Publié le 10 Apr 2018 - 21:15
MULTIPLICATION DES INITIATIVES DE L’OPPOSITION

L’unité recherchée dans le désordre

 

Avec les différents regroupements mis en place depuis 2012, l’opposition sénégalaise cherche perpétuellement à fédérer ses forces sans jamais y parvenir jusque-là.

 

Si le Sénégal est souvent cité en exemple  en matière de démocratie en Afrique et même dans le monde, son système politique constitue, pour autant, un cas d’école difficile à cerner. C’est qu’’’Au pays de la Teranga’’, les coalitions et autres initiatives politiques se font et se défont au gré des circonstances. Peu importe les appartenances politiques ou même les croyances idéologiques qui tendent d’ailleurs à disparaitre, les différentes forces composant la galaxie politique sénégalaise n’hésitent pas à cheminer ensemble, dès que leurs intérêts convergent, et à divorcer à la moindre occasion.

Sous nos cieux, les alliances contre nature n’heurtent même plus la sensibilité des observateurs, même les plus avertis, tellement elles sont devenues banales à partir de 2000 où des libéraux, des communistes, des progressistes et autres sensibilités politiques et citoyennes se sont ligués pour faire tomber le tout-puissant régime socialiste, après 40 ans de gestion du pouvoir.  

Fipou, Jog Jotna, la dernière trouvaille de l’opposition

Cependant, si le phénomène est moins visible dans la mouvance présidentielle qui garde la même structuration (la coalition Benno Bokk Yaakaar, elle aussi contre nature) depuis 2012, tel n’est pas le cas dans les rangs de l’opposition. Tirée par le Parti démocratique sénégalais, celle-ci ne cesse de multiplier les initiatives pour fédérer ses forces. La dernière en date est la coalition Fipou, Jog Jotna, lancée hier lundi 9 avril 2018 à Thiès. Paradoxe ou ironie du sort, cette trouvaille du mouvement Y en a marre regroupe des structures comme le Parti démocratique sénégalais que ledit mouvement citoyen a pourtant combattu jusqu’à sa chute en 2012. La nouvelle structure de l’opposition est également composée d’autres formations politiques comme le Rewmi, la Convergence libérale démocratique/Bokk Gis Gis (Cld/Bgg), le mouvement Bès du Niakk de Serigne Mansour Sy Djamil, la République des valeurs de Thierno Alassane Sall, le Grand parti de Malick Gakou, Pastef d’Ousmane Sonko et Gueum Sa Bop de Bougane Guèye Dani.

Pencum Askan Wi, l’autre mouvement de résistance

Auparavant, une autre plateforme a été portée sur les fonts baptismaux. A l’initiative de la Commission orientations et stratégies du Mouvement du 23 juin (Cos/M23), Pencum Askan Wi (l’Assemblée du peuple) est presque composée des mêmes forces politiques et citoyennes que Fipou, Jog Jotna. Elle regroupe en son sein des formations politiques telles que le Rewmi d’Idrissa Seck, la Convergence libérale démocratique/Bokk Gis Gis (Cld/Bgg) de Pape Diop, le mouvement Agir de Thierno Bocoum et la coalition Mankoo Taxawu Senegaal (Mts) de Khalifa Sall, entre autres. Elle se fixe comme objectif principal de lutter contre les dérives et abus du régime du président Macky Sall.

‘’Comme nous l’avions fait en 2011, lors de ce fameux 23 juin, nous sommes prêts à le faire encore pour notre cher Sénégal… Un des objectifs qui nous réunit aujourd’hui, à savoir le projet de loi sur le parrainage, risque de passer. Le fonctionnement de la justice sénégalaise et d’autres problématiques qui nous concernent et nous engagent fondent l’objet de ces retrouvailles’’, a déclaré le coordonnateur de la Commission orientations et stratégies du M23, à l’occasion du lancement de la plateforme, le vendredi 6 avril dernier à Dakar. Abdourahmane Sow, qui recommande d’ailleurs l’unité de toutes les forces de l’opposition à travers l’opération ‘’Ninki Nanka’’ lancée à cet effet, a par la même occasion invité les différentes organisations victimes de la ‘’dictature’’ et des ‘’forfaitures’’ du régime en place, ainsi que le peuple sénégalais à travers ses différentes composantes, à constituer un front unitaire pour restaurer le droit et surtout faire barrage au projet de loi sur le parrainage introduit à l’Assemblée nationale par le président de la République.

