Publié le 15 Jan 2016 - 02:36
MOUSSA DIAW (ENSEIGNANT-CHERCHEUR EN SCIENCES POLITIQUES A L’UGB)

‘’Khalifa Sall va se déterminer en fonction de l’agenda politique’’

 

Pressenti comme le meilleur candidat du Parti socialiste à la prochaine élection présidentielle, Khalifa Sall est pourtant dans une posture pas du tout aisée et dans laquelle la moindre erreur se paye cash. Selon Moussa Diaw, le maire de Dakar ne doit ni se précipiter ni être en retard pour se déterminer. Dans cet entretien avec EnQuête, l’enseignant soutient que Khalifa Sall va se déterminer en fonction de l’agenda politique qui, du reste, demeure jusqu’ici flou.

 

Khalifa Sall ovationné par des militants socialistes devant Ousmane Tanor Dieng à l’occasion de la rentrée solennelle de l’école du Ps, qu’est-ce que cela traduit, selon vous ?

Cela traduit une volonté des militants à le voir se présenter comme candidat. C’est tout à fait naturel compte tenu de sa posture et de ses résultats. Mais ce n’est pas du tout un défi lancé au secrétaire général. Le militantisme politique, c’est tout cela. On l’a vu à des moments de crise où les gens choisissent leur camp. Mais c’est tout simplement parce qu’il est adulé et qu’on pense aujourd’hui qu’il peut être un candidat sérieux du Ps. Avant, on avait des difficultés à trouver un candidat sérieux.  

La question de la candidature à la prochaine présidentielle n’est-elle pas une bombe à retardement pour le Ps ?

C’est vrai que la question de la candidature du Parti socialiste constitue aujourd’hui un enjeu majeur d’autant plus qu’elle peut provoquer des problèmes au sein de l’alliance. Le Ps est dans une alliance avec la majorité présidentielle et, évoquer la question risque de frustrer un peu cette majorité. Cela d’autant plus que des échéances ne sont pas encore fixées. Tout le monde sait qu’au niveau du Ps, il faut un candidat et que ce candidat risque de ne pas être le secrétaire général. Donc au sein de ce parti, il peut y avoir plusieurs candidatures, entre autres, celle de Khalifa Sall, maire de Dakar.

Aujourd’hui comment voyez-vous le positionnement de Khalifa Sall ?

Actuellement Khalifa Sall est en train d’observer et d’analyser l’évolution ou l’agenda politique parce que cela ne sert à rien de se précipiter même s’il ne faut pas aller en retard. Le calendrier n’est pas clair parce qu’on ne sait pas quand est ce que le président de la République se décidera d’organiser le référendum, s’il y aura référendum ou pas. Donc il ne faut pas se précipiter parce que c’est en fonction de cette clarification de l’agenda politique qu’il pourra éventuellement se prononcer par rapport à la candidature. Mais pour l’instant, c’est prématuré parce qu’il y a un flou général.  Ce à quoi on a assisté l’autre jour lors de la rentrée solennelle de l’Ecole du Ps, ce sont tout simplement des militants qui sont pressés d’avoir l’avis de la personne concernée. Mais il est certain qu’il ne donnera pas son point de vue, il ne va pas déclarer sa candidature alors qu’on ne sait pas encore à quelle date se tiendra la prochaine présidentielle.

 Le maire de Dakar n’a-t-il pas aujourd’hui intérêt à se déterminer dès lors qu’il bénéficie de plus en plus de la sympathie de certains militants du Ps ?

Il va se déterminer mais en fonction de l’agenda politique, en fonction de la date qui sera retenue pour l’organisation du référendum à l’issue duquel on saura quand se déroulera la prochaine élection présidentielle. Mais tant que cette date n’est pas connue, il se gardera de dire sa position par rapport à cette élection qui est fondamentale pour l’évolution du pays.

Est-ce que ces calculs politiques ne risquent pas de lui porter préjudice ?

Non, il joue sur le temps. C’est important le temps. Mais il ne faut pas aller en retard. Il ne faut pas non plus se précipiter. Il faudra donc faire ce calcul, tenir compte aujourd’hui du climat politique et voir, compte tenu de ses atouts, de son bilan au niveau de la mairie et puis d’éventuels soutiens qu’il pourrait avoir de l’opposition, s’il peut se déterminer en fonction de cela. Mais aussi en fonction de son parti, des candidats qui vont certainement se déclarer au niveau du Parti socialiste.

Pensez-vous qu’il soit soutenu ou investi par son parti ?

Je pense qu’il va être soutenu par son parti. C’est mon avis. Je crois que l’actuel secrétaire général du Ps ne va pas se représenter compte tenu des résultats qu’il a obtenus et que lui, il est dans une bonne posture pour déclarer sa candidature et avoir le soutien aussi bien de son parti que de l’opposition de manière générale.

Que peut aujourd’hui gagner le Ps en investissant Khalifa Sall ?

