Publié le 11 Jan 2012 - 16:27
NOUVELLE CIMENTERIE – DANGOTE ET SON VOISINAGE

Entre frustrations et révolte imminente

Dangote cimenterie

C'est loin d'être béton entre la nouvelle cimenterie Dangote et son cadre d'accueil. Implantée dans la communauté rurale de Keur Mousseu, à peu près à quelque sept kilomètres de la commune de Pout, la nouvelle unité industrielle en cours d'installation se trouve dans une forêt classée menacée de disparition dans quelques années, si rien n’est fait.

 

 

C'est du moins l'avis des habitants des villages riverains, dont Mor Kébé, chef de Ngomène, village situé à quelques centaines de mètres de la cimenterie. ''L’usine n’a pas encore commencé à produire, mais nous avons des craintes quant à la poussière qui, parfois, avec les engins qui sont en train de sortir les gravats de la carrière, envahit tout le village.

 

 

Qu’est-ce qui se passera lorsque les concasseurs commenceront à fonctionner ?'', s'interroge le septuagénaire apparemment inquiet pour le devenir de son terroir une fois que les immenses machines de Dangote se mettront en marche.

 

 

Un petit tour sur le site permet même à un profane d’imaginer le danger à venir. A quelques encablures de la localité de Ngomène, est érigé le tapis roulant chargé d’acheminer la roche de calcaire jusqu’à l’intérieur de l’usine. Le chef du village soutient aussi que ''les amas de gravas tirés du creusement de la carrière sont en train de détruire le milieu. Il faut surtout savoir que c’est nous qui respirons la poussière''.

 

 

A l’Est de la cimenterie, dans la partie où se trouve une surface des terres du défunt khalife Serigne Saliou Mbacké, la poussière a commencé à faire désordre. Même si le phénomène n’a pas atteint une grande ampleur, l’on se demande comment sera cette zone dans quelques années sur le plan environnemental.

 

 

 

Le village de Galaan menacé de disparition

 

 

Pis. D’aucuns disent que le village de Galaan sera rayé de la zone. En effet, la localité habitée en majorité de Peulhs se situe dans le périmètre de l’usine. Selon un de ses habitants qui ne souhaite pas révéler son nom, ''le village va être délocalisé sous peu. Les responsables de l’usine sont venus estimer tous les biens immeubles du village, c'est peut-être pour nous dédommager''. D'après le Galaanois, la cohabitation entre Dangote et le village est impossible puisque sous peu, il n’y aura même pas une seule prairie où le bétail pourra paître.

 

 

 

En fait, outre d'être à cheval sur les terres de Serigne Saliou et celles de Serigne Mansour Sy, khalife général des Tidjanes, la filiale du holding Dangote investment est voisine des villages de Ngomène, Ndikhip, Seun, Ndeuye et Galaan, pour ne citer que les plus proches.

 

 

Leurs populations ne se font guère d'illusion. Elles sont unanimes à répéter : ''Beaucoup d’entre nous seront obligés d’aller habiter ailleurs pour continuer le travail de la terre, mais aussi pour le bétail''. Pour le vieux Mor Kébé : ''Cette hypothèse n’est pas à écarter car nous n’avons pas encore mesuré l’ampleur des dégâts si l’usine commence à produire''. Nos tentatives pour avoir, sur ce point, la version de la direction de la société de cimenterie sont restées vaines.

 

 

 

Gâteries pour les uns, frustrations pour les autres

 

 

Selon le Galaanois qui s’est confié à EnQuête, ''malgré la situation du village liée aux désagréments que lui cause l’usine, ses habitants sont choyés par les responsables de l'unité industrielle''. A en croire notre interlocuteur, beaucoup de villageois y travaillent. ''Cette année, Dangote a doté le village de cinq billets pour La Mecque'', révèle le jeune villageois, qui ajoute que ''tout dernièrement, lors de la fête de Tamxarit (fin de l’année musulmane), les dirigeants de l’usine ont fait don de deux gros et beaux taureaux (au village). L’année dernière, nous en avions reçu trois''. Mais, pense notre interlocuteur, les Galaanois cohabitent avec Dangote en contenant leurs frustrations. Mais jusqu’à quand ?

