Publié le 4 Aug 2017 - 13:06
OPPOSITION SENEGALAISE

Une prise de conscience bien tardive

 

Le suspense aura duré plusieurs jours. A l’arrivée, la coalition Benno Bokk Yaakaar est déclarée victorieuse dans le département de Dakar après s’être disputée la conquête de la capitale face à la coalition Mankoo Taxawu Senegaal amenée par le maire Khalifa Sall toujours incarcéré à Rebeuss. Mais, ce qui a le plus retenu l’attention de beaucoup de Sénégalais, c’est l’attitude des « loosers » de Mankoo Taxawu Senegaal qui, soudainement et comme par enchantement, (re)découvrent les vertus de l’’unité en allant tailler bavette avec Me Abdoulaye Wade, tête de liste nationale de la coalition gagnante Wattu Senegaal, pour l’échafaudage d’un front unique pour lutter contre les nombreuses forfaitures du régime et plus précisément pour faire face à ce qu’ils appellent un « hold-up électoral ».

On est tenté de leur jeter à la figure que : « C’est trop tard ! ». C’est le temps des regrets. A la sortie de son audience avec le président Abdoulaye Wade au domicile de ce dernier à Fann-Résidence, Bamba Fall a fait la déclaration suivante : « Aujourd’hui, nous regrettons de n’avoir pas constitué un front commun lors de cette élection ». Mais, « Gni kougnou yap ? » (De qui se moquent-ils ?). Comme on a eu à le dire dans d’autres situations, les leaders de l’opposition pourront toujours s’en vouloir à eux-mêmes et se mordre les doigts pour avoir raté de virage de l’unité de leurs forces qui était possible s’ils avaient surmonté leur égos surdimensionnés pour réaliser l’union sacrée et aller, en rangs serrés, à l’assaut de la citadelle du pouvoir.

Querelles de leadership

L’éclatement de l’opposition et la dispersion de leurs forces et de leurs voix, ont finalement fait le jeu du pouvoir. Autrement dit, si les partis ou coalitions de partis de l’opposition venaient à fédérer leurs forces, ils pourraient mettre à mal la suprématie de Bennoo Bokk Yaakaar. Malheureusement, les querelles de leadership ont pris le dessus sur les idéaux de dépassement et de quête de l’intérêt général qui devraient amener les leaders de l’opposition à se faire violence eux-mêmes en prenant la décision révolutionnaire de s’engager sans réserve dans une agrégation de leurs forces dans la cadre d’un large front unique de l’opposition pour s’attaquer ensemble à l’adversaire commun.

Surtout que les conditions semblaient, pour une fois, être réunies. Rappelez-vous que pas plus tard que le mois de mai dernier, le paradigme qui faisait fureur dans le pays faisait état de cohabitation car l’opposition était dans une dynamique unitaire qui était d’apparence si forte que ses chances d’obtenir la majorité à l’Assemblée nationale n’était pas une vue de l’esprit. Malheureusement, pour une histoire de tête de liste nationale entre Khalifa Sall et Oumar Sarr, le Mankoo Wattu Senegaal a viré à un « Tasaaro » qui a enfanté deux entités : Mankoo Taxawu Senegaal d’une part, avec le maire de Dakar comme tête de liste nationale, et la Coalition gagnante Wattu Senegaal qui est allée tirer le président Abdoulaye Wade de sa retraite de Versailles, en France, pour en faire sa tête de liste nationale. Une perspective qui n’aura pas déplu au « Pape du Sopi », pas malheureux de cette opportunité d’enquiquiner le président Macky Sall et de livrer son dernier combat politique.

En allant aux élections législatives en rangs dispersés, les ténors de l’opposition ont donné à Macky Sall le bâton avec lequel ce dernier va les battre sévèrement. Groggy et complètement sonnés suite à la proclamation des résultats, les Idrissa Seck, Abdoul Mbaye, Malick Gackou, Abdoulaye Baldé,  Cheikh Bamba Dièye, Modou Diagne Fada, Aïda Mbodj, Aïssata Tall Sall, Me El Hadji Diouf et compagnie ont aujourd’hui la gueule de bois et sont en passe de faire profil bas. A part quelques rares poches du territoire sénégalais où ils ont sorti la tête hors de l’eau, les opposants ont été noyés partout.

Il ne restait alors plus que l’énigme du département de Dakar pour que Mankoo Taxawu Senegaal puisse rêver d’un groupe parlementaire. Avec un écart si ténu de 2754 voix de différence seulement, Bennoo Bokk Yaakaar  a gagné Dakar avec 114 603 voix d’après les résultats publiés le jeudi 3 août 2017 à…5 heures du matin par la commission départementale de recensement des votes. Mankoo Taxawu Senegaal arrive en deuxième position avec 111 849 voix, suivie de la Coalition gagnante Wattu Senegaal avec 53 979 voix. Le Parti de l’Unité et du Rassemblement (PUR), est classé en quatrième position avec 15 432 voix. La coalition Ndawi Askan wi clôture le quinté avec 6606 voix. Un simple calcul mental permet de s’apercevoir qu’en étant unie, l’opposition allait être tout simplement plébiscitée à Dakar.