Le Ps peut avoir des atouts compte tenu de la configuration actuelle. On sait bien que le Pds est confronté à des problèmes, il y a une sorte de mécontentement plus ou moins généralisé. Il suffit d’observer l’opinion publique par rapport à la politique qui est menée, faire une appréciation, une analyse de la situation politique, de l’opinion publique, pour s’en rendre compte. A mon avis, Khalifa Sall fait partie des hommes politiques qui pourront avoir la chance de bien se positionner et d’avoir des soutiens de tout bord compte tenu du mécontentement général par rapport à la politique qui est menée.

Le maire de Dakar peut être donc un adversaire de taille pour le président de la République, Macky Sall ?

A mon avis oui. Compte tenu de son bilan, de sa personnalité. Il suffit de lire la presse pour voir quels sont éventuellement les candidats sérieux qui peuvent se déclarer au niveau de l’espace politique sénégalais. Il apparaît en bonne position par rapport à son bilan, ses appréciations, son tempérament mais aussi son expérience politique au niveau de son parti et au niveau de Dakar par rapport aux résultats qu’il a obtenus. Il faut également tenir compte de ses rapports qui ne sont pas très tendres avec la majorité. Il esquive à chaque fois la confrontation et se positionne comme étant un homme d’Etat capable de transcender un certain nombre de contradictions et de se positionner au-delà des questions de personne. L’enjeu, c’est d’apparaître comme un homme incontournable au niveau de l’opposition et d’être un candidat sérieux pour briguer un mandat présidentiel.

Pour beaucoup d’observateurs et de politiques, Khalifa Sall n’a pas encore cette envergure nationale à même de lui permettre de briguer un mandat présidentiel. Est-ce, selon vous, le cas ?

Non je ne le pense pas. Tout cela se construit. Il peut mener campagne, son parti peut l’aider dans cette perspective. Il ne suffit pas seulement d’être reconnu au niveau national pour gagner une élection présidentielle. Même dans les pays qui sont considérés comme démocratiques comme la France où François Hollande n’avait pas cette envergure nationale que l’on pouvait attribuer à Jospin ou à d’autres personnes. Hollande n’a jamais été ministre, il n’a jamais eu une expérience gouvernementale. Il s’est toujours occupé du parti en dehors de son poste de conseiller qu’il avait sous Mitterrand. Donc sur le plan national, ce n’était pas quelqu’un qui était connu dans l’échiquier politique français.

Par rapport au Sénégal, on peut dire que Khalifa Sall, compte tenu de ses résultats dans une grande mairie qui est Dakar, compte tenu du travail qu’il est en train de faire et de sa position politique, peut engranger tout cela comme des atouts qui pourraient lui permettre d’être un candidat sérieux à la prochaine présidentielle. Mais il lui faut le soutien d’une équipe soudée qui fait le travail de fond sur des questions économiques, culturelles, de l’emploi et de pouvoir d’achat, surtout que ce sont des questions prioritaires. En ficelant un programme bien défini avec des coalitions, c’est-à-dire un programme de gouvernement et non pas des alliances, partagé avec d’autres acteurs, cela lui permettrait de gagner les élections prochaines s’il se présente.

Avec tout le flou qui entoure la tenue des prochaines joutes électorales, pensez-vous que Khalifa Sall a suffisamment de temps pour bâtir une véritable envergure nationale pour pouvoir se présenter contre Macky Sall ?

C’est vrai qu’il y a un flou entretenu sur l’organisation des prochaines élections. Peut-être que cela fait partie d’une stratégie politique. Mais dans une République, normalement l’agenda politique devait être clarifié. Le président de la République devait se prononcer clairement sur l’organisation ou non du référendum pour permettre aux populations d’en savoir clairement des choses, mais aussi informer l’opposition parce qu’il y a des règles démocratiques qu’il faut respecter. Rester dans le flou, c’est extraordinaire parce que quand on veut quand même construire une démocratie et la consolider, il faudra être clair dans les positions politiques, dans l’agenda politique et respecter les règles du jeu qui permettraient de consolider la démocratie au Sénégal.

Mais comment analysez-vous la posture du Ps qui semble jouer le jeu du leader de l’Apr ?

Non je ne crois pas que le Ps joue le jeu du président de la République. Le Ps est dans une logique d’alliance et il n’est pas dans son intérêt de saborder cette alliance. Cela d’autant plus que, comme je l’ai dit tout à l’heure, l’agenda politique n’est pas clarifié. Mais à partir du moment où l’agenda sera clarifié, on verra comment les positions vont être clarifiées au niveau du Ps. Dès lors, Ousmane Tanor Dieng sera obligé de prendre position et de se déterminer par rapport à ces enjeux. Ça, c’est tout à fait naturel. Maintenant attendons de voir mais cela ne va pas durer. Ce flou ne peut pas perdurer. Il arrivera un moment où, compte tenu des agendas, compte tenu des logiques de fonctionnement du système politique et démocratique, le président serait amené à se prononcer par rapport à l’agenda.

PAR ASSANE MBAYE

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