Publié le 27 Jul 2016 - 04:58
MOUSSA DIAW (ENSEIGNANT-CHERCHEUR EN SCIENCE POLITIQUE A L’UGB)

‘’Macky Sall a mis en garde l’opposition’’

 

Devant un public acquis à sa cause, Macky Sall a lâché samedi dernier en apostrophant ses adversaires politiques : ‘’Ne réveillez pas le lion qui dort’’. Cette déclaration, selon Moussa Diaw, est une mise en garde à l’opposition. Pour l’enseignant-chercheur en Science politique à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, ‘’en prenant le symbole de fauve, Macky Sall rappelle qu’il peut utiliser la force du lion et la ruse du renard pour se défaire d’une opposition qui peine à assurer pleinement son rôle’’.

 

Le Président Macky Sall a profité ce week-end de la cérémonie d’inauguration du Pont de l’émergence pour railler l’opposition. ‘’Ne réveillez pas le lion qui dort’’, a-t-il dit à ses adversaires politiques. Comment analysez-vous cela ?

C’est dans le jeu politique. A mon avis, c’est pour mettre en garde l’opposition qu’il ne se laisserait pas faire. Et que dans tous les cas, il maîtrise la situation. Ce qui l’intéresse, ce n’est pas les discussions stériles, les thèmes de politique politicienne. Mais c’est l’avenir et les réalisations pour satisfaire les demandes sociales. Il se rassure qu’il est tranquille dans son environnement et que c’est lui le chef. En prenant le symbole de lion et de fauve qu’il ne faut pas toucher, cela peut rappeler l’image d’un Machiavel, qu’il peut utiliser la force du lion et la ruse du renard.

Et là, il met en garde l’opposition qu’il peut jouer sur les deux tableaux. Il est capable de jouer sur le tableau de la ruse, il l’a montré avec le dialogue politique national et les réformes constitutionnelles, et il peut aussi jouer sur la force quand il le faut. C’est donc en fait, une mise en garde à l’opposition. Il veut montrer qu’en ce moment, il est dans de bonnes dispositions pour surveiller l’environnement politique et dérouler son programme tranquillement.

Pour certains hommes politiques, le président de la République n’est pas bien inspiré quand il parle de lion qui dort dans un pays où beaucoup de secteurs sont en difficultés. Que répondez-vous en cela ?

Le lion peut dormir tranquillement parce qu’il n’y a rien qui l’inquiète dans l’environnement. Le président de la République, s’il avait une opposition qui était dynamique avec des forces de propositions, en ce moment-là, il ne dormirait pas. Mais là, il peut dormir sur ses lauriers parce que rien ne l’inquiète et il déroule son programme.

On a senti chez le président de la République un certain excès de confiance. Est-ce que cela ne risque pas de lui porter préjudice ?

Non ! Il n’y a pas un excès de confiance chez le Président Macky Sall. Il a simplement voulu dire à ses adversaires qu’il a l’esprit serein. Cela, d’autant plus qu’il n’a pas une opposition qui peut le compromettre dans l’exercice de son pouvoir. Mais aussi pour montrer qu’ils sont dans la fébrilité, que cela ne bouge pas au niveau de l’opposition. D’ailleurs, ces propos du président de la République devraient susciter une réaction d’une forte mobilisation de l’opposition et d’une opposition imaginative, je veux dire en termes de recherche de solutions alternatives par rapport à la politique qui est menée actuellement.

Comment l’opposition devrait réagir, selon vous ?

La réaction de l’opposition, ce n’est pas de se lancer dans l’imaginaire politique. C’est de réfléchir concrètement en analysant toutes les faiblesses de la politique qui est menée par le régime et qui ne correspond pas aux aspirations des populations sénégalaises. C’est à eux d’identifier les secteurs prioritaires et de proposer des projets qui correspondent aux demandes sociales actuelles plutôt que de lancer des invectives ou d’interpréter les propos du président de la République. Parce que là, à présent, le Président peut se permettre un peu d’humour politique en profitant de cette sortie. Parce qu’à l’horizon, il peut être tranquille. Il a une analyse de la situation à long terme et il s’est aperçu qu’il peut dormir tranquillement.

Le président de la République vient de boucler le 14ème Conseil des ministres délocalisé. Que peut-il espérer de cette initiative en termes de gain politique ?

Je suis un peu réservé sur les Conseils des ministres délocalisés. Puisque le président de la République a commencé par la région de Saint-Louis et y a promis beaucoup de financements. Mais cela fait quatre ans qu’on ne voit rien venir. Je ne vois rien de manifeste réalisé par rapport aux projets qui ont été annoncés dès le début des premiers conseils des ministres délocalisés. On avait réparti des milliards pour des projets mais cela est resté jusqu’ici en état de promesse. Peut-être là, le fait de s’intéresser à la banlieue pourra changer les choses. Puisqu’elle compte quand même pour l’électorat. C’est un électorat important du point de vue politique pour les prochaines campagnes électorales. C’est peut-être l’occasion de susciter de l’espoir par rapport à des projets. Au regard de ces populations qui vivent dans des situations difficiles, peut-être que l’Etat va investir pour que ce soit visible, pour que cet électorat puisse être mobilisé autour de ces projets. Et puis, l’impliquer davantage pour la réalisation d’infrastructures qui pourraient améliorer les conditions de vie de ces populations.  

Au total, 4 600 milliards de F CFA ont été promis aux régions. Pensez-vous que l’Etat a les moyens de ses ambitions ?

Cela fait une énorme somme. Aujourd’hui, le gouvernement  estime le taux de réalisation des promesses faites à 55%. Mais sur le terrain, sincèrement, cela ne se ressent pas. Dans la région de Saint-Louis, je n’ai rien vu venir en termes de réalisations concrètes par rapport à ces conseils des ministres délocalisés. Peut-être que là-bas, dans la banlieue, l’Etat va respecter ses promesses. Mais ici (Saint-Louis), concrètement, on n’a rien vu qui puisse améliorer les conditions de vie par rapport à ce qui a été promis.

Le président de la République n’encourt-il pas des sanctions s’il ne tient pas ses promesses faites aux populations ?

Oui ! C’est le risque qu’il encourt. Il s’est engagé à investir ces montants pour régler les problèmes d’infrastructures, d’assainissement, de réalisations pour les jeunes, l’agriculture, etc. Mais aussi des investissements de développement qui pourraient générer des emplois pour les jeunes et puis relever le pouvoir d’achat des Sénégalais. Cependant, si le constat est général, cela risque de poser quelques problèmes au moment où il faudra mobiliser les gens. Parce que ça risque de les décevoir. C’est cela le risque qu’il encourt en promettant ces réalisations. Mais je pense que d’ici là, peut-être qu’il va y avoir quelque chose de concret et qui puisse réveiller un peu l’espoir et cristalliser les gens autour de ces projets. 

PAR ASSANE MBAYE

 

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