Publié le 11 Jan 2017 - 23:59
MOUSSA DIAW (ENSEIGNANT-CHERCHEUR EN SCIENCES POLITIQUES A L’UGB

‘’Il va y avoir une hémorragie au niveau du PS si…’’

 

Dans cet entretien accordé à EnQuête, l’enseignant-chercheur en Sciences politiques Moussa Diaw relève que l’emprisonnement des lieutenants du maire de Dakar risque de mener le Parti socialiste vers une scission.

 

Bamba Fall et d’autres  jeunes du Parti socialiste ont été placés sous mandat de dépôt. Cette nouvelle tournure ne risque-t-elle pas d’amener le PS vers une scission ?

Oui bien évidemment. Parce que cet événement qui traduit et explique justement des rivalités au sein du PS montre bien qu’il y a une fissure qui va s’approfondir au regard de ce que la justice va décider sur leur sort. Déjà, il y a une ligne de fracture par rapport à des ambitions politiques, par rapport à des règlements de comptes au sein du parti entre le Secrétaire général et ceux qui ambitionnent des positions de pouvoir à travers le courant de Khalifa Sall et les maires qui le soutiennent. Nous avons deux positions diamétralement opposées en fonction de leur lecture de la situation politique au Sénégal. Ce courant dirigé par Khalifa Sall a déjà précisé qu’il va présenter une liste aux prochaines législatives et que le parti aura un candidat à la prochaine élection présidentielle. Ce qui provoque directement une rupture par rapport à la position du Secrétaire général. Il y a une confrontation et malheureusement, cette confrontation a été déplacée vers le terrain de la justice. Ce qui aurait pu être évité si le Secrétaire général avait pris conscience de la nécessité de produire un débat interne afin de régler ces problèmes au sein de son parti.

Quelles peuvent être les conséquences immédiates de ce glissement sur le terrain juridique sur l’unité et la cohésion au sein du PS ?

Le résultat, c’est la radicalisation politique, la radication au niveau d’actions sociales parce qu’on a vu des mouvements de contestations, des mouvements de soutien du groupe de Bamba Fall devant le tribunal. Cela montre bien qu’on risque d’arriver à des confrontations et à des situations difficiles à régler alors qu’on aurait pu entamer la discussion, c’est-à-dire instaurer un dialogue politique au sein du  parti afin de régler ce problème. Il y a des dérives dans tous les partis. A l’APR, il y en a eu. Dans d’autres partis il y en a. Donc ce n’est pas une particularité du PS. Mais naturellement, compte tenu du contexte politique, on a essayé de créer des problèmes par rapport au positionnement des uns et des autres.

Jusqu’où cette situation peut mener le PS ?

Il y a déjà une confrontation entre les deux parties. Il y a des lignes de fracture. Mais il ne peut pas y avoir de rupture complète parce qu’ils ne quitteront pas le parti d’après la lecture qu’on a eue des propos de Khalifa Sall. Il ne donne pas l’impression de quitter le parti. Mais il pourrait présenter une liste qu’il va diriger certainement et qui aura le soutien de certains membres du PS, de militants qui ne se reconnaissent pas dans la position du Secrétaire général. Donc il y aura une liste d’opposition avec le soutien d’autres membres pas forcément seulement du PS, peut-être de la société civile ou d’autres acteurs politiques de l’opposition, une liste qui va être élargie pour montrer que la politique n’est pas seulement l’alignement. C’est être ambitieux et dynamique, et faire des propositions de projets alternatifs par rapport à la politique gouvernementale.

Avec le placement sous mandat de dépôt du maire de la Médina et l’inculpation de Barthélemy Dias dans l’affaire Ndiaga Diouf, est-ce que les choses ne sont pas parties pour se compliquer côté Khalifa Sall ?

