Publié le 5 Dec 2018 - 04:46
NOTES DE LECTURE ‘‘LE SENEGAL AU CŒUR’’

Quand Macky Sall se la raconte

 

‘’EnQuête’’ vous livre ses impressions sur les points qui ont suscité son intérêt dans ce livre de 167 pages publié aux éditions Cherche-midi, au courant de novembre 2018.

 

On n’a pas aimé : Le récit n’est pas linéaire et le classement des chapitres pas forcément des plus judicieux. Par exemple, pour celui intitulé ‘‘La diaspora, notre quinzième région’’, difficile de comprendre comment il s’est intercalé deux passages biographiques importants. Il est également difficile de classer cette œuvre dans un genre précis. Si les premiers chapitres relèvent de l’autobiographie, le reste est un mélange de profession de foi, de traité historique, de programmes politiques... Pour les puristes de la littérature, l’auteur prévient tout de suite qu’il ‘‘n’est pas un écrivain au sens classique du terme’’. Ceux qui sont familiers du contexte sénégalais seront tentés de faire des sauts avec des explications assez évidentes sur l’organisation sociale. Heureusement que l’auteur prévient qu’il ‘‘n’écrit pas ce livre pour les Sénégalais seulement’’.

On a aimé : livre facile à lire, au style dépouillé. Comme promis en prologue, les Sénégalais friands d’avoir un insight psychologique sur ce président avare en démonstrations de sympathie ou d’affection, ne seront pas déçus sur les douze premiers chapitres.

Dérapage Me Wade : La réaction aux propos de Wade insultant son ascendance est le premier point sensible qu’aborde Macky Sall aux pp 19-20. A la veille du verdict de la Crei sur l’enrichissement illicite et corruption intenté à Karim Wade, M. Abdoulaye Wade avait traité son successeur de ‘‘descendant d’esclaves’’, entre autres insultes. Macky Sall assure avoir pris la chose avec beaucoup de philosophie. ‘‘J’ai demandé à mes proches, à ma famille et à tous ceux du Fouta indignés et blessés par ces paroles fausses et d’un autre âge, propos au ras du caniveau, tenus par un homme coutumier du fait, de ne répondre à ces insultes que par le mépris. Je ne crois pas que le Sénégal gagnant en rouvrant ces plaies, ce débat sur l’ethnie, sur la classe sociale’’.

Ego-trip : Au rap, Macky aurait fait de bons punchlines. Malgré l’autoportrait de l’homme modeste qu’il se dessine, Prési, à l’instar de tous les hommes politiques, développe un ego, verse dans l’autocélébration, l’estime de soi, limite orgueilleux. L’ingénieur géologue n’a bien sûr pas résisté à l’envie de faire coïncider la découverte des énormes ressources pétrolières et gazières à sa venue au pouvoir. ‘‘Je suis très heureux d’être le président qui a accompagné les formidables découvertes en matière d’énergie survenues depuis 2015’’.  Mais c’est surtout le clash avec Idrissa Seck qu’il se plait à rapporter.

Ce dernier, alors Premier ministre (2002-2004) est dépeint comme ‘‘un homme tendance autoritaire’’, qui ‘‘ne demande pas’’, mais ‘‘ordonne’’. Une esquisse peu élogieuse de l’actuel président du Conseil départemental de Thiès sur deux pages (60-61) sous des vocables durs : ‘‘Arrogance, certitude d’avoir raison, autoritarisme’’ fait par Macky avant de se jeter des fleurs lui-même quatre pages plus loin comme étant ‘‘le Premier ministre au mandat le plus long sous Wade’’. Même envers ce dernier dont il assume sans complexe le mentorat, Macky Sall a envoyé subtilement des piques, soulignant son manque de clairvoyance qui lui coûtera cher après leur séparation en 2007. ‘‘Désormais, j’étais devenu de fait le premier opposant au régime du président Wade, même s’il ne le comprendra que bien plus tard. Et il était trop tard’’, jubile-t-il en page 89 dans un chapitre dont le titre ne porte aucun équivoque pour les férus d’histoire chinoise : ‘‘La Longue Marche’’. Sans vouloir se comparer à Mao-Tsé Toung, assure Macky.