 

 

 

D'un autre côté, cette ''générosité'' pour Galaan suscite de la grogne ailleurs. Les autres villages de la communauté rurale estiment que Galaan est privilégié au détriment des autres hameaux. Pour eux, les industriels doivent plutôt trouver les moyens de doter tous les villages en électricité et eau courante, principaux casse-têtes des populations.

 

 

En outre, des travailleurs nationaux comme étrangers s’activent jour et nuit dans l'installation de la nouvelle cimenterie. Pour le recrutement des ouvriers, la Sosat du colonel Omar Ndiaye a été choisie comme société sous-traitante. Aujourd’hui, ces travailleurs élèvent la voix pour dénoncer leur traitement. D’ailleurs, des licenciements ont été notés en très peu de temps d’existence.

Mais le phénomène le plus frappant, c’est une grande présence d’étrangers. Ce sont des Chinois et des Indiens, selon les confidences de travailleurs. Les Chinois et Indiens se chargeraient des travaux importants, tandis que les nationaux ne s'occuperaient que de la manutention.

 

 

A ce niveau également, les habitants des autres villages environnants se sentent défavorisés dans les recrutements des ouvriers. De l’avis du chef de village de Ngomène : ''Tout ce que l’on nous avait promis est resté lettre morte. J’ai déposé les demandes de tous les diplômés de la localité afin qu’ils puissent trouver un emploi dans l’usine, mais jusqu’à présent, l’Indien qui est chargé du recrutement ne fait que des promesses''. Mor Kébé ajoute que quarante chauffeurs ont déposé leurs demandes auxquelles il n'a pas été donné de suite.

 

 

''Effectivement, la Sosat est chargée de mettre à la disposition de la Sinoma du personnel'', admet le directeur financier chargé du recrutement du personnel à la société intérimaire, Mouhamadou Lamine Wade. Mais il précise que dans le recrutement, ce sont les populations de la communauté rurale de Keur Mousseu et de Pout qui sont prioritaires. ''On peut dire que les 80% de ceux qui interviennent à Dangote sont de la zone'', soutient M. Wade.

 

 

 

Menaces de révolte

 

Quelque temps après la disparition du vénéré khalife Serigne Saliou Mbacké, tous les jeunes talibés de la zone, et même ceux de Pout, avaient entrepris de marcher sur l’usine et d’y tenir un sit-in pour réclamer la restitution des terres de leur vénéré guide. ''C'était une entreprise de grande envergure, parfaitement au point, qui était bien partie pour faire frémir Dangote. Nous étions décidés à le faire, mais les vieux nous en ont dissuadés'', rappelle Abdou Karim Doukar. D'après lui, le défunt khalife avait des projets bénéfiques pour tout le monde.

 

 

Il est conforté par le vieux Mor Kébé. Le chef de village rapporte une anecdote à ce propos : ''Serigne Saliou nous avait un jour convié à Touba quelque temps avant sa disparition. Dans notre délégation, il y avait le sous-préfet de l’époque Médoune Mboup, le président du conseil rural de Pout, Momar Cissé et d'autres personnes.

 

 

Lorsque nous l’avons rencontré, il nous a signalé qu'il avait à sa disposition un financement de quatre milliards de francs Cfa destinés à rentabiliser ses terres. Le marabout a révélé la teneur du projet pour dire à ses hôtes que sa démarche était uniquement guidée par le souci de faire bénéficier à ses frères musulmans des retombées de l’exploitation agricole du domaine''.

 

 

 

''C’est un projet qui allait donc changer la zone sur le plan économique'', regrette le vieux Kébé. Il renseigne que le khalife avait commencé à installer des forages qui y sont toujours visibles. D'après le fervent talibé mouride, c'est le président de la République qui avait gracieusement donné près de mille hectares de terre au Khalife ; lequel possédait avant cela cent autres hectares qu’il cultivait tout en y implantant un daara.

