Publié le 1 Sep 2016 - 23:42
MOUSSA DIAW (ENSEIGNANT-CHERCHEUR EN SCIENCE POLITIQUE A L’UGB)

 ‘’Il n’y a pas une dynamique au niveau de l’opposition’’ 

 

 

Après le Front patriotique pour la défense de la République (FPDR), puis Gor ca wax ja, l’opposition est en passe de lancer une nouvelle coalition dénommée ‘’Wàlu Sénégal’’. Selon Moussa Diaw, enseignant-chercheur en Science politique à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, si ce nouveau cadre n’a pas un projet de société bien pensé et bien approfondi, il fera long feu dans un contexte où la stratégie ‘’machiavélique’’ de la majorité ne laisse aucun autre choix à l’opposition que de s’unir. Entretien.

 

L’opposition réunie autour du Parti démocratique sénégalais a initié une nouvelle coalition dénommée ‘’Wàlu Sénégal’’ qu’elle va lancer incessamment. Avant celle-ci, elle avait déjà lancé le FPDR puis Gor ca wax ja. Qu’en pensez-vous ?

Cela démontre qu’il n’y a pas encore au niveau de l’opposition des points fédérateurs. Le problème au sein de l’opposition, c’est en effet l’inexistence d’un projet de société. C’est dire que tous ces partis qui se retrouvent généralement, c’est à la suite d’évènements. Il faut absolument qu’il y ait un évènement politique majeur qui va cristalliser une forme d’opposition contre la majorité. Aujourd’hui, c’est l’évènement autour de l’affaire Ousmane Sonko ou bien d’autres actes politiques qui sont décriés. Ce sont donc ces situations politiques qui font que l’opposition sente la nécessité de créer une coalition. Et ces coalitions sont conjoncturelles. Ce qui explique naturellement qu’il n’y ait pas des éléments fédérateurs. C’est-à-dire que le regroupement ne se fait pas autour d’un projet discuté, approfondi et qui fait l’objet de consensus avec l’ensemble des parties prenantes. C’est cela le problème justement de ces coalitions qui sont pratiquement éphémères. Parce que vous les entendez en un moment et après, on n’en entend plus parler. Et il faut attendre d’autres évènements pour créer de nouvelles coalitions. Cela montre qu’il n’y a pas une dynamique au niveau de l’opposition, il n’y a pas un projet de société réunissant l’ensemble de ses composantes.

Est-ce à dire que l’opposition est en train de se chercher depuis l’avènement du Président Macky Sall au pouvoir ?

Tout à fait. Elle est en train de se chercher depuis lors. Elle est en train de chercher une voie commune comme elle est dispersée. Il y a la coalition autour de la ‘’Troisième voie’’ de Amsatou Sow Sidibé, le Front patriotique pour la défense de la République (FPDR) et bien d’autres coalitions qui sont nées et qui sont en train de s’organiser autour d’une idéologie qui va constituer le noyau à partir duquel ses différentes composantes vont mener des activités politiques. Donc il y a cela. L’opposition est en train de se chercher toujours parce que tout simplement elle est plurielle. Elle est issue d’idéologies différentes, de personnalités aussi fortes qu’il est difficile à rassembler autour d’un projet. Mais cela se fera bien sûr par rapport à la position de la majorité, par rapport à sa politique et par rapport à un certain nombre d’erreurs ou d’errements politiques qui pourraient éventuellement constituer une opportunité pour l’opposition de faire front et de ravir le pouvoir à la majorité.

Cette situation ne traduit-elle pas une mésentente des leaders de l’opposition qui ont des agendas différents ?

Même s’il n’y a pas une mésentente, il y a quand même des rivalités de positionnement parce que ce sont

différents leaders. Parce qu’aussi, les partis gravitent souvent autour d’une personnalité. Tous ces partis qui existent d’ailleurs peuvent être définis comme tels. Ils gravitent tous autour d’une seule personnalité, d’un leader qui oriente son action en fonction d’opportunités politiques. D’où les coalitions. Ces coalitions sont nées, mais jamais autour d’un projet. C’est pourquoi c’est tellement fragile. Parce que ces coalitions, une fois qu’elles gagnent, le problème c’est comment répartir les fonctions des uns et des autres. C’est toute la problématique qu’on a eue aujourd’hui au sein de Benno bokk yaakaar (BBY) et dans d’autres coalitions qui sont nées. Donc l’opposition est en train de se chercher. J’espère qu’elle va trouver une et une seule voie en vue de mener le combat autour de débats d’idées afin de renforcer la démocratie au Sénégal.