Marème Sall. Ce livre aurait pu s’appeler ‘‘Marème au cœur’’ que c’en n’aurait pas été plus surprenant. Il est d’ailleurs critiquable de voir que l’actuelle première dame n’ait fait pas l’objet d’un chapitre à elle seule, vu le sacrifice qu’elle a fait d’arrêter ses études universitaires qui lui auraient permis de devenir ingénieure et se consacrer à sa progéniture par amour (P.160). Seul lot de consolation, une déférence particulière et un sentiment authentique d’amour et de reconnaissance irradient le lecteur à chaque fois que Macky Sall aborde sa relation avec celle qui est la première dame.

‘‘Indispensable, Marème mon épouse reste ce roc qui me sert de point d’appui. C’est elle qui m’a encouragé à ne rien céder’’, raconte l’auteur (P. 83) qui assure que cette dernière est allée lui trouver des chansons de la généalogie familiale pour fouetter son ego. Marème Sall est d’abord cette ‘‘pépite’’ de la P.52 en qui Macky Sall, géologue de Petrosen en mission d’exploration à Diourbel, trouve la femme de sa vie. C’est ensuite cette sauveteuse d’apparence qui s’improvise porte-bagages d’un Macky à l’aéroport de Bamako. En pleine adversité politique, Macky, récemment déchu du parloir, refuse, par méfiance, d’enregistrer ses bagages pour un vol et décide de les porter en cabine. Le hasard fait qu’il a partagé l’avion avec son successeur à l’Hémicycle, Mamadou Seck, à l’aéroport de la capitale malienne.

‘‘Tu ne peux pas apparaitre comme quelqu’un qui a perdu son statut. Tu descends, moi je me charge des valises. Je vais me débrouiller’’, a dit Madame à son époux malgré l’évidence qu’elle ne pouvait les porter. Ce qu’elle fera, aidée par un steward. Macky fera bonne figure avec son cartable. L’honneur est sauf et Macky Sall ne s’y trompe pas : ‘‘Je dois à Marème une reconnaissance pour tout son dévouement d’épouse et de militante. Nous sommes passés par des moments très difficiles et elle n’a jamais flanché’’ P.93.

Malheureusement pour Marème, le souvenir évanescent de la ‘‘bande à Sandrine’’ (paragraphe de fin de la P.31) va tout gâcher. Bon, vous connaissez déjà l’histoire, on ne va pas vous la refaire. Quoique... Macky Sall et trois de ses compagnons, alors jeunes étudiants, s’étaient collectivement amourachés de la belle Sandrine. Ils passèrent un pacte pour que personne ne coiffe l’autre sur le poteau.  L’anecdote ne dit malheureusement pas comment tout ça s’est terminé.

Zapping et ratés : pour reprendre un langage populaire jeune, Macky Sall n’a pas voulu donner le buzz à certains individus ou collectifs. En relatant les péripéties du combat citoyen qui ont fait plier Me Wade en 2011 (P.94), il a royalement zappé le mouvement Y en a marre qui a pourtant impulsé une dynamique unitaire nouvelle à laquelle se sont ralliés les opposants, dont lui-même brièvement. Celui qui a été présenté comme son compagnon de route et même n°2 de l’Apr, Me Alioune Badara Cissé, paie peut-être ses positions séditieuses après l’accession au pouvoir, n’ayant pas eu droit à l’honneur d’une mention présidentielle dans ce livre comme l’ont été Mbaye Ndiaye, Moustapha Cissé Lô, Thérèse Faye, Abdoulaye Sally Sall, Ousmane Masseck Ndiaye...

Quelques erreurs font également tiquer le lecteur. Par méprise, sur le surnom mythique de son mentor, ‘‘Laye Njomboor’’, en page 48, on a fait traduire ‘‘lièvre’’ par ‘‘Laye’’ au lieu de traduire par ‘‘Njomboor’’.  Macky Sall, parlant du nombre de victimes dans le naufrage du ‘’Joola’’, s’est également emmêlé les pinceaux, puisqu’il a avancé 1 683 morts (P.51) alors que ce sont 1 863 décès qui ont été enregistrés officiellement. Un autre chiffre, ou plutôt une date que Macky Sall n’oubliera pas de sitôt, est le 23 septembre. Ses deux parents sont décédés ce jour, à neuf ans d’intervalle ; en 1998 pour le père et en 2007 pour la mère. 

OUSMANE LAYE DIOP

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