L’Ied en perte de vitesse

Ces différentes structures sont, en effet, précédées d’autres dont la plus récente est l’Initiative pour des élections transparentes (Ied). Lancée en grande pompe le jeudi 28 décembre 2017, l’Ied semble aujourd’hui battre de l’aile. Elle a d’autant plus montré ses limites dans le bras de fer contre le président Macky Sall, que ses propres initiateurs en appellent à la création d’un cadre beaucoup plus structuré et fédérateur. D’ailleurs, dans une déclaration rendue publique avant-hier, ses leaders en appellent à la création d’un large front démocratique et social de résistance nationale ‘’contre les manipulations constitutionnelles et électorales au Sénégal’’.

Selon eux, il est temps, à présent, de passer à une étape supérieure de la lutte, au regard de la volonté de plus en plus affichée du pouvoir en place de ‘’truquer les élections, de priver les électeurs de leur droit de vote par la rétention de leurs cartes ainsi que par la multiplication des entraves à l’inscription massive des jeunes sur les listes électorales’’. Il s’y ajoute, à les en croire, un élément nouveau, lourd de conséquences graves pour le pays, venant alourdir et polluer l’atmosphère politique : les projets de loi déposés sur la table de l’Assemblée nationale portant révision de la Constitution et modification du Code électoral, et visant à imposer aux partis politiques l’institution ‘’d’un parrainage piégé, dans le but évident pour Macky Sall  de sélectionner les candidats de son choix et d’invalider les candidatures d’adversaires politiques gênants’’. Ce, déplorent les animateurs de l’Ied, ‘’de façon discrétionnaire, discriminatoire et sans recours réel possible, contrairement à la lettre et à l’esprit de la Constitution en vigueur’’.

Partant de toutes ces considérations, les leaders de l’opposition estiment qu’un nouveau défi à relever interpelle non seulement l’Ied, mais plus encore l’ensemble des démocrates et patriotes sincères de notre pays, afin d’arriver à imposer un nouveau rapport de forces favorable au changement, dans la démocratie, la paix civile et le progrès.

‘’Toutes les forces vives de la nation doivent donc se rassembler et se mobiliser dans un sursaut républicain, démocratique, patriotique et citoyen pour faire échec à la forfaiture de Macky Sall et de ses affidés’’, fulminent-ils.

Pour intensifier le combat à l’orée de la présidentielle de 2019, les leaders de l’Ied proposent un nouveau cadre de lutte mieux organisé, une nouvelle stratégie permettant, au-delà du binôme pouvoir/opposition, d’impliquer l’ensemble des citoyens conscients de la nécessité de s’approprier un tel combat de salut national et de salubrité publique, pour en faire leur propre affaire. Ainsi, il s’agit, selon eux, d’une démarche ouverte, inclusive, non partisane et solidaire,  de constituer un large front, un bloc soudé, s’érigeant en véritable contrepouvoir, pour faire échec au ‘’coup d’Etat constitutionnel et électoral concocté par le régime de Macky Sall’’.

Fsd/Mws, Fpdr, Gor Ca Wax Ja… aux oubliettes

Cette nouvelle proposition des leaders de l’opposition sonne, en effet, comme un aveu d’échec de leur part. Les différents cadres ou plateformes mis en place depuis 2012 n’ont, en effet, jusqu’ici donné les résultats escomptés et n’ont pas été en mesure de rallier l’essentiel des populations sénégalaises à leurs causes. Au contraire, ils ont toujours été largués, surtout dans les concertations autour du processus électoral. Mieux, ils disparaissent souvent comme ils naissent. C’est le cas du Front patriotique pour la défense de la République (Fpdr).

