Publié le 7 Jul 2015 - 21:28
NDOGOU DEBAT SUR LES PROGRAMMES ECONOMIQUES

Le Pse passé au peigne fin

Modou Dieng, docteur en économie

 

Déficit d’information et de partage, absence de consensus, non-remise en cause du modèle économique, erreur sur le choix des secteurs stratégiques. Modou Dieng, docteur en économie, a listé les faiblesses du Plan Sénégal émergent. C’était samedi dernier à l’occasion d’un ‘’ndogu-débat’’ organisé par l’Association des cadres musulmans du Sénégal (Acms). 

 

L’association des cadres musulmans du Sénégal (Acms) a organisé un ‘’Ndogu-débat’’ autour de la contribution active de l’islam dans le plan Sénégal émergent (Pse). Une façon pour l’organisation de montrer qu’il ne s’agit ni d’accorder un soutien aveugle et une adhésion totale au Pse, ni de décrier tout le plan, mais plutôt de faire des critiques constructives en guise de participation, précise le secrétaire général, Balé Preira. L’un des panélistes, Modou Dieng, docteur en économie, a essayé de répertorier les forces, faiblesses, menaces et opportunités du Pse.

Evoquant les faiblesses et menaces, l’enseignant-chercheur a fait un réquisitoire sans appel. Si l’on en croit l’économiste, le premier des péchés du plan est le déficit en communication. Un déficit qui montre que les citoyens n’ont pas été suffisamment impliqués dans l’élaboration du plan. ‘’Les Sénégalais entendent parler du Pse, mais ils ne connaissent pas les tenants et les aboutissants. Est-ce qu’on avait la possibilité de donner son avis, d’être consulté, afin de donner son point de vue ?’’ se demande-t-il.

‘’Au Sénégal, nous sommes 12 millions d’entraîneurs quand il s’agit de football. Nous sommes experts en tout. Nous risquons de perdre du temps alors que les Ivoiriens ne palabrent pas’’, réplique Amar Niang conseiller au ministère de l’Economie et des Finances, représentant le patron du Bureau opérationnel de suivi (Bos). D’autres intervenants comme Dr Khadim Mbacké, chercheur et le député Imam Mbaye Niang, ont appelé les Sénégalais, surtout les cadres, à apporter leur participation et éviter d’avoir une posture d’observateurs ou de critiqueurs. Tous les deux sont d’avis qu’avec la participation de tous, ces imperfections peuvent être corrigées au fil du temps.

Dans tous les cas, constate l’économiste, ce manque d’information et de partage est la conséquence de la deuxième faiblesse du plan : l’absence de consensus national. Modou Dieng se demande si les Sénégalais adhèrent aux programmes, et surtout au modèle économique. Il estime, en effet, qu’il n’y a pas une remise en cause du modèle économique existant depuis 1960. Or, ce modèle extraverti et dépendant presque exclusivement de facteurs exogènes (pétrole, dollar) n’est pas le meilleur pour le développement du pays.

Il y a donc là, non seulement une faiblesse mais aussi une menace. Car avec l’absence de consensus, rien ne garantit que les futurs gouvernants du pays adhèreront à cette vision qui prétend pourtant s’étendre sur 35 ans. Et si tel n’est pas le cas, ils pourront mettre un terme à tous les programmes et projets. L’économiste en veut pour preuve le sort réservé aux programmes que l’actuel pouvoir a trouvés sur place. ‘’On ne parle plus de Reva (devenu Anida), de Goana, de la grande muraille verte. Il y a eu une rupture totale avec ces programmes. Demain aussi, il pourrait y avoir une rupture totale avec les projets actuels’’, avertit-il. 

Mauvais choix sur les secteurs stratégiques

Une troisième faiblesse du Pse, de l’avis de M. Dieng, se retrouve dans les secteurs ciblés. L’enseignant chercheur  qui a parcouru le document affirme que le plan donne la priorité au secteur tertiaire et quaternaire. Or, l’écrasante majorité des Sénégalais s’activent d’abord dans le secteur primaire (environ 70%) puis dans le secteur secondaire. Ce qui veut dire que les acteurs des secteurs tertiaire et quaternaire sont largement minoritaires. De ce fait, même si de la richesse est créée à ce niveau, la redistribution se fera auprès d’une minorité. Par conséquent, la grande masse ne ressentira pas l’impact.

Malgré ce tableau sombre, Modou Dieng n’en admet pas moins que le plan constitue une rupture en ce sens qu’il est ambitieux et s’étend sur une longue durée. Ce qui, en soit, est une nouveauté fondamentale par rapport aux autres programmes qui s’étendaient sur quelques petites années. Il y voit également une réelle volonté de renforcer le capital humain, en plus de la prise en compte de l’aspect environnemental. Toutefois, il n’a pas hésité à qualifier de surréaliste l’objectif de 8% de croissance en 2018.

30  milliards de dette mensuelle

Le Docteur en économie, Modou Dieng, s’est aussi intéressé aux conditions de financement du Pse et à la dette du Sénégal. D’après l’enseignant-chercheur, le pays s’endette à hauteur de 30 milliards par mois. ‘’Quand vous regardez le profil d’endettement, l’Etat utilise beaucoup d’argent sur le marché financier, notamment sur les obligations et les bons du Trésor qui sont des emprunts fractionnés. C'est-à-dire que l’Etat émet des bons du Trésor à un million ou des obligations à 10 000 F et les vend sur le marché financier. L’Etat s’endette beaucoup à court terme,  environ 30 milliards par mois. Cela veut que si vous vous endettez du mois de janvier au mois de décembre, le prochain mois de janvier, vous allez vous endetter pour rembourser la dette. Cela veut dire que tu ne crées pas de la richesse, tu supportes le service de la dette’’.

C’est pourquoi l’économiste se montre inquiet à propos de la part attendu des bailleurs et devant financer le Pse. Modou Dieng regrette le fait que les autorités parlent toujours de partenaires sans dire qui ils sont exactement. Quelles sont les conditions assorties aux prêts et selon quelle échéance ? Car pour lui, il ne s’agit pas seulement de trouver de l’argent, parce qu’il y a des dettes toxiques, avec des taux impossibles et des conditions extrêmes. Il recommande surtout à l’Etat de revoir le profilage de la dette et d’avoir des dettes sur une période de 10, 15 à 20 ans.

 

 

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