Publié le 28 Jan 2018 - 19:18
NDOTHIE, LA TERRE DES JARAAF

Immersion dans les mystères de la royauté au Djolof

 

Situé au cœur du Nguénki, qui correspond à l’actuelle commune de Kamb, dans le département de Linguère, le village séculaire de Ndothie regorge d’histoires et de places mythiques. Il est méconnu des Sénégalais, en général, et les Djolof-Djolof, en particulier. C’est pourquoi ‘’EnQuête’’, votre quotidien d’investigation, dans le cadre de ses reportages sociétaux, vous plonge dans l’univers de l’intronisation des Bourba Djolof. De la pierre de bain rituel à l’intronisation du Bourba Djolof par les 7 Jaraaf du Nguénki, en passant par le Mbirguilé ou arbre sacré, sans oublier le puits et les baobabs mythiques. Prenant prétexte de la 53e édition du Gamou prévue le 27 janvier 2018, votre serviteur est allé à la découverte de Ndothie, le village des Ndiobène. Une page d’histoire nous est contée.

Reportage

Dahra. Il est 15 h au lieu de départ des horaires ‘’Op Yah’’ (laissez filer). Les lieux grouillent de monde. Les apprentis interpellent les passants pour remplir les taxis-brousse stationnés en file indienne. Le décor attire forcément l’attention du visiteur. Une demi-heure plus tard, le véhicule s’ébranle. Direction Gouloum. La piste passe par Ndothie, notre destination. Après quelques vingt minutes de trajet facilité par la piste latéritique mise en place par le Programme d’aménagement et de développement villageois (Padv), il y a une dizaine d’années, Ndothie est en vue. Le village des Ndiobène. Et pour cause. Ici, le patronyme type est celui de Diop. Ce qui leur a valu cette chanson éponyme ‘’Ndothie baali guy aki daxaar ku fa xamut né ko Diop’’. Une fois l’identité de votre serviteur déclinée, le cousinage à plaisanterie tourne à plein régime.

Ce lieu est devenu célèbre et se confond avec l’épopée des rois du Djolof. En effet, c’est sur ces terres que démarrait le règne de tout Bourba, avec le rituel d’intronisation et les présages et augures du règne dans l’empire. Les Bourba du Djolof effectuaient le déplacement à Ndothie pour prendre les traditionnels bains rituels, avant toute prestation de serment devant les 7 sages communément appelés ‘’Jaraaf’’. Ces dignitaires, choisis parmi les chefs locaux des hommes libres (Jambour) de haut rang, devaient être issus de 7 des 12 villages principaux du Djolof. L’assemblée des 7 grands électeurs était composée de Ndothie, Ngaraaf, Louille, Ngouille Dièry, Dièry Biraane et Gouloum Ndiarno. Elle était présidée par le Grand Jaraaf du Nguénki.

Accueilli par un guide, la visite démarre par le site appelé ‘’Nguent Ngomène’’. Ici trône majestueusement un baobab tutélaire (voir photo). Pour rappel, ce lieu était habité par ceux qui portaient le nom de Ngom. C’est par la suite que le village de Ndothie fut délocalisé vers l’actuel site qui abrite les demeures.

Ndiaasew ou la pierre sacrée

Il n’est pas aisé de retracer l’origine du village de Ndothie. Mais plusieurs sources orales datent sa fondation aux environs de 1736. Etymologiquement, il vient du mot wolof ‘’dothie’’, qui signifie pierre ou caillou. Donc, Ndothie porte le nom de la pierre sur laquelle les Bourba prenaient leurs bains rituels avant de diriger l’empire du Djolof, en souvenir de l’ancêtre mythique Ndiadiane Ndiaye qui, selon la légende, avait séjourné longtemps dans le fleuve...

Ce bloc de pierre surnommé ‘’Ndiaaséw’’, qui est toujours visible à Ndothie, avait une hauteur de 2,35 m. C’est pourquoi le nouveau souverain était soulevé pour qu’il puisse monter dessus. Aujourd’hui, la pierre est très fortement érodée par les intempéries et affleure le sol. Pour ceux qui ne le savent pas, afin de procéder au bain rituel, les Jaraaf préparaient, à l’abri des regards indiscrets, une mixture faite de divers ingrédients dont du mil, du maïs, de l’arachide, du bissap (oseille de Guinée), des racines d’un arbre appelé ‘’Dialambaane’’, de 7 grains de terre prélevés de chemins différents menant au village, de 111 cailloux ramassés dans un puits en construction, 111 épines arrachées d’un arbre appelé ‘’soump’’ (acacia radiana). Bien sûr, il y avait d’autres éléments secrets et des incantations ésotériques dont les Jaraaf détenaient jalousement le secret et se les transmettaient de génération en génération.

Sangou ndiassew avait plusieurs fonctions. Il servait de protection mystique au nouveau Bourba fraichement intronisé. Il lui permettait d’avoir une ouverture. En outre, il présageait du règne royal. En effet, après le bain, ces différentes variétés étaient cultivées sous la pierre. Les Jaraaf épiaient leur germination, leur épanouissement, leur floraison et leur fructification. Du développement des plantes, les Jaraaf devinaient le climat à venir : paix, prospérité, durée du règne, etc.

