Publié le 4 Dec 2019 - 09:41
MOUSSA THIARE, HANDICAPE VISUEL

‘’Regarder n’est pas voir’’

 

A 43 ans, Moussa Thiaré, déficient visuel, porte fièrement le combat des personnes handicapées.  Directeur de la Division de la vie universitaire et service à la communauté à l’Ucad, il s’occupe aussi de la vie associative de personnes handicapées en tant que président de l’Amitié des aveugles du Sénégal. Ainsi, à l’occasion de la Journée mondiale consacrée à ces personnes et célébrée aujourd’hui 3 décembre sous le thème ‘’Promouvoir le leadership et le droit des personnes handicapés’’, ‘’EnQuête’’ vous propose le portrait de ce grand homme qui voit plus loin que l’œil.  

 

Chemise blanche garnie d’un tissu de pagne tissé vert, pantalon super 100 noir, Moussa Thiaré est bien installé dans son bureau, à la Division de la vie universitaire et service à la communauté. Il s’occupe à envoyer des mails. En ce matin du jeudi 29 novembre 2019, il est pris par les préparatifs de la journée du 3 décembre consacrée aux personnes handicapées. Les mains scotchées sur son MacBook, il nous demande de patienter, le temps qu’il finisse d’envoyer ses mails. Son téléphone portable posé juste à côté de sa main droit perturbe l’ambiance avec des sonneries d’appels sans cesse.

Moussa est très sollicité.  Car, en plus d’occuper  le poste de directeur de la Division vie universitaire et service à la communauté qui a en charge les questions de leadership, de citoyenneté, de service à la communauté et des questions relatives à la prise en charge des étudiants handicapés, il  est aussi le président de l’Amitié des aveugles et le secrétaire général de la Fédération des personnes handicapées du Sénégal.

Cependant, le handicap de Moussa trompe plus d’un. Sans en être informé, presque personne ne peut soupçonner son état visuel.

Rétinopathie pigmentaire, une maladie incurable

Contrairement à beaucoup de ses camarades souffrant de telle déficience, M. Thiaré ne porte pas de lunettes, ni de canne pour marcher. En plus, ses yeux ne donnent aucune impression de ceux d’un aveugle. C’est pourquoi beaucoup doutent de son handicap. Et pourtant, depuis l’âge de 7 ans, sa vision est perturbée par la rétinopathie pigmentaire. Une maladie oculaire incurable qui se caractérise par la dégénérescence de la vue. ‘’Je n’ai pas l’air aveugle et cela me porte préjudice, parce que les gens croient que je voie. Alors qu’en réalité je ne vois pas. Il n’y a que ceux qui me côtoient qui savent que je suis aveugle. Il faut savoir que regarder n’est pas voir’’, déclare-t-il.

 Si beaucoup doutent du handicap de Moussa, c’est parce que rien, chez lui, ne présage que c’est un aveugle. Ni son parcours académique ni sa vie professionnelle, encore moins son comportement.  C’est, peut-être, aussi parce que Moussa voyait normalement jusqu’à l’âge de 7 ans. Et après la survenue de sa maladie, il s’est débrouillé à continuer son cursus scolaire comme une personne à la vue normale.  

 ‘’J’avais des difficultés pour les déplacements à l’école, notamment à Kaolack avec les eaux usées et les égouts. J’ai plein de cicatrices parce que je ne voyais pas bien et je n’étais pas bien conscient des difficultés que j’avais. Je croyais que c’était passager et que j’allais recouvrer la vue jusqu’au moment où un ophtalmologue m’a dit qu’en réalité, j’avais ce qu’on appelle la rétinopathie pigmentaire qui est une catégorie de maladie incurable. C’est une dégénérescence des cellules visuelles conduisant à une perte définitive de la vue. Lorsque le médecin m’a dit cela, j’avais l’impression que le monde était sens dessus sens dessous. Je suis resté plusieurs jours sans me rendre à l’école’’, se souvient-il.

Ainsi, après cette nouvelle qui a changé sa vie à jamais, Moussa ne s’est pas laissé dominer par la maladie.

S’inspirant de personnes déficientes visuelles qui ont réussi dans les études, Moussa décide de ne pas baisser les bras et de suivre son chemin. ‘’Je me disais que j’allais perdre définitivement la vue avec comme conséquence la mendicité, la dépendance. Mais, à fur et à mesure, j’ai pu rencontrer des personnes qui avaient des difficultés visuelles, mais qui vivaient normalement comme tout le monde. Cela m’a permis de me reconsidérer ou de reconsidérer ma vision. Lorsque je me suis ressaisi, j’ai pu comprendre qu’il fallait mieux être diplômé aveugle que d’être aveugle sans diplôme. Je me suis dit qu’il y a d’autres qui n’ont jamais eu la chance de voir. Et j’ai essayé de continuer à travailler et c’est comme ça que j’ai tracé mon chemin’’, raconte-il, l’air tout fier de son parcours. 

‘’J’ai pu reconsidérer ma vision’’

En reconsidérant sa vision, le jeune Moussa a pu réaménager son cursus pour mieux l’adapter à sa situation. Ainsi, après le Bfem obtenu avec brio à son Diakhoa natal (région de Fatick), il rejoint le lycée Valdiodio Ndiaye de Kaolack où il est orienté en série scientifique. Mais avec ses difficultés visuelles, il suit difficilement le rythme des scientifiques et décide de changer de branche pour s’orienter vers la littérature. ‘’En classe de 3e et en seconde, je pouvais lire, mais j’utilisais souvent une lampe-torche’’, se rappelle-t-il.

