Publié le 29 Oct 2019 - 23:17
MOUSTAPHA DIAKHATE

Ministre, conseiller et... incommode

 

Moustapha Diakhaté n’est pas un diseur de bonne aventure. Fortement attaché à ses positions de principe, ses sorties ne sont pas pour plaire.

 

Hier, il s’est fendu d’un post plutôt audacieux sur sa page Facebook, qui s’en prenait aux abus sonores pour les appels à la prière du matin. ‘‘Le Sénégal est très marqué par un niveau de pollution sonore nocturne émise par les mosquées. La principale cause est l’usage excessif de puissants haut-parleurs et les appels répétitifs des muezzins’’. Non content de s’arrêter là, le ministre conseiller du président de la République déclare que les avancées technologiques poussent à reconsidérer sérieusement cette pratique. ‘‘Pour se réveiller et se rendre à la mosquée, les fidèles musulmans disposent, dans leur grande majorité, et grâce au progrès technique, de téléphones portables et autres réveils. C’est pourquoi aujourd’hui, les mosquées n’ont plus besoin de puissants décibels et des appels répétitifs au milieu de la nuit. Au regard des désagréments et autres gènes qu’ils occasionnent et la proximité des lieux publics de prière, il urge de limiter les décibels ainsi que le recours à de puissante sonorisation par les mosquées’’.

Les appels publics à la prière du matin ne sont pas le premier sujet de société sensible auquel il s’attaque. Deux jours avant, il a aussi produit un brulot, une sorte de contre-fatwa, sur ‘‘l’islam-business, une malédiction sénégalaise’’. Un titre générique dont le contenu dénonçait plutôt les travers qui assaillent la confrérie mouride, prenant comme prétexte les bénédictions organisées dans la ville religieuse vendredi dernier pour ‘‘immuniser’’ Tahirou Sarr. ‘‘Les organisateurs du récital du Coran à Touba, en faveur d’un impliqué dans une malversation au détriment du contribuable sénégalais, ont poignardé le Livre Saint et les enseignements de Cheikh Ahmadou Bamba’’, s’offusquait-il. Une affaire qu’il a mise en perspective avec la secousse Aida Diallo pour arriver à la conclusion qu’il ‘‘urge d’en finir avec le travestissement du mouridisme’’ et, même plus martial, que ‘‘la guerre doit aussi être déclarée aux braconniers de la foi qui détournent le Coran et travestissent la Parole Sacrée d’Allah Swt’’.

S’il y a quelque chose qui caractérise le natif de Diourbel, 52 printemps, c’est cette propension qu’il a à ne pas transiger avec sa pensée, à rester conséquent avec lui-même. Une trajectoire de libre penseur dont s’accommode mal des potentats locaux, parfois un peu trop épris de leur ‘’hubris’’ (vanité en anglais) de puissance. Moustapha Diakhaté aurait peut-être dû être l’homme qui souffle à l’oreille des présidents Wade et Macky, s’il avait été plus conciliant, moins revêche dans la défense de ses convictions. 

Alors quelqu’un qui n’a pas peur de poser des débats sociétaux aussi sensibles, pas forcément avec les bons termes, peut-il s’interdire de s’exprimer librement sur des choix politiques ou de gouvernance ? Manifestement non, puisque l’ancien du Rassemblement national démocratique (Rnd), premier parti dans lequel il a milité en 1976, brise aussi les tabous dans son propre camp.

Libéral pur jus

L’ancien président du groupe parlementaire de Bby, lors de la législature précédente, n’en a que faire de la bienséance ou de la coterie partisane, quand il s’agit d’exprimer et de défendre des positions principielles. Alors que la campagne électorale était sur le point de débuter en janvier dernier, il jette un énorme pavé dans la mare de son propre camp qui confond service public de la télévision nationale et média d’Etat. La grosse affaire Petrotim qui éclabousse Aliou Sall, frère du président ? Moustapha Diakhaté est la seule voix du camp présidentiel à indisposer ouvertement le chef de l’Etat, en demandant la démission du frère de tous les postes et en exigeant même que le président de la République l’y contraigne.