C’est pour le mettre dans une position de faiblesse. Il l’a compris. On veut faire un peu de nettoyage autour de lui pour l’affaiblir. Mais c’est dommage que cette affaire en arrive là. Normalement, des problèmes politiques de ce genre auraient dû être réglés par un débat d’idées au sein du parti, par une confrontation au niveau des idées. Dans un parti politique, il y a toujours des courants. Au niveau du Parti socialiste français, on se rappelle bien le congrès de Rennes en 1989. A cette époque, on était pratiquement au bord de l’éclatement du PS avec différents courants qui se sont affrontés avec des lignes de lectures différentes. Là, on risque de s’acheminer vers cela. On risque de se retrouver dans ce schéma et à ce moment, il va y avoir des courants de pensée, des gens qui ont une autre lecture de la politique, qui veulent s’adapter aux nouvelles réalités et qui veulent mener le combat parce qu’ils sont jeunes et ambitieux ou parce qu’ils ont des projets peut être à proposer aux Sénégalais.

Khalifa Sall a décidé de présenter ses propres listes aux prochaines élections législatives et à la prochaine présidentielle. Quelles sont selon vous, ses chances de gagner ?       

Vous savez, l’opposition aujourd’hui est fragmentée. Cette fragmentation l’affaiblit certes. Mais elle peut et elle aura le temps de rebondir. Sa chance repose sur la nécessité de construire un projet de société sur différents secteurs, en discuter avec ceux qui sont intéressés et au regard de la situation politique du Sénégal, aller dans les départements et écouter les citoyens, recenser toutes leurs doléances, proposer une autre politique et en débattre avec les partenaires qui pourront soutenir cette candidature. Il aura peut-être la chance de réussir. Mais en ce moment, rien n’est gagné dans cette situation. Aujourd’hui, l’objectif décliné par Khalifa Sall est de se rapprocher des Sénégalais, de les écouter, d’être proche d’eux, de leurs préoccupations, et de réfléchir sur un projet de société qui pourrait être soutenu par les membres de l’opposition et d’autres acteurs politiques ou de la société civile et qui constituerait peut-être une alternative politique par rapport à l’offre gouvernementale.

Comment voyez-vous l’avenir du Parti socialiste dans tout cela ?

L’avenir du PS dépendra de son leader. En ce moment, il dépend de la responsabilité de son Secrétaire général et de ses nouveaux leaders qui réclament une autre façon de faire de la politique plutôt que de s’aligner. Il va y avoir des changements. Mais il y a des résistances parce que le Secrétaire général ne veut pas bouger. Les lignes de fractures sont déjà dessinées et il va y avoir une rupture par rapport à la façon de faire de la politique. A partir du moment où l’équipe de Khalifa Sall prendra ses responsabilités et proposera un projet de société soutenu par d’autres, il va y avoir une hémorragie au niveau du PS. Cela risque de l’affaiblir mais il va y avoir un courant qui va se dessiner et qui va mener le combat sur le terrain politique au-delà des considérations du Secrétaire général. Ce que j’ai entendu à travers les propos de Khalifa Sall, c’est qu’il prendra ses responsabilités le moment venu. Il est actuellement en train de jauger la situation au niveau national, d’être auprès des Sénégalais afin de concocter un projet de société qu’il proposera à ses partenaires.

Comment analysez-vous la dernière sortie de Khalifa Sall relative à ses ambitions pour les prochaines élections ?

Le maire de Dakar a trop attendu. Ses lieutenants ont essayé de le pousser, à chaque fois qu’il y a eu des rencontres, à faire une déclaration de positionnement ; il n’a pas voulu. Maintenant que cette situation de conflictualité se pose au sein du PS, le contexte l’oblige justement à se prononcer, à soutenir ses lieutenants et de dire voilà, nous menons le combat politique ; en ce moment on nous combat sur le terrain judiciaire mais on reprendra de la force parce qu’on sera dans le sillage de l’action politique, et les citoyens qui sont en train de nous regarder prêtent une attention particulière à la chose qu’on est en train de construire. Mais que ce ne sera pas facile parce qu’il y a des contraintes structurelles au niveau du parti, des contraintes politiques puisque la majorité ne veut pas leur faciliter la tâche. Mais il va y avoir une issue d’une façon ou d’une autre parce qu’ils montreront courage politique pour se positionner et proposer une offre politique dans cet espace qui n’est pas facile en ce moment.    

PAR ASSANE MBAYE

 

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