Publié le 23 Apr 2012 - 11:25
MUSIQUE - SIA TOLNO, PRIX DÉCOUVERTE RFI 2011

''Pourquoi je m'explose sur scène...''

 

A Dakar pour un concert, ce samedi, à l’Institut culturel Léopold Sédar Senghor, dans le cadre de la tournée liée à son Prix Découverte RFI 2011, la chanteuse Sia Tolno s'est confié à EnQuête. Elle parle de son enfance douloureuse, son avanture à Africa’star, du mbalax. . .

 

 

Qui est Sia Tolno ?

 

Je suis chanteur, compositeur et lauréate du Prix RFI. Je suis originaire de la Guinée Conakry, précisément de la forêt de la Guinée. Je suis kissienne. J’ai étudié en Sierra-Leone, raison pour laquelle j’ai des problèmes pour m’exprimer correctement en français.

 

 

Comment êtes vous arrivée à la musique ?

 

La musique a toujours été un remède pour ma vie parce que je me réfugiais dans la chanson chaque fois que j’avais des soucis, quand j’avais des problèmes, mais aussi quand j’étais heureuse. La musique est comme un médicament pour moi. Cela m’aidait à faire le vide dans mon esprit. C’est ainsi que j’ai commencé à prendre goût à la musique. J’ai commencé comme choriste dans un groupe (de filles) de Conakry. A chaque fois que je venais en vacances à Conakry, elles m’amenaient au studio pour que je fasse les chœurs pour elles. C’était celui de mes cousines. Elles sont par la suite parties aux Usa. J’ai alors commencé à jouer dans les bars et les cabarets.

 

 

Est-ce que cela a été facile pour vous de vous lancer dans la musique ?

 

Mon père n’a jamais été d’accord pour quoi que ce soit. Il était professeur de français, il voulait que ses enfants soient comme lui en restant dans le système éducatif et être diplômés. Il était très dur. Aussi, il s’était marié avec une femme qui était elle aussi très dure. Il y avait beaucoup de tristesse à la maison. Ce n’est pas parce que mon père était pauvre. Non, du tout. C’est vrai qu’il n’était pas non plus riche mais on avait le minimum. Et malgré tout cela, il y avait la tristesse qui faisait que tu te sentais prisonnier. On n’avait pas le droit de trop rire. On n’avait même le droit de nous asseoir dans le salon de nos parents. Vous voyez un peu ce que c’est ? Ce n’est pas une souffrance où l’on a faim ou où l’on quémande. La femme étant aussi enseignante, c’est peut-être une déformation, elle était très stricte, plus que mon père d’ailleurs. Elle avait gagné le cœur de mon père. La situation était très dure. Si c’était un enfant blanc qui vivait cela, on lui suggérerait d’aller voir un psychologue. Mais en Afrique, c’est différent. L’ambiance dehors te détend. On trouve des gens à qui parler. Mais moi, j’étais très solitaire. Même à l’école je ne parlais pas beaucoup. Je n’avais pas le droit d’avoir beaucoup d’amis, sinon on me frappait à la maison. Même à l’école les gens avaient compris que j’avais peur de quelque chose.

 

 

Cela explique-t-il votre attitude fougueuse sur scène et dans vos compositions musicales ? Comme si vous revendiquiez une certaine liberté. . .

 

 

Un peu oui. Car en chantant, je me sens autrement comme si c’est le seul droit que j’avais. Je suis heureuse en chantant. Et j’espère en étant sur scène transmettre cela à ceux qui aiment bien ce que je fais. Comme je l’ai dit au départ, la musique est comme un médicament pour moi. Alors quand je l’extériorise, c’est comme si je le transmettais aux autres. C’est la raison pour laquelle quand je suis sur scène, j’y vais à fonds.

 

 

Pourquoi êtes-vous allée à Africa’star qui était pour les jeunes à la recherche de notoriété alors que vous aviez déjà un album dans les bacs et même un djembé d’or à votre actif ?

 

(Rire) C’est la première fois qu’on me pose cette question. C’est bien. Je savais, malgré tout ce que vous avez énuméré, que je n’étais pas encore là. Le Djembé d’or en Guinée, c’est très important. Mais cela ne m’amenait nulle part. J’ai sorti un album c’est vrai : La voix de la forêt. Il a eu un succès en Guinée. Après, j’étais dans des situations où il fallait coûte que coûte me débrouiller autrement. J’ai commencé par vendre de l’huile rouge en Gambie et du poisson salé en Europe. Le business ne m’a jamais réussi, je n’ai jamais été bonne femme d’affaires. Il ne me restait rien de ma musique. Je faisais une musique qui n’avait rien à voir avec les productions guinéennes. A l’époque, celle qu’on y faisait était des sonorités mandingues. Les grands producteurs ne connaissaient que ces sonorités-là. C’est maintenant qu’il y a de l’ouverture avec l’arrivée d’artistes comme nous. Donc, je me suis dit qu’il fallait que je me batte. Quand, je postulais pour Africa’star, je savais que c’était pour les plus jeunes quand même. Je n’ai pas eu honte pour çà. J’ai postulé et il y avait plus de 2500 artistes. C’est moi qu’ils ont choisie. Là-bas, quand les jeunes m’ont vue, ils se sont dits : ''mais qu’est-ce qu’elle vient faire ici, elle est star non ?'' Mais je n’ai jamais mis çà dans ma tête. Je me suis toujours dit que je suis appelée à faire mon travail que j’aime et si j’obtiens quelque chose demain, c’est par la grâce de Dieu. Je me bats toujours jusqu’aujourd’hui à faire connaître mon nom et ma musique. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas hésité à me présenter à Africa’star. Ce n’était pas un souci pour moi. Je l’ai fait tout naturellement comme une petite fille.