Vous aurez compris que Diakhaté est un libéral pur jus. Pas forcément au sens politicien du terme, qui le confinerait à des passages tumultueux dans le Pds et l’Apr, mais au sens littéral. D’ailleurs, ses ‘‘rébellions’’ qui lui ont valu la réputation d’un homme à la démission facile, remontent, pour ce qu’on en sait, à plus d’une décennie. Alors que le tout-puissant ministre du ciel et de la terre, Karim Wade, commençait à vampiriser le Pds et que les dérives libérales présageaient d’une Présidentielle 2012 à risque, Moustapha se démarque et démissionne de son poste de conseiller pour incompatibilité avec Wade-fils. En 2008, la purge libérale qui battait son plein parvient à avoir la tête du président de l’Assemblée nationale, Macky Sall. Indigné, Moustapha Diakhaté quitte le Pds, qu’il a intégré en 1987, en signe de protestation. Cinq ans plus tôt, il avait déjà mis sur pied Waccoc Alternance, un mélange de courants de pensée et de tribunal de veille de la conscience démocratique qui permit au Pds d’accéder au pouvoir et dont les libéraux commençaient à s’éloigner joyeusement.

‘‘Il m’est égal d’être limogé...’’

Dans sa lettre de démission transmise à l’Agence de presse sénégalaise (Aps) en mai 2009, où il annonçait par la même son ralliement à l’Apr, cet économiste de formation dit vouloir ‘‘construire un véritable consensus autour de la séparation effective des pouvoirs, de l’équilibre réel des institutions et de leur caractère impersonnel pour que le Sénégal se réapproprie, enfin, sa République, sa démocratie, son gouvernement, son parlement et sa justice’’. Dix ans plus tard, ses vœux qui l’avaient poussé à rejoindre Macky Sall sont toujours restés en l’état. Est-ce la raison pour laquelle il continue de mener une bataille de principe qui lui a coûté le poste d’un président de groupe parlementaire ? Peut-être ! Une chose est certaine : Moustapha Diakhaté a le courage de ses idées. Une sorte de Moustapha Cissé Lô, la rage en moins et l’intellect en plus.

Dernier baroud d’honneur, le valeureux soldat mis en quarantaine dans sa propre matrice politique a encore critiqué, ce dimanche, dans une émission télévisée hebdomadaire, la ‘‘manière contreproductive’’ dont le président Macky Sall sanctionne les sorties des cadres de l’Apr sur le débat concernant un éventuel troisième mandat. Une déclaration politiquement suicidaire, par les temps qui courent et dont l’absence subséquente de réaction ‘‘apériste’’ prouve, a priori, qu’il vaut mieux laisser Moustapha à ses principes.

‘‘Il m’est égal d’être limogé ou maintenu à mon poste. J’ai rejoint Macky avant même qu’il ait un pouvoir de nomination. Si, aujourd’hui, il souhaitait me démettre de mes fonctions, je le remercierais’’. Qui ose dire mieux ?

MINISTRE CONSEILLER À LA PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE

Moustapha Diakhaté limogé

Finalement, la sortie de Moustapha Diakhaté sur ''Sen Jotaay'' a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase du courroux présidentiel.

''Par le décret 2019-1800 du 28 octobre 2019, Son Excellence Monsieur le Président de la République met fin aux fonctions de monsieur Moustapha Diakhaté, Ministre conseiller à la présidence de la République'', a-t-on appris hier dans la soirée, alors qu'on était sous presse.

Les deux hommes, fidèles à leur ligne de conduite aux antipodes, se sont finalement ''séparés'', après dix ans d'âpres batailles et conquêtes pour le triomphe de la démocratie.

Moustapha Diakhaté sera tombé sur le front ''nouveau'' du 3e mandat que le général avait défendu d’évoquer. C'est sûr que si Macky Sall congédie le plus téméraire en prise de parole, les autres qui étaient déjà prévenus avec M. Sory Kaba le sont davantage avec M. Diakhaté dont l'honneur l'a disputé à l'élégance, en réagissant à son renvoi, sur sa page Facebook. ''Je remercie le Président de la République d’avoir mis fin à mes fonctions de ministre, Conseiller. Je le remercie également de m’avoir associé, depuis 2008, à ses actions au sein de l’Apr et de son magistère. Merci à tous et bonne chance à Monsieur Macky Sall pour la suite''. Classe !

OUSMANE LAYE DIOP

 

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