Porté sur les fonts baptismaux en août 2014, il avait fait de son principal cheval de bataille la libération de Karim Wade, incarcéré dans le cadre de la traque des biens supposés mal acquis. C’est ce qui fait que très tôt, beaucoup de partis politiques dont la Convergence libérale démocratique/Bokk Gis Gis, le Rewmi entre autres, ont pris leur distance avec ce front. Ainsi, outre le Parti démocratique sénégalais, ce front regroupe seulement en son sein And Jëf/Parti africain pour la démocratie et le socialisme de Mamadou Diop Decroix, qui en est d’ailleurs le coordonnateur, et certains des alliés traditionnels des libéraux.

Le manque d’attraction de ce cadre a fait que les libéraux et leurs alliés, à la veille du référendum de mars 2016, ont jugé utile de rejoindre la coalition du Non/Gor Ca Wax Ja, aux côtés d’autres forces de l’opposition. Mais tout comme le Fpdr, cette plateforme a fait long feu. Comme elle est née, elle a très vite disparu de la scène politique, juste après le référendum, pour céder la place au Front pour la défense du Sénégal/Mankoo Wattu Senegaal.

A la différence des autres plateformes initiées par l’opposition, celle-ci parait plus costaude parce que composée par le Parti démocratique sénégalais, le Rewmi d’Idrissa Seck, l’Alliance pour la citoyenneté et le travail (Act) de l’ancien Premier ministre de Macky Sall, Abdoul Mbaye, le Grand parti de Malick Gakou, les Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) d’Ousmane Sonko, ainsi que les autres partis membres du Fpdr coordonné par Mamadou Diop Decroix, par ailleurs Secrétaire général d’And Jëf/Parti africain pour la démocratie et le socialisme (Aj/Pads) et d’autres mouvements citoyens, des syndicats et des personnalités indépendantes.

 Cette plateforme avait de nobles ambitions. Décidément résolu à lutter contre ce qu’elle considérait comme ‘’une dictature à visage découvert qui s’installe dans notre pays, l’asservissement, par l’Exécutif, de tous les pouvoirs, notamment le Législatif et le Judiciaire, les tentatives de division des Sénégalais, la gestion patrimoniale et familiale des richesses du pays et la corruption généralisée’’, Mankoo Wattu Senegaal espérait, à travers cette lutte, participer à l’approfondissement et à la consolidation de la démocratie sénégalaise et à la défense des valeurs.

‘’Soucieux d’établir les règles nécessaires à la crédibilité de toutes compétitions économiques ou politiques et d’en garantir le respect’’, ses leaders se disaient conscients de la ‘’dégradation accélérée de la situation économique et sociale du pays et les graves menaces pesant sur son système démocratique’’. Mais ils se disaient plus préoccupés par ‘’le pillage au bénéfice de quelques personnes, des ressources publiques (pétrole, gaz, mine, foncier) mené à grande échelle et au grand jour au sommet de l’Etat’’. C’est pourquoi les opposants au régime du président Sall avaient décidé d’engager toutes leurs forces pour le ‘’respect des libertés publiques, notamment le droit de manifester et l’égal accès aux médias du service public, le retour à un processus électoral crédible, fiable et consensuel, l’arrêt du pillage des ressources du pays, la fin immédiate de la persécution des lanceurs d’alerte et l’instauration de la transparence dans la gestion des affaires publiques’’.

A l’épreuve, cette coalition n’a pas fait mieux que les autres plateformes à l’initiative de l’opposition sénégalaise. Elle a été fissurée par l’appel au dialogue national lancé par le président de la République Macky Sall. Les différentes forces politiques qui la composent n’ayant pas pu parler le même langage sur la question, sont aussitôt entrées en clash avec Idrissa Seck, Pape Diop et Malick Gakou qui ont simplement décidé de boycotter la rencontre, là où le Pds a accepté de répondre à la main tendue du chef de l’Etat. Ce qui avait d’ailleurs amené le président de Rewmi, Idrissa Seck, à dénoncer un ‘’deal international’’ passé, selon lui, entre le Pds et le président Macky Sall sur le dos des Sénégalais, concernant la libération de Karim Meissa Wade.

Si cette mésentente qui avait installé un sentiment de méfiance entre ces différents partis tend aujourd’hui à se dissiper, il reste évident que l’opposition n’arrive toujours pas à tenir le bon bout pour fédérer ses forces, en perspective des prochaines joutes électorales de 2019.

 ASSANE MBAYE

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