Publié le 30 Jun 2015 - 20:13
NOTE DE LECTURE

‘’Islam, l’autre visage’’  

 

d’Eva de Vitray-Meyerovitch Editions : Albin Michel – 170 Pages

 

Il est des rencontres qui illuminent toute une vie. Celle faite avec Eva de Vitray-Meyerovitch  est de celles-là.

Par la grâce d’un frère et ami établi dans l’Hexagone, j’ai eu la chance de découvrir cette grande intellectuelle française, docteur en islamologie, chercheuse au CNRS dont elle dirigea le service des Sciences Humaines, première femme à enseigner la philosophie comparée à l’université d’al-Azhar dans les années 1950. Tôt convertie à l’Islam, elle passa le restant de sa vie à nous faire découvrir les fondements mystiques de la religion musulmane jusqu’à sa mort  en 1999, à l’âge de 90 ans.

Autour d’un entretien avec des journalistes chrétiens ancrés dans leur tradition, « Islam, l’autre visage » est né, livre témoignage de moments privilégiés auprès de cette femme qui a eu cette générosité d’offrir à ses interlocuteurs cet Islam des mystiques, l’Islam de la tendresse. Elle nous renvoie à Carlo Carretto qui disait que « si la théologie divise, la mystique unit  les hommes de toutes les traditions et qu’à un certain niveau d’être, tous les « croyants » vivent la même expérience. »

Comment cette femme née dans l’aristocratie française et élevée chez les religieuses a-t-elle pu se faire musulmane ? Que s’est-il passé et pourquoi ? Elle avoue avoir vécu une enfance très catholique et a même fait sa première communion et, reconnaît avoir été une fille très pieuse.  L’intellectuelle qu’elle est, fait une rencontre qui va changer sa vie.  Elle découvre l'islam à travers le livre du penseur et poète Muhammad Iqbal : Reconstruire la pensée religieuse de l'islam.

Des questions s’invitent dans sa réflexion et après trois années d’exégèse chrétienne à la Sorbonne, elle choisit de devenir musulmane et comme elle le dit elle-même : « Il faut déjà être prêt pour qu’une rencontre ou un livre puisse faire basculer votre vie. »

Une autre rencontre va être décisive pour elle, celle faite avec le grand poète et philosophe, Jalâl udDîn Rûmî initiateur et guide de Muhammad Iqbal et dont elle s’intéressa de très près. D’eux, elle apprendra que « l’amour seul est éternel » et que «  tout ce qui monte converge », signifiant que si certains veulent aller au bout de leur bouddhisme, de leur christianisme ou de leur islam, ils ne peuvent que se retrouver dans la soumission à Dieu.  Partant de l’idée que l’Islam ne récuse rien, ne renie rien  et accepte toute révélation incarnée dans un livre authentique, elle puise à la source pour concilier les différentes compréhensions du message divin. Elle nous rappelle que « Dieu a pour ses créatures la même tendresse qu’une mère qui porte son enfant dans son sein ».

De même, nous parle-t-elle du symbole de la roue, le symbole même de la tolérance du véritable Islam qui est la soumission à Dieu. Si vous êtes au centre de la roue, dans la soumission à Dieu, vous êtes dans la Vérité que vous soyez chrétien, musulman, bouddhiste…, nous dit-elle, allant même jusqu’à affirmer que « tout homme soumis est un bon musulman et qu’à contrario si vous restez sur la jante de la roue, vous êtes comme les mollahs fanatiques ou les intégristes catholiques. » En quelque sorte, c’est l’œcuménisme total, mais un œcuménisme qui ne soit pas un syncrétisme…Pour elle, tout croyant peut être musulman dans le sens très large de l’attitude d’esprit. Il lui suffit d’être soumis à Dieu. Cette soumission, cet abandon de tout l’être à la volonté divine, n’est-ce pas l’axe commun de toutes les religions, car celui qui s’abandonne à Dieu, Dieu lui suffit. Et de rappeler Dante qui parlait de l’acceptation en ces termes : « Sa volonté est notre paix. »

En fait,  la découverte de l’islam a été pour elle comme des retrouvailles…

Sa réflexion s’appuie sur cette idée forte que les trois religions abrahamiques s’accordent pour dire que Dieu Se révèle à l’homme et dès lors, le message fondamental est le même, et c’est celui qui est Essentiel. Tout le reste n’est que réflexion sur une donnée révélée qu’on peut interpréter de différentes façons, nous dit-elle. Il est dit que Dieu ne laisse jamais un peuple sans une révélation, ce que théorise  Saint Paul nous disant : « En divers temps, en divers lieux, Dieu a parlé aux patriarches et aux prophètes. » Et pour nous mettre en garde, ne nous dit-elle pas qu’il nous faut nous méfier des paroles car ce sont elles qui engendrent les erreurs et les contradictions.

Islam de tolérance et d’ouverture

Eva de Vitray-Meyerovitch aborde aussi  dans ce livre entretien des questions intéressantes telle la dimension sociologique qu’il faut intégrer dans certains principes de l’Islam,  le Droit musulman et le rôle des jurisconsultes dont la raison d’être est de « reconstruire la pensée religieuse de l’Islam » pour reprendre le titre du livre d’Iqbal. La polygamie s’invite aussi dans ses réflexions et apparaît pour elle comme une exception et que la règle, c’est la monogamie si l’on se réfère à l’esprit  du Coran. Tout un débat….

In fine, insiste-t-elle sur le sens profond  de trois choses : le pardon en Islam, préférable à toutes les punitions, le souvenir remontant à la plénitude de l’homme avant sa naissance, ce qui explique notre nostalgie pour le Divin car n’oublions pas que dans l’Islam, les âmes sont préexistantes au corps et enfin, la prière qui est une communion.

Très beau livre qui nous parle de cet Islam de tolérance et d’ouverture.

Eva de Vitray-Meyerovitch meurt le 24 juillet 1999 dans son appartement parisien.

En 2008, elle est ré-inhumée à Konya (Turquie) face au mausolée de son maître et guide Jalal udDîn Rûmî.

Elle nous  laisse une riche bibliographie composée d’œuvres sur l’Islam et le soufisme, de traductions d’ouvrages de Rûmî et de Muhammad Iqbal.

Son livre intitulé « Anthologie du soufisme » demeure une référence et celui consacré à la prière titré  « La prière en Islam »,  un bréviaire qui décrit le sens profond de ce pilier de  la religion.

Ameth GUISSE

 

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