Le Bac en poche en 1995 au lycée Valdiodio Ndiaye, le natif de Diakhao intègre le Département d’anglais de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar.  Après la Maitrise, il s’inscrit à la faculté des sciences économiques et de Gestion et y obtient un master en sciences économiques.

Toujours assoiffé de savoir, Moussa Thiaré s’inscrit à l’institut de formation en administration et création d’entreprise (Iface) de l’Ucad.

Alors que plus les années passent, plus la maladie avance, Moussa est désormais obligé de se rabattre sur des assistants pour pouvoir faire ses devoirs ou passer ses examens. Des étudiants de l’Ucad lui apportent alors le soutien nécessaire. À chaque examen ou devoir, l’institut ou lui-même choisi un étudiant d’un domaine différent du mien pour l’assistance dans ses travaux. L’assistant lui dicte les consignes et lui ses réponses.

Ses diplômes universitaires en poche, il commence sa vie professionnelle à l’Ucad en 2004. D’abord, comme stagiaire en charge des activités sociales et académiques à la Division de la vie universitaire et service à la communauté. Ensuite, comme agent en charge de la gouvernance des organisations estudiantines, puis chef de bureau. Avec son engagement et son amour pour le travail bien fait, il est apprécié par ses supérieurs qui lui confient aussitôt des postes de responsabilité.  Il est promu, à cet effet, directeur de la division.

Toujours au chevet des personnes handicapées

Moussa Thiaré est aussi un grand défenseur de la condition des personnes handicapées. Président de l’Amitié des aveugles du Sénégal et secrétaire général de l’Association des personnes handicapées, son combat du moment reste la reconnaissance des droits intellectuels des personnes handicapées par la ratification du traité de Marrakech. Il se bat ainsi avec ses camarades pour que l’Etat du Sénégal puisque ratifier ce traité. Pour cela, ils ont lancé une pétition pour faire réagir les autorités politiques. ‘’Nous ne comprenons pas pourquoi le Sénégal n’a pas ratifié le traité, alors que des pays comme le Mali l’ont déjà fait. Ce traité n’a pas d’incidence financière. Il permet seulement d’élargir les Droits de l’homme, en permettant aux personnes qui ont des difficultés d’accéder aux informations, aux œuvres publiées de pouvoir bénéficier des versions adaptées à leur situation. Nous voulons récolter 400 à 500 mille signatures pour emmener les autorités à mieux appréhender cette importance’’, défend-il.

En outre, pour éradiquer les difficultés dont vivent les personnes handicapées, Moussa Thiaré propose la mise en place d’un fonds d’appui pour la formation ou le financement des projets de ces citoyens. Il y a aussi les statistiques sur le nombre de personnes handicapées qui posent problèmes dans les politiques publiques destinées à cette frange de la population. ‘’On ne peut pas mettre en place une politique pour un groupe, si l’on ne connait pas le nombre exact. En effet, selon le recensement de la population de l’Ansd de 2013, 5,9 % de la population sénégalaise sont des personnes handicapées. Alors que l’Oms et la Banque mondiale parlent de 15,5 % dans le rapport mondial sur le handicap publié en juin 2011’’, informe M. Thiaré, qui estime qu’un tel écart résume à lui seul le problème des personnes handicapées.

’Il faut dire personne handicapée’’

En vrai défenseur des personnes handicapées, Moussa s’occupe de tout ce qui concerne cette frange de la population. Et pour mieux connaitre leurs droits pour mieux les défendre, Moussa Thiaré a mené des études et participé à des séminaires sur le domaine, au Canada et aux Etats-Unis. De retour récemment du Japon où il a séjourné deux mois pour renforcer ses connaissances sur les droits des personnes handicapées, Moussa semble habilité pour indiquer la bonne appellation pour nommer ses camarades. ‘’L’appellation ’personne handicapée’ est la mieux placée, parce que dans les conventions internationales, on parle de personne handicapée. Sur le plan des instruments juridiques également, on parle toujours de personne handicapée.  

Certains disent ‘personne vivant avec un handicap’, mais ce n’est pas la bonne appellation, car le handicap n’est pas un virus comme on dit personne vivant avec le sida.  C’est pourquoi on ne peut pas dire personne vivant avec un handicap. Quant à l’appellation ‘’les handicapés’’, c’est une stigmatisation, c’est à la limité les exclure de la population, des personnes normales. Ce qui conduit à la discrimination’’, considère-t-il.

Sérère bon teint, Moussa Thiaré est un amoureux de la culture de son ethnie. Ainsi, Yadé Codou Sène ou encore Moussa Ndiaye sont les chanteurs qui le font danser. Le natif de Diakhao est aussi passionné de l’art et le vit à travers son style vestimentaire. Pour lui, les couleurs ont des significations particulières. C’est pourquoi il préfère le bleu qui, selon lui, renvoie à l’illimité, au ciel et à la mer. Il a aussi un penchant pour le blanc de la paix, de l’immaculé.

Marié et père de 2 enfants, Moussa Thiaré porte fièrement le combat des personnes handicapées loin du champ de la mendicité et de la dépendance pour faire entendre leurs droits aux décideurs du monde.

ABBA BA

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