Publié le 10 Sep 2017 - 02:24
MOUSSA DIAW (ENSEIGNANT CHERCHEUR DE SCIENCE-PO A L’UGB

‘’Je suis un peu déçu’’

 

Enseignant en science politique à l’Université Gaston Berger, Moussa Diaw apporte son analyse sur le nouveau gouvernement de Macky Sall. Selon lui, le chef de l’Etat n’a pas répondu aux attentes des Sénégalais qui espéraient des changements plus profonds.

 

Le nouveau gouvernement de Macky Sall a été dévoilé. Quelle lecture en faites-vous ?

Il y avait beaucoup d’attente. D’autant plus que Mahammed Boun Abdallah Dionne avait mis du temps avant de démissionner. Nous avons tenu les élections le 30 juillet. Depuis lors, le peuple attendait impatiemment son nouveau gouvernement. Personnellement, je m’attendais à de grands changements. Je m’attendais à un gouvernement de combat et d’espoir, mais non à un simple jeu des chaises musicales. De ce point de vue, je suis un peu déçu. J’espérais un vrai déclic. Qu’il y ait, par exemple, un nouveau Premier ministre. Que Moustapha Niasse se retrouve, pourquoi pas, conseiller du président de la République, qu’il y ait de nouvelles fortes personnalités qui viennent renforcer le gouvernement. Cela allait susciter l’espoir.

C’est important, dans ce genre de contexte, que le peuple sente qu’il existe une volonté de renouvellement, une nouvelle vision du chef. Malheureusement, tel n’a pas été le cas. On a juste assisté à un changement de forme, alors qu’on attendait un changement en profondeur.

Pourquoi un tel choix, selon vous ?

Je pense que le temps a joué en sa défaveur. Le temps de la politique est, en effet, très court. Peut-être que le chef de l’Etat n’a pas voulu prendre trop de risques. Quand on choisit des nouveaux, il faut qu’ils s’adaptent, alors qu’il y a un besoin urgent de produire des résultats. C’est peut-être ce qui justifie son choix de continuer avec presque les mêmes hommes. Il y a aussi les exigences des alliés. Les marges de manœuvre du président sont très étroites, parce que l’échéance n’est pas très lointaine. 2019 c’est demain. Et il a une obligation de résultats.

Qu’est-ce qui peut expliquer, selon vous, les départs de Mankeur Ndiaye et d’Awa Marie Coll Seck ?

J’avoue que j’ai été surpris par ces départs. Certains ont avancé un manque d’engagement politique. Je pense que ce n’est pas une justification valable. D’autant plus que Mankeur Ndiaye, par exemple, s’était dernièrement montré très engagé sur le plan politique. Et d’ailleurs, son camp a été victorieux dans son département Dagana. Mais, quoi qu’il en soit, je ne pense pas qu’on doit exclure un ministre juste parce qu’il manque d’engagement politique. C’est vrai que l’idéal, pour un chef d’Etat, est d’avoir des hommes qui sont compétents et qui ont une légitimité politique. Mais quand on a un ministre loyal et qui fait des résultats appréciés de tous, je pense qu’on doit pouvoir le maintenir. Pour Mankeur Ndiaye, il a fait montre d’un engagement sans faille, d’une loyauté indéniable. Et sur le  plan des résultats, on ne peut rien lui reprocher. Il a fait d’excellents résultats.

Certes, dernièrement, il y a eu quelques errements dans notre diplomatie. C’est le cas, notamment, pour l’élection du président de la Commission de l’Union africaine. Mais ce sont des échecs qui ne lui sont pas imputables. Mankeur exécutait les orientations définies par le chef de l’Etat. Et dans ces questions, ce sont des problèmes de choix qui se sont posées. Maintenant, son remplaçant Sidiki Kaba, il connait bien les rouages des gouvernements. En tant que droit de l’hommiste, il est bien introduit dans le milieu. Sauf qu’il n’est pas un diplomate comme son prédécesseur qui est formé comme tel et qui a beaucoup de métier. Et la diplomatie a ses réalités propres.

Ce que j’ai dit est aussi valable pour Awa Marie Coll Seck. C’est vrai qu’on a besoin de politiques pour engager la bataille de 2019. Mais quand on a des ministres compétents, il faut les gérer. Awa Marie Coll connait bien le secteur de la santé. Elle a ses réseaux qui peuvent beaucoup apporter au système sanitaire. Pour moi, dans des départements si techniques, l’engagement politique n’est pas nécessaire. Mais peut-être qu’il existe des facteurs qu’on ne maitrise pas. Mais son départ est aussi regrettable.

L’une des attractions dans la formation de ce gouvernement, c’était le poste de ministre de l’Intérieur. Le choix d’Aly Ngouille Ndiaye est-elle de nature à apaiser le climat politique ?

Tout le monde est d’accord qu’il y a eu beaucoup d’erreurs à éviter pour la prochaine fois. Car cela risque de générer des tensions si elles se reproduisent. Je pense qu’il fallait trouver un homme plus consensuel comme ministre de l’Intérieur. Le débat se pose toujours avec acuité. Le choix d’Aly Ngouille ne va pas dans le sens de le faire évoluer. Il fallait une personne plus neutre, peut-être issue de la société civile, peut-être même des rangs de la majorité, mais qu’il soit un peu plus équilibré. Mais ce n’est pas encore trop tard. Le président peut encore rectifier le tir en nommant, pourquoi pas, un délégué chargé de l’organisation des élections. S’il tient vraiment à instaurer le dialogue, je pense qu’il ira dans cette dynamique.

Quels doivent être les chantiers de ce gouvernement qui a, en ligne de mire, la présidentielle de 2019 ?

Ils sont nombreux. Les Sénégalais sont fatigués, comme on l’a toujours relevé. Ils sont fatigués par la rareté de l’emploi, la détérioration du pouvoir d’achat, l’absence de perspectives. Il y a les problèmes de santé, d’éducation. Autant de chantiers auxquels le nouveau gouvernement devra s’attaquer dans l’immédiat. Je pense que le nouveau gouvernement va surtout s’attaquer à ces problèmes, plutôt qu’à la mise en œuvre d’un Plan Sénégal émergent qui ne produira les effets escomptés que dans le moyen ou long terme.   

Par Mor Amar

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