Publié le 3 Sep 2015 - 17:37
MUSIQUE – CREATION :

Ouzin Keïta fait des émules et c’est ‘’dangereux’’ pour la musique

 

Les gens en rient, partagent à grande échelle sur facebook et vont voir sur youtube des chansons aux textes vides, avec des rythmes qui n’en sont pas vraiment. Seulement, ils ne se rendent pas compte qu’ils encouragent les auteurs de ces navets musicaux. Ils recommencent souvent et même donnent envie à certains d’essayer. Ce qui est ‘’dangereux’’ pour l’évolution de la musique sénégalaise.

 

‘’Beignet, beignet, beignet.’’ Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, ceci est le refrain d’une chanson qui fait le buzz sur youtube avec 24 995 vues et sur les réseaux sociaux. Pourtant, à écouter la chanson, on se demande bien, vu la pauvreté du texte, de qui se moquent Max et fashion Boy, les auteurs de cette chanson. Et si certains s’amusent en l’écoutant, d’autres l’adorent simplement. Mais le duo qui use de styles divers avec un couplet rappé, n’a su faire pire que le ‘’pseudo’’ rappeur Nike. Avec un style vestimentaire ‘’has been’’, le hip-hoppeur sectaire clashe tous ceux qui n’aiment pas les Sérères. Seulement, comme Max et Fashion Boy, Nike propose un texte pauvre et n’a pas de flow. 

Pourtant, lui aussi accroche sur le net. Ces jeunes artistes rappellent un certain Ouzin Keïta dans le style. Cependant, cette tendance qu’ont les Sénégalais à les encourager en leur accordant des cliks sur youtube ne peut-il pas avoir un impact négatif sur l’évolution de la musique sénégalaise ? Oh que si ! pensent certains de nos interviewés. ‘’Je juge que c’est un danger pour la création musicale contemporaine. La musique est un travail qui se fait avec plusieurs corps de métiers. La chaîne de valeur doit être respectée afin qu’on ait une musique de qualité’’, déclare le journaliste et animateur des ‘’matins de RSI’’ Alioune Diop. Le secrétaire général de l’association des métiers de la musique (AMS) Guissé Pène est aussi catégorique que lui. ‘’C’est absolument dangereux pour la musique sénégalaise. C’est vraiment des choses négatives. Ces chansons sont faites de manière informelle.

A les écouter, on se rend même compte que la programmation est nulle et c’est un danger pour la musique’’, analyse Guissé Pène. Si ce n’était que la programmation musicale, beaucoup ne s’en offusqueraient pas peut-être. Mais même les textes sont vides de sens comme le relève d’ailleurs Guissé Pène : ‘’Ces chansons ne veulent rien dire. Ce ne sont pas des choses sérieuses.’’ ‘’Aujourd’hui au Sénégal, il y a des « objets musicaux non identifiés ». La boîte de Pandore a été ouverte avec Ouzin Keïta beureung barigot. S’il y a eu toujours dans notre pays des chansons sans queue ni tête, le Sénégal n’a jamais était à ce niveau de bétises’’, pense la présidente de l’association des journalistes culturels du Sénégal Oumy Regina Sambou. Et si Guissé Pène pense que ces jeunes ‘’s’amusent’’ seulement et que ceux qui réagissent sur facebook et youtube, c’est juste de l’humour, Oumy Regina Sambou est d’un tout autre avis.

‘’Dire que cette musique entre dans la même lignée que des chansons humoristiques de la trempe de gagnam style ne saurait résister à l’analyse. Ouzin Keïta est considéré comme un guignol. Il est invité partout pour être tourné en dérision. De tous ces délires, il n’y a que beignet qui sort du lot. Vu le beat choisi, on se rend compte que c’est un délire d’artistes ou de jeunes doués en informatique qui, après avoir été dégoutés des beignets, ont décidé de lui rendre hommage’’, indique cette dernière. Guissé Pène semble emboucher la même trompette qu’elle concernant Ouzin Keïta. Pour lui, ‘’beureung barigot’’ doit son succès à la compassion que les gens ressentaient à son égard. ‘’Au départ, l’intérêt suscité par Ouzin était lié au fait que certains pensaient qu’il n’était pas normal, et d’autres ont eu de la compassion pour lui à cause du petit handicap qu’il a. Et lui, on le connaissait déjà parce qu’il était souvent avec Ndèye Guèye’’.

Ouzin a aussi dû son succès à une habitude bien sénégalaise, selon la présidente de l’APCS : ‘’On a une société de voyeurs ou tout est vu, tout est consommé n’importe comment.’’ Cependant, le résultat reste toujours le même, le succès ne dure pas. Comme le dit Guissé Pène, c’est un ‘’succès kleenex’’. ‘’Les Sénégalais, même s’ils sont des férus de la musique, n’écoutent que ce qui est exploitable.’’ Ce qui fait dire à Alioune Diop qu’il est ‘’dangereux de croire que les Sénégalais sont prêts à écouter tout. Car si certains le sont, d’autres restent infaillibles sur la composition musicale’’. Encore que, pense Alioune Diop, ‘’si le créateur n’est pas honnête, c’est un danger pour le peuple’’. Et force est de reconnaître aujourd’hui que ‘’la médiocrité tant reprochés à nos leaders se voient partout, et les artistes ainsi que la création artistique ne sont pas épargnés’’, assure Regina Sambou. 

BIGUE BOB

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