Recours inutile car voué à l’échec

 

Maintenant, le recours que Mankoo Taxawu Senegaal entend déposer plus tard au Conseil Constitutionnel est quasiment inutile car voué à l’échec car les dirigeants de cette coalition ont accusé les ‘’sept sages’’ d’être à la solde du président Macky Sall qui les a nommés et mis à l’abri du besoin en les entretenant royalement aux frais de la princesse. Ce ne serait donc pas étonnant que le Conseil Constitutionnel confirme les résultats provisoires de la Commission nationale de recensement des votes. Cela dit, c’est un truisme que de penser que Dakar est capitale pour le président Macky Sall. Déjà, à quelques jours de l’ouverture de la campagne électorale, le président de la République et non moins Secrétaire général de l’Alliance pour la République (Apr) avait reçu en réunion spéciale au Palais présidentiel ses lieutenants en vue de les redynamiser.  ‘’Je ne vous sens pas à quelques jours de l’ouverture de la campagne’’, leur avait-t-il lancé en présence de Moustapha Niasse, Boune Abdallah Dionne, Aminata Tall, Amadou Ba, Mahmoud Saleh, Eva Marie Coll Seck et Abdoulaye Makhtar Diop.

Faisant allusion à Khalifa Sall, Macky Sall avait prévenu ses hommes : ‘’Je vous avertis, nous ne pouvons pas nous permettre de perdre Dakar face à un candidat qui n’a pas sa liberté de mouvement ? C’est inadmissible’’. Comme pour mieux se faire comprendre, il avait renchéri : ‘’Louy jot jotna, mounouma dègg perte Dakar (C’est le moment ou jamais, je ne peux pas concevoir qu’on perde Dakar). Vous allez gagner ou périr’’. En cas de revers, avait menacé Macky Sall, ‘’Il faudra chercher d‘autres acteurs’’.

‘’Maintenant, ne dormez pas sur vos lauriers, en  vous disant que nous avons une majorité de maires dans les 19 communes d’arrondissements et que nous allons gagner’’, avait-t-il souligné. Avec un tel ton et avec tout l’argent déversé sur Dakar par un Amadou Bâ, ministre de l’économie et des finances et tête de liste dans le département de Dakar, il était inconcevable que la coalition Bennoo Bokk Yaakaar se permette de perdre ‘’la mère des batailles’’. D’ailleurs, le premier ministre Momo Dionne, tête de liste nationale de la coalition présidentielle, ne s’y est guère trompé en déclarant : ‘’Nous aurons un goût d'inachevé si on gagne sans Dakar’’. Voilà qui a le mérite d’être clair. Ainsi, tout sera mis en œuvre par le pouvoir qui a fait d’une pierre deux coups : rafler les sept (7) sièges de députés mis en compétition, mais aussi mettre enfin le grappin sur la capitale sénégalaise qui reste un enjeu symbolique et était jusqu’ici entre les mains d’un Khalifa Sall qui y avait marqué son territoire pour avoir fait mordre la poussière au pouvoir dans toutes les élections qui s’y sont déroulées.

Un score à la Soviétique

Avec pas moins de 125 députés dans son escarcelle, la coalition Bennoo Bokk Yaakaar a conforté sa mainmise sur l’Assemblée nationale avec une 13ème législature plus que jamais monocolore. La coalition présidentielle n’aura laissé que des miettes à l’opposition qui va se partager les quarante (40) sièges restants. Un score à la Soviétique. Trop gros pour être avalé. Pire, il n’est même pas sûr qu’il y’ait trois (3) groupes parlementaires au sein de l’hémicycle à l’occasion de cette 13ème législature. Triste ! En se frottant les mains, après une telle razzia, on pense du côté du pouvoir qu’on a fait une bonne affaire.

Erreur ! En réalité, c’est la démocratie qui trinque car après tous les acquis démocratiques réalisés et gagnés de haute lutte, se retrouver en 2017, avec une telle configuration qui est pire que la situation qui était en vigueur au Sénégal du temps du parti unique, c’est incontestablement un recul démocratique. Une telle occurrence rend plus qu’urgente la réforme du système électoral sénégalais malade de son scrutin ringard d’élections législatives au suffrage majoritaire à un tour, le fameux ‘’raw gaddu’’ , qui ne reflète pas la réalité sociologique de l’électorat sénégalais. Faute de pluralité et de diversité au Parlement, le dialogue politique devient inexistant.

Cela étant, il faut que les responsables de l’opposition sachent que, en dehors de leurs militants inconditionnels, personne ne les suivra quand ils se mettront à organiser des manifestations publiques pour protester contre les résultats des élections. On n’a pas besoin d’être un clerc pour imaginer que toutes les actions dans ce sens vont se solder par des échecs car, outre les interdictions préfectorales systématiques et suivies de répression policière en cas de refus d’obtempérer, ces plaisantins de l’opposition auront bien du mal à rallier beaucoup de Sénégalais à leur cause qu’on sait perdue d’avance. Les Sénégalais ont aujourd’hui d’autres chats à fouetter avec les urgences de la Tabaski.

Pape Samb

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