Publié le 28 Mar 2012 - 08:36
MOUHAMADOU MBODJI (COORDONNATEUR DU FORUM CIVIL)

«Soutenir Macky ne vous donne pas droit à son mandat»

 

Le coordonnateur du Forum civil évoque dans cet entretien, les premiers chantiers de Macky Sall, la cohabitation avec les coalitions qui l'on soutenu au second tour et les questions liées à la corruption, à la mal gouvernance et aux sanctions attendues.

 

 

Cette présidentielle est un plébiscite pour Macky, un rejet de Wade ou les deux, selon vous ?

 

C'est les deux. On a voulu fortement voter contre Wade et Macky était l'instrument le plus efficace. Celui qui a le plus travaillé. Il faut éviter de nier son mérite. Il a travaillé pendant longtemps pour arriver à ce résultat. Il y a un autre élément d'enseignement. Le peuple a enjambé deux générations qui étaient là depuis 1960. C'est une mise à la retraite politique. Il faut que les gens le comprennent comme cela. Il ne faut pas qu'on essaie de revenir par des gouvernements élargis. Il faut respecter cette volonté. Je prends tous les segments qui étaient dans les Assises, on leur avait demandé de prendre un seul candidat. Ils ont dit que ce n'était pas possible ; que chacun devait tester sa chance. Ils ont échoué, il faut qu'ils en tirent les conséquences. Il ne faut pas qu'ils se redéploient au nom du soutien de Macky, au second tour. Ils avaient fait appel au peuple en 2008. Le peuple les a rejoints dans les consultations citoyennes. Ce même peuple les a poussés dans les élections locales où il les a repositionnés autour de 169 collectivités locales. Pour la présidentielle, on leur a demandé d'aller autour d'une candidature unique et d'une transition. Ils ont refusé. Ils ont fait d'autres choix stratégiques et électorales. Ils ont perdu. Il faut qu'ils en tirent toutes les conséquences politiques, et courageusement.

 

 

Donc, vous êtes contre un gouvernement élargi à toute la classe politique.

 

Macky a été élu par le peuple, pas par les appareils de parti. Ces appareils se sont présentés au premier tour. Ils ont été écartés par le peuple. C'est un rejet. Il faut qu'ils expliquent aux Sénégalais comment Tanor, Niasse, Ibrahima Fall, Cheikh Bamba Dièye, Macky Sall qui sont issus des Assises n'ont pas pu s'entendre sur une candidature. Il faut respecter le suffrage des Sénégalais. Au premier tour, ils ont choisi Macky et Wade. Au second tour, ils ont choisi Macky. Soutenir Macky ne vous donne pas droit à son mandat. Maintenant, Macky peut avoir une stratégie d'ouverture. Il faudrait que ces gens nous expliquent comment cinq candidats du peuple des Assises n'ont pas pu s'entendre pour aller ensemble. Et que subitement Macky gagne, ils veulent s'entendre sur un gouvernement. Qu'est-ce qui a changé ? C'est l'attrait des postes dans le gouvernement ou bien il fallait donner une possibilité historique aux Sénégalais de faire prévaloir les idées des Assises nationales. Cela est inacceptable. Des candidats ont travaillé contre les Assises. Je pourrais citer des noms. Ces gens-là je n'ai pas compris qu'entre les deux tours, ils soient allés signer la charte des Assises.

 

 

Il s'agit de qui ?

 

Non je m'en limite à ça. Il faut que la classe politique soit plus responsable, aussi responsable que le peuple. On ne peut pas décrier une démarche et au final, venir dire, sans aucune explication: ''Je suis dans la charte des Assises''.

 

 

Comme en 2000, on risque d'avoir un gouvernement hétéroclite, du moins pour un certain temps. Pensez-vous que le divorce qui est intervenu avec Wade puisse se reproduire ?

 

Il faut éviter le syndrome du gouvernement ''car rapide'' où tout le monde rentre. Il faut une cohérence. Les gens à qui le peuple a fait confiance, qu'ils gouvernent. Les autres restent dans l'opposition. Qu'ils préparent les législatives et la gouvernance sera rendue propre. Que ce ne soit pas une affaire de partage de gâteau. Il y a des gens qui n'ont pas eu 10 000 voix, cela veut dire que le peuple ne les prend pas au sérieux. Qu'ils aillent tester leur popularité dans les législatives.

 

 

Le Forum civil a fait de la lutte contre la corruption et la mal gouvernance, son cheval de bataille. Dans ce domaine, qu'attendez-vous de Macky Sall, par rapport au passif du régime libéral ?

 

C'est le dossier test. Si Macky réussit cela, il sera sur la bonne voie. S'il passe à côté, il faut commencer à le combattre.

 

 

Qu'entendez-vous par réussite ?

 

Mais, la marque déposée de la gouvernance de Wade, c'est la corruption. Chacun peut le documenter : scandales financiers, corruption, mal gouvernance financière, dépassements budgétaires, la valise de Segura. On peut donner les aspects les plus scandaleux. Macky dit qu'il veut rompre avec tout cela. Le premier chantier pour manifester cette volonté, c'est la corruption.

 

 

Et comment ?