Avec la configuration actuelle du champ politique, est-ce que l’opposition n’est pas contrainte de s’unir pour exister ?

Elle est obligée de s’unir. Mieux, on lui impose justement cette coalition. Parce que c’est sa seule survie. Sinon elle ne peut pas vivre fragmentée jusqu’aux prochaines élections. Le temps compte beaucoup en politique. Et c’est maintenant qu’il faut mettre en place cette coalition, réfléchir sur un projet de société qui serait alternatif par rapport à la politique qu’on est en train de mener et de le proposer aux Sénégalais. C’est maintenant qu’il faut s’organiser. Sinon après, c’est trop tard puisqu’on a bientôt les élections législatives et après, la présidentielle. Les élections législatives préparent celle présidentielle. Donc il va falloir s’organiser pour ceux qui sont confrontés à des problèmes de parti. On l’a vu au Parti socialiste où le maire de Dakar est déterminé à mener le combat. C’est le moment donc de se prononcer, d’annoncer les couleurs et puis se jeter à l’eau. Sinon il sera trop tard.

Est-ce que l’opposition est en train de jouer le rôle véritable qui doit être le sien ?

Non ! On ne lui a pas permis de le faire. La majorité mène une politique de débauchage. Elle essaye de récupérer le maximum possible des membres influents de l’opposition surtout des coalitions qui pourraient constituer une menace. Elle est donc en train de mener toute une stratégie machiavélique pour disloquer cette opposition. Tous les moyens sont bons sauf bien sûr la violence. On a vu ce que cela a donné, le fameux dialogue national qui n’est rien d’autre qu’une stratégie pour laminer davantage l’opposition. Celle-ci y a cru en un moment et après, elle a désenchanté. Maintenant il faut revoir tout cela tout en tenant compte de la configuration des rapports de forces. Parce que tout n’est pas joué d’avance. Même au niveau de la majorité, il n’y a pas unanimité. La majorité plurielle est fragilisée également. Donc c’est le moment de s’organiser, de jouer le jeu démocratique autour de débats d’idées, de projet, contre-projet et laisser les Sénégalais décider au moment venu.

Pensez-vous que cette nouvelle trouvaille de l’opposition puisse déboucher sur une coalition électoraliste en perspective des prochaines joutes électorales ?

Effectivement ! Cela peut être une coalition électoraliste. Une opportunité, je veux dire, conjoncturelle. C’est une coalition qui va naître. Mais elle va naître sur quelle base ? Est-ce qu’elle ne va pas suivre celles qui l’ont précédée ? Comment elle va être construite ? Autour de quel projet ? Le plus important en politique, ce sont les projets de société. Les questions de personne n’intéressent pas très souvent les Sénégalais. Ce qui les intéresse, ce sont les projets d’avenir qui répondent justement à leurs aspirations. Et s’il n’y a pas de projets autour de cela, ce serait seulement un effort vain, quelque chose qui va être éphémère et après ils (Ndlr les opposants) vont s’entre-déchirer parce qu’ils ne s’entendront pas autour d’un consensus pour gouverner ensemble ou bien pour mener le combat ensemble.

Au-delà de cette initiative, comment voyez-vous l’avenir de l’opposition dans tout cela ?

L’opposition actuelle a du mal à se structurer. C’est dû à la trajectoire de ses différents leaders qui ont eu des charges gouvernementales et qui ne se remettent pas en question. Parce que là, l’enjeu, ce ne sont pas des questions de personnes, sinon on n’est plus dans une démocratie. C’est une question de projet, d’avenir, de perspective. Dans ce contexte, qu’est-ce qu’on peut proposer aux Sénégalais qui peut ouvrir des perspectives de création d’emplois et d’amélioration des conditions de vie et du pouvoir d’achat des populations sénégalaises. L’enjeu se joue à ce niveau et non à des querelles de personnes, à des débats de caniveaux qui n’intéresse personne comme celui sur la nationalité. Cela n’intéresse personne. Ça n’apporte rien aux Sénégalais ni à la démocratie. Il faut donc tourner cette page, prendre de la hauteur, réfléchir en profondeur sur les éléments qui pourront permettre aux Sénégalais de créer des emplois, d’améliorer leurs conditions de vie, d’avoir un espoir pour l’avenir. Je pense que tel n’est pas le cas actuellement.    

PAR ASSANE MBAYE

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