 

 

Que vous apporté de plus cette aventure à Africa’star ?

 

Beaucoup de choses. Ça m’a donné un autre sens de la musique que je n’ai jamais vu. Je chantais dans les bars et les cabarets, je ne savais pas qu’il pouvait avoir des professionnels autour du monde de la musique. C’était la première fois que je voyais que c’était intéressant, qu’il y avait des gens qui ont tout laissé à Paris, leurs familles et amis et viennent en Afrique avec des cameramen et autres pour ne s’intéresser qu’à la musique. C’était impressionnant. C’était la première fois que je vis cela. Cela m’a donné une autre vision de la musique et m’a fait croire qu’on peut bien s’occuper des chanteurs en Afrique. J’ai trouvé des candidats qui étaient très bien. On était là, chacun de nous avec son éducation, son style. C’est la première fois où j’ai vécu une situation où on était tous différents. On venait tous de pays différents et nos caractères étaient aussi divers. On est là dans une même maison et appelé à se supporter. Vers la fin d’Africa’star, j’avais presque quitté la maison, j’avais une chambre dehors. Non pas parce que je ne pouvais pas vivre avec les gens mais parce qu’on était très différents. Moi j’aime blaguer comme çà. Je suis quelqu’un de très chaude. Mais aussi j’ai mes moments de solitude. Mais Africa’star m’a permis de grandir, d’avoir une autre vision de ma musique. Je n’ai jamais aussi bien chanté. Car je devais reprendre des chansons mais moi je les chantais à ma manière pensant que ce sont mes chansons à moi.

 

 

A la suite de cette aventure, vous avez tenté une autre avec feu Manfila Kanté, fidèle ami de Salif Keita. Pouvez-vous revenir sur cette expérience ?

 

Effectivement, j’ai travaillé avec feu Manfila Kanté qui est mandingue. Donc, il n’a pas hésité à mettre son empreinte sur cette production. J’ai aimé quand même. Cela ressemblait plus à la musique que les Guinéens connaissaient. Une manière de dire que je peux aussi faire ce que fait la majorité. J’ai eu la chance de croiser à Africa’star Pierre Akendengué (NDLR: chanteur gabonais de renom) qui était notre prof de chant, après José Da Sylva. J’ai dû passer par là pour connaître Manfila et réaliser cet album Eh Sanga. Comme l’album était un projet, après sa réalisation, j’ai dit à mon producteur que j’ai quelque chose qui m’appartient. Il m’a demandé d’y travailler et de lui donner mon style. C’est ainsi que j’ai commencé à faire de l’afro-beat. Car le mandingue est doux et moi je ne suis pas comme çà.

 

 

Vous avez remporté le Prix Découvertes RFI 2011. Comment le vivez-vous ?

 

Trop bien. Avant de gagner ce prix, j’avais l’occasion de jouer un peu à Paris. Ce prix m’a rapproché de l’Afrique. C’est la première fois dans ma carrière que je tourne en Afrique. J’ai l’occasion de faire 23 pays africains et mon message porte plus. Car on a partout les mêmes réalités ou presque. Et quand je m’adresse au public, je m’adresse à moi-même. Je leur demande d'ouvrir les yeux. Ce qui nous a fatigués en Sierra-Leone, c’est la guerre. Je ne vais pas revenir pour leur dire que des gens meurent ou que des femmes sont violées. Cela va de soi. Il est difficile d’être réfugié. Tous les pays africains doivent être en paix. La guerre est honteuse. Quand on regarde l’Afrique sur France 24, BBC et autres, on a l’impression que nous Africains n’avons pas le droit de vivre dans le bonheur malgré toutes nos richesses. C’est pour cela que je suis très fière du Sénégal aujourd’hui. Après les élections, tout le monde s’attendait à ce que cela pète. Le Sénégal a montré qu’il est civilisé. Je suis trop fière. Je ne suis pas née Sénégalaise mais je suis africaine. Au cours de mes concerts, j’essaie de sensibiliser les jeunes. L’on pense qu’en changeant le système, notre jour arrivera mais cela n’arrivera jamais car les politiciens sont tous les mêmes. Alors ne nous entre-tuons pas pour eux. Leurs enfants sont en Europe pour étudier au moment où nous nous battons et entre-tuons. Ils vont revenir pour être encore nos rois et ceux de nos enfants. Alors passons toujours par les urnes.

 

 

Connaissez-vous la musique mbalakh ?

 

Oui, j’entendais cela quand j’allais en boîte, et les Guinéens adorent la musique sénégalaise. C’est une musique qui est différentes de ma culture, mais que j’aime quand même. Mais il faut vraiment savoir danser pour suivre les rythmes du mbalax.

 

BIGUÉ BOB

 

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