de violence » (formidable livre d’une écriture puissante, premier roman africain lauréat du Prix Renaudot en 1968), sont les plus marquants dans la littérature africaine d’expression française.

Mon coup de cœur va à cet autre hommage rendu à  « L’enfant noir » de Camara Laye. Un livre qui nous a accompagnés dans notre jeunesse et qu’on se délecte toujours en le relisant. Un livre qui nous parle si simplement et si tendrement,  décrivant l’amour d’un jeune garçon pour sa mère, le secret de la fusion de l’or dans la forge de son père, le totem du serpent noir, son amour pour Marie avec toute la pudeur qui caractérise leurs relations, le départ pour la France avec la carte du métro dans sa poche… « L’enfant noir » nous parlait de l’Afrique tout simplement à l’époque où la littérature était plutôt engagée et relayait certains combats des intellectuels africains. Et Alain Mabanckou nous rappelle les diatribes de l’écrivain camerounais Mongo Beti qui signait aussi Eza Boto contre Camara Laye oubliant que ce dernier avait aussi payé son tribut…

Pour nous autres, « L’enfant noir » de Camara Laye et « L’aventure ambiguë » de Cheikh Hamidou Kane demeurent des classiques qui ne portent l’empreinte d’aucune ride…

Avec « Le monde est mon langage », l’écrivain professeur, Prix Renaudot avec son roman « Mémoires de porc-épic »  nous promène dans un monde où la littérature est un langage et cimente notre appartenance à une langue que nous avons en partage. Qui plus est, il nous fait rencontrer des auteurs à découvrir…, des personnages hauts en couleurs tel Jocelyn le Bachelor, le styliste congolais connu à Château Rouge, figure emblématique de la SAPE (Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes). Mais qu’est-ce qu’il vient faire dans ce livre dédié à la littérature se demanderont sûrement certains ? Tout simplement parce que lui se considère comme un personnage de roman et souhaiterait figurer dans un des romans, ce qui sera pour lui le summum de la postérité, mieux qu’une station métro à son nom !

Ca y est M. Jocelyn le Bachelor,  Alain Mabanckou vous a rendu immortel !!!

Enfin et en Post-Scriptum, l’auteur nous parle des trois livres qu’il emporterait sur une ile déserte…. En premier, il pense à Albert Cohen « Le livre de ma mère » (Moi aussi j’aurais pensé à Albert Cohen, mais à son autre roman « Belle du Seigneur », magnifique ouvrage !!!). Avec ce choix, il nous révèle encore à quel point la disparition de sa mère en son absence continue de le marquer. Je me rends compte que même « Lumières sur Pointe-Noire » ne lui a permis de faire complètement son deuil…. 

Aussi emporterait-il des « Souris et des hommes » de John Steinbeck et enfin « Pas de lettre pour le Colonel » de Gabriel Garça Marquez.

« Le monde est mon langage », un livre à lire absolument !!!

Ameth GUISSE

 

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