Parmi les Jaraaf célèbres de Ndothie, on peut citer Gana Koulou Diop, Latyr Mbagnick Diop et Bira Awa Paya Diop.

Le Mbirguilé ou l’arbre sacré

Selon le Dr Ababacar Diop, natif de Ndothie et par ailleurs membre du Groupe de réflexion pour le développement de Ndothie, ‘’le Bourba Djolof, après Ndiassew, devait forcément passer au Mbirguilé pour le second bain’’. L’arbre sacré appelé ‘’Mbirguilé’’ est… unique au Sénégal, d’après nos interlocuteurs qui nous renseignent que c’est une espèce étrangère. Selon les informations recueillies sur place, le bois mort de cet arbre n’est jamais utilisé comme bois de chauffe. ‘’Quiconque a la malchance ou le toupet de l’utiliser pour la cuisson, en payera le prix fort. Sa maison, disent-ils, prendra feu et la femme qui a ramassé le bois sera poursuivie par la malédiction des djinns’’.

C’est sous cet arbre mystique que le Bourba, après un dernier bain, était intronisé et faisait sa prestation de serment. Auparavant, il en faisait le tour, en présence des 7 Jaraaf qui officiaient. En temps de guerre, rapporte-t-on, l’armée du Djolof venait faire 7 fois le tour du Mbirguilé, avant de déclencher les hostilités contre l’ennemi.

A signaler que le royaume du Djolof fut très organisé et encadré par des institutions politiques et administratives fortes, à l’image de l’assemblée des grands électeurs composés des 7 chefs, des hommes libres qui choisissait le Bourba d’après plusieurs conditions : le roi devait être l’aîné de la famille Ndiaye, posséder des qualités et dons exceptionnels (vaillance, popularité…).

Cette auguste assemblée, qui facilitait la succession des rois, peut être assimilée à l’actuel Conseil constitutionnel qui valide ou invalide les candidatures, les résultats à l’élection présidentielle, reçoit le serment et installe dans ses fonctions le président de la République élu.

Gouye Guéweul et Gouye Mbaba

Autre miracle du village de Ndothie, c’est Gouye Guéweul. Selon les sages du village, les troupes du royaume y installaient un campement, à l’occasion des veillées d’armes dirigées par les griots qui galvanisaient les chevaliers et leurs troupes tiéddo. Le fameux ‘’xass’’ ou rite d’autoglorification ! Et durant cette nuit blanche d’héroïsme, les guerriers éprouvaient tour à tour leur bravoure en clamant urbi et orbi leurs comportements exemplaires à la bataille, symboles de fidélité au roi, de fierté face à leurs semblables (nawlé) et de place de choix dans l’histoire du royaume. Si le griot tombait à la bataille - et cela arrivait souvent - sa tête était posée sur le baobab pour signifier son courage. Ce site se trouve sur le lit d’un marigot.

L’autre baobab du nom de Gouye Mbaba est passé à la postériorité. Il continue de servir de totem, surtout pour les filles nubiles qui, une fois mariées, avant de regagner le domicile conjugal, en font impérativement trois fois le tour pour s’attirer ses bonnes grâces : bonheur, fécondité, etc.

Le puits mythique interdit aux femmes enceintes…

Foré par le dernier roi du Djolof, du temps de l’Afrique occidentale française (Aof) en 1904, le puits mesure 100 m de profondeur. Mais ce n’est pas un puits… ordinaire. D’après nos sources, l’accès au puits est interdit aux femmes enceintes de 6 mois. L’histoire défraie la chronique, si l’on se fie aux nombreux événements pêle-mêle qui s’y sont déroulés. Pour preuve, la première fois qu’une femme a dérogé à la règle, le puits s’est tari et les nombreuses âmes qui y vivent ont été assoiffées pendant quelques jours. Le savon aussi y est interdit. Aucune personne n’y a jamais perdu la vie. Mais des animaux y étaient sacrifiés…

Autre singularité : si une femme met au monde un enfant de sexe masculin, il lui faut respecter une quarantaine post-natale de 4 mois avant de revenir au puits.

L’interdiction arrivée à terme, une fête est organisée en l’honneur de la dame à côté du puits. Des bonbons sont distribués, tout le monde chante et danse pour marquer l’événement. Ces faits témoignent du volet culturel indissociable de l’histoire.

A quelques jours de la célébration de la 53e édition du Gamou, le Groupe de réflexion pour le développement de Ndothie veut mettre les petits plats dans les grands. Il a entamé la réhabilitation de la mosquée construite par feu Ben Bass Diagne, du ‘’daara’’ construit par les ressortissants et une case de santé dont le salaire du personnel soignant est entièrement pris en charge par les populations. Les édifices publics fonctionnent à l’énergie renouvelable à travers le solaire grâce au Padv.

Le groupement féminin développe plusieurs activités génératrices de revenus, comme le maraichage et l’aviculture. Faisant d’une pierre deux coups, ils ont profité de la visite du reporter d’’’EnQuête’’ pour lister des doléances qui ont pour nom une ambulance pour évacuer les patients vers les autres structures de santé, le relèvement du plateau technique en érigeant la case de santé en poste de santé.

Ils déplorent toujours le silence du ministre de l’Intérieur Aly Ngouille Ndiaye qui n’a pas tenu sa promesse de faire murer les sites historiques précités. 

MAMADOU NDIAYE (LINGUERE)

 

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