 

 

''Nous avons rencontré le directeur général (de Dangote industries) Serigne Aramine Mbacké qui se trouve être le petit-frère de l’ancien directeur décédé, Kader Mbacké. Il nous avait dit que son devoir, c’était d’aider les villages environnants sur le plan de la lutte contre la pauvreté, l’éducation, la santé mais aussi dans l’acquisition d’eau et d’électricité. Mais jusqu’à présent nous n’avons rien vu'', se plaint Mor Kébé. D'où cet avertissement : ''J’avais dit aux jeunes et aux miens de ne rien tenter avant que je ne puisse épuiser toutes les voies de recours. Si rien n’est fait, je leur ai promis d’être en première ligne pour une future manifestation.''

 

 

 

Le coup de sang des journaliers

 

Réagissant contre leurs conditions d’existence au sein de Dangote industries, les travailleurs, tous des temporaires, ont organisé un sit-in à Pout vendredi et lundi derniers. N’eût été l’intervention du sous-préfet et du commandant de brigade de gendarmerie de Pout, la localité rurale aurait été témoin d’une ''manifestation qu’elle n’avait jamais connue'', à en croire un dirigeant syndical s'exprimant sous couvert de l’anonymat.

 

 

''Nous étions prêts à y laisser nos vies'', dit-il, révélant que le sous-préfet et le commandant ont joué les bons offices entre les manifestants et les responsables de l’usine. ''C’est seulement très tard dans la nuit du lundi que Dangote nous a payés'', informe notre interlocuteur.

 

 

 

En fait, ces agents réclamaient leurs arriérés de paye, avançant être en droit de recevoir leurs dus après chaque jour de labeur, ce qui n’a pas été le cas la semaine dernière. ''Nous vivons des situations très difficiles et elles sont plus graves pour ceux qui viennent d’ailleurs'', dit un jeune ouvrier qui a requis l'anonymat. ''Ce que nous gagnons par jour ne nous permet pas de vivre. Certains sont obligés de se cotiser pour prendre une chambre afin d’éviter certaines dépenses liées au transport mais aussi à l'alimentation'', se plaignent également en chœur d'autres jeunes journaliers habitant Rufisque.

 

 

Ils dénoncent en outre le problème de l'accès au site de l'usine, expliquant que cette zone n’est pas desservie par le transport urbain. Leur employeur n’a pas mis de véhicule à leur disposition, déplorent-ils. Dans ces conditions, ils estiment qu'à défaut d’une augmentation de leurs revenus, les travailleurs de Dangote devraient recevoir leurs salaires à temps.

 

 

Direction de Sosat : ''C'est un problème de décaissement''

 

Ces journaliers sont en réalité sous la responsabilité de la société sous-traitante Sosat du colonel Omar Ndiaye, ancien directeur de la Lonase. Cette entreprise est chargée de fournir, depuis août 2010, du personnel à Sinoma International Engineering (une société chinoise intervenant notamment dans des opérations commerciales, industrielles, mobilières et immobilières) chargée du montage de la cimenterie Dangote.

 

 

Joint par EnQuête, le directeur financier chargé du recrutement du personnel à la société intérimaire Sosat, Mouhamadou Lamine Wade explique que ce retard est dû à des lenteurs au niveau des banques. Selon lui, les chèques ont été tardivement introduits, ''c’est pourquoi, il y a eu un problème de décaissement qui ne pouvait pas se faire le lundi. Il faut savoir que nous devons payer tous les lundis au lieu du vendredi''. ''Au moment où nous parlons (NLDR, hier), nous ne devons rien à personne. Le problème était aussi dû au nombre pléthorique du personnel, d'après le responsable de la Sosat. Il relève que plus d’un millier de personnes sont payées par semaine, ''ce qui n’a jamais posé de problèmes''.

 

M. Wade ajoute en outre que le mode de traitement des employés est conforme à la législation du travail. ''Nous tenons compte de la législation du travail et de la convention collective en conformité'', avance-t-il, notant que c'est pourquoi la Sosat paie 3000 F Cfa par jour à la première catégorie des journaliers. Et cette catégorie constitue ''l’essentiel des travailleurs intervenant à Dangote'', à l'en croire. 

 

Pape Moussa GUEYE (correspondant, Rufisque)

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