 

En changeant les règles de la corruption, en inventant de nouvelles institutions plus aptes à mener ce combat. Avec la commission de lutte contre la corruption, ce n'est pas la qualité des hommes qui l'animent qui fait défaut. Elle a été créée en 2004, cela fait 08 ans et jamais le Sénégal n'a été aussi mal classé dans tous les outils. Notamment, l'indice de Transparency de perception de la corruption. Il y a des éléments factuels pour analyser tout cela. Dans son programme, Macky Sall dit qu'il va laisser la commission et renforcer quelques uns de ses pouvoirs. Nous sommes pour une évaluation de ce que la commission a fait pendant 08 ans. Deuxièmement, il faut lutter contre les contre-valeurs qui ont accompagné l'émergence de ce système. Le fait que dans l'esprit des citoyens, les raccourcis sont plus payants. Il n'y a pas d’éthique. Il n'y a pas d'intégrité. On peut voler et s'échapper. C'est la question de l'impunité. Il faut une réforme au niveau judiciaire. Il faut des valeurs. Il faut renforcer le système de contrôle. La Centif a transmis 80 dossiers au juge, seuls 09 ont été traités. Il y a un ministre qui a fait des changes autour de 53 milliards d'euros. On a arrêté le cambiste, on l'a libéré. Donc, il s'agira de poser des actes. Si Macky Sall est capable d'emballer la machine autour de ces questions, les Sénégalais le suivront.

 

 

Sinon ?

 

Si on évite ces questions, les gens comprendront le message qui est derrière. Quid des audits de l'Anoci, du Fesman, qu'est-ce qu'il faut faire de tout cela ? La régulation de la commande publique. Il faut ramener le code des marchés, affaibli par Wade, à sa dimension de 2007-2009 qui avait permis l'économie de 252 milliards de francs CFA, selon les propos du Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye. Et il faut dégager les textes qui organisent la commande publique du champ réglementaire pour les mettre au niveau du Législatif, pour éviter les tripatouillages. Macky a fait la proposition de dégager l'IGE de la Présidence, de renforcer les moyens de la Cour des Comptes, ce sont d'excellentes choses. Cela permettrait l'économie de beaucoup d'argent, une amélioration de l'efficacité du service public, en direction des pauvres qu'il veut défendre, plus que la baisse des denrées de première nécessité. Abdoulaye Seck, économiste de l'université, nous dit qu'un point perdu par le Sénégal sur l'indice de perception de la corruption équivaut à un point de croissance perdu. En terme de valeur absolu, cela équivaut à quelques 380 milliards de FCFA perdus par année. De 2007 à 2011, il faut multiplier ce chiffre par 4. Donc, l'argent qu'on veut chercher en réduisant le train de vie de l'État, il est niché dans la lutte contre la corruption. Si Macky veut redistribuer des ressources, il faut les trouver. L'argent que les gens ont volé pendant 12 ans et planqué dans des banques. Le Sénégal a ratifié la Convention des Nations Unies contre la corruption et celle de l'Union africaine. Il existe des dispositions, sur le plan juridique, pour aller le chercher. Je rappelle qu'Olesegun Obasanjo, après la mort de Sani Abacha, a évoqué la coopération entre le Nord et le Sud et a pu ramener 3 000 millions de dollars réinvestis dans les secteurs de la santé et de l'éducation. Il y a là une piste de travail sérieuse. Elle est même plus forte que les tentatives pour réduire les institutions afin de s'attaquer à la baisse des denrées de première nécessité.

 

 

Quand Macky dit qu'il n'y aura pas de chasse aux sorcières, faut-il comprendre que tous les péchés seront absous ?

 

Non, je l'ai bien réécouté, il l'a bien expliqué. Il dit qu'il n'y aura pas de singularisation. Je lui propose de changer de terme. Il dit : ''Je ne vais pas attaquer l'Anoci ou un autre, c'est la République impersonnelle et aveugle qui va fonctionner''. J'apprécie ses propos. Il faut laisser la loi fonctionner, c'est ce qu'il dit. Mais, il l'a dit avec une formule qui a suscité des commentaires.

 

 

Le Forum civil et la société civile ont, jusqu'ici, joué un rôle de vigie. Quelle va être leur posture pour éviter que Macky ne tombe dans les même travers que Wade ?

 

Il faut qu'il cale sa feuille de route sur les engagements pris devant les citoyens. Autrement dit, il faut qu'il se laisse plus enfermer par les engagements pris devant les citoyens que par ceux pris avec les appareils politiques. L'engagement des citoyens, c'est de délivrer un service public de qualité. S'il peut allier cela avec les engagements pris avec les appareils politiques, c'est bien. Il lui faut également une démarche inclusive. Il faut évaluer la situation existante, faire l'état des lieux. Il peut découvrir un gouffre financier. Cela va diminuer ses prétentions. Donc, une démarche de prudence, de participation et d'ouverture. Il faut de la transparence. Ce qu'il va apprendre des résultats des audits, il doit le révéler au peuple. Wade a refusé de le faire en 2000. Il faut une loi sur l'accès à l'information du grand public, comme le postule l'article 8 de la Constitution, le dernier alinéa. La société civile et les parlementaires y ont travaillé. Il faut qu'il reçoive cette loi. S'il veut l'amender, qu'il l'amende, mais qu'il la fasse prendre par l'Assemblée. Et que tous les éléments qui tourneront autour de sa gouvernance, soient rendus publics.

 

 

Quelles seront, selon vous, les premiers chantiers du nouveau président ?

 

C'est l'état des lieux, les finances publiques, le legs, la dette. Ensuite, le dossier de la corruption. Parce que cela va permettre de restaurer la confiance des citoyens dans la marche de nos institutions. Il faut faire les états généraux de la justice, combinés à sa volonté de baisser les prix des denrées de première nécessité. La campagne agricole : il y a 1 000 000 de paysans qui vivent dans la disette. Il faut régler la question de l'université, la grève dans le secondaire, préparer la prochaine campagne électorale et la Casamance. Voilà un bon paquet pour 2012. Maintenant, les réformes de fond comme la Constitution, il peut mettre des équipes de travail dessus et un échéancier. Il ne faut pas qu'il s'engouffre dans ce débat tout de suite. Les gens doivent l'accompagner mais de façon critique.

 

GASTON COLY

 

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