Publié le 12 Nov 2017 - 19:50
OULIMATA DIOP, DIRECTRICE PAR INTERIM DE LA MONNAIE ET DU CREDIT

‘’On ne peut pas affirmer qu’il y a trop de banques au Sénégal’’

 

La saturation réelle ou supposée des banques au  Sénégal, les conditions d’accès au crédit, le taux de bancarisation, l’offre de produits sont autant de sujets abordés par la directrice par intérim de la Monnaie et du Crédit. Accrochée vendredi dernier par ‘’EnQuête’’ en marge de la cérémonie d’inauguration du siège de FBNBank, Oulimata Diop s’est aussi exprimée sur les mesures prises pour améliorer le secteur.

 

Le secteur bancaire sénégalais a-t-il connu des améliorations ces dernières années ?

Si vous regardez les différents résultats d’activités du secteur bancaire, vous vous rendrez compte que ça va très bien. Il y a une bonne croissance de l’activité. Les résultats sont largement excédentaires. Même chose pour les différentes normes prudentielles liées aux fonds propres et qui sont respectées par nos banques. Ce qui est très important, d’autant plus que nous sommes face à une étape très cruciale dans le cadre de la mise en place des normes de Bâle II et III (accords sur de nouvelles mesures de stabilité à Bâle, après la crise des supprimes en 2007) qui exigent des fonds propres  importants pour le secteur bancaire.

Aujourd’hui, je dois dire pratiquement que l’essentiel des banques respecte ces normes. Il y a un dispositif de suivi très rapproché avec la Banque centrale qui veille au respect des normes. Je peux dire que nos banques, aujourd’hui, financent l’économie. Car nous avons un ratio du crédit à l’économie qui ne cesse d’augmenter d’année en année. Ce taux tourne actuellement entre 35 et 36 %. Si vous le comparez aux pays émergents qui sont à 100 %, voire au-delà, cela pourrait paraître très faible, mais nous avons un des taux les plus intéressants de la zone UEMOA. Mieux, avec la création récente de certaines banques, nous sommes aujourd’hui à 27 établissements de crédit au total. De plus en plus, nous aurons un maillage du territoire national. Le taux de bancarisation a également connu une hausse assez intéressante.

En 2017, le taux de bancarisation est de combien ?

Le taux de bancarisation qui concerne uniquement les banques est autour de 16 %. Si vous comptabilisez les autres institutions financières, nous nous retrouvons autour de 30 %. Il y a des efforts qui sont faits pour améliorer la qualité du service bancaire. Au niveau étatique, il a été mis en place un observatoire qui a pour mission de suivre la qualité des services bancaires délivrés aux usagers. Au même moment, il y a eu des mesures très fortes pour la gratuité de certaines prestations bancaires. Tous ces services visent à la fois l’amélioration des services bancaires, mais aussi l’augmentation du taux de bancarisation. Pour cela, il y a des efforts qui sont faits pour baisser  la tarification sur certains services.

On entend souvent les gens dire qu’il y a trop de banques au Sénégal, avec des portions congrues pour chacune d’elles. Partagez-vous cette vision ?

Je ne dirais pas qu’il y trop de banques. Je pense que beaucoup de choses restent à faire sur le financement de l’économie avec un taux qui tourne autour de 35 %, alors que d’autres pays sont à 100 %. Quand vous prenez également le taux de bancarisation qui n’atteint pas les 20 %, nous constatons qu’il y a une grande partie de la population qui n’a pas un compte bancaire. Aujourd’hui, et les études l’ont montré, on ne peut pas affirmer qu’il y a trop de banques au Sénégal, parce qu’on a des indices qui permettent de mesurer le taux de concentration. Ces études ont révélé que nous ne sommes pas arrivés à un niveau de saturation.

Mais il y a quand même une forte concentration à Dakar…

Je crois que beaucoup d’avancées ont été notées ces dernières années, des banques ont ouvert des agences dans les régions. Toutes les banques ont pratiquement ouvert des agences en région. Cette politique de proximité est en train d’être promue par les banques et je pense qu’on ne peut pas dire, aujourd’hui, que les banques sont à Dakar.  Elles sont dans toutes les régions et essayent de financer toutes les activités dans ces territoires.

Pensez-vous qu’il y a une diversité de produits offerts par les banques ?

Oui, mais il y a, à ce niveau, des efforts à faire, car aussi bien les populations que les acteurs économiques se plaignent du fait qu’il n’y a pas beaucoup de produits adaptés aux besoins des acteurs économiques.

Le président Macky Sall s’était plaint du taux d’intérêt élevé que les banques appliquent. Est-ce qu’il y a des efforts pour baisser les taux ?

Effectivement ! Aujourd’hui, si vous prenez le taux d’intérêt des banques, on voit une certaine baisse. On a eu à faire une étude qui l’a montrée et les différents travaux de la Banque centrale l’ont prouvée. Il y a aujourd’hui une baisse sensible, comparativement aux années précédentes. Mais, en dépit de cela, nous estimons que les taux sont encore élevés. Aussi bien au niveau de l’Etat qu’au niveau des institutions financières, on en est conscient et on y travaille pour améliorer les choses.

Il y a des réflexions qui sont en cours. On a mis en place le bureau d’information sur le crédit. C’est une structure qui sera chargée de collecter l’information financière de toute personne physique et morale et qui va définir le profil de risque de cette personne, qui va définir la solvabilité de cette personne. Et là, si ce bureau marche, ça devrait tirer à la baisse les coûts d’intérêt parce que si vous avez un rapport de solvabilité qui vous montre que le client c’est un bon client, il rembourse, il a déjà eu à emprunter dans le passé, il rembourse ses crédits, il n’a pas de problème, etc., donc le risque diminue et ça permet d’impacter le taux d’intérêt. On peut encore faire un effort sur les taux d’intérêt, si vraiment les dispositifs qu’on a mis en place marchent ; à savoir le bureau  d’information sur le crédit.

Il y a aussi des efforts qui sont faits sur l’environnement juridique et judiciaire, sur le traitement des contentieux, parce que ça aussi c’est un autre problème. Et tout ça, avec les réflexions qui sont faites sur la tarification modérée sur certains produits, je pense qu’on pourrait aller de l’avant sur la baisse des taux d’intérêt, même si un effort a été sensiblement fait, parce qu’aujourd’hui vous avez des taux moyens qui tournent autour de 7 à 8 %. C’est vrai que les taux dépendent du client. Deux clients peuvent ne pas avoir le même taux d’intérêt, ca dépend un peu de leur profil de risque, etc. Il y a beaucoup d’éléments qui rentrent en considération.

 La baisse est de combien de points actuellement ?

Je ne peux pas vous le dire, parce que la baisse attend un peu. Mais si on compare à ce qu’il y avait il y a 5 ou 10 ans, on note une baisse sensible, aujourd’hui. Avant, on était peut-être à des taux d’intérêt qui dépassaient les 10 %. Aujourd’hui, on est en dessous de la barre des 10 %. Il y a même pour certains secteurs où on a des taux d’intérêt qui tournent autour de 7 %. Donc, il y a eu un effort sur les taux d’intérêt, même si on peut encore faire quelques efforts à ce niveau-là.

Est-ce qu’il y a la perspective d’ouverture d’autres banques au Sénégal ?

Oui, je pense qu’on est dans un système ouvert, on est dans un système où la libre entreprise est de mise et donc les opérateurs peuvent librement monter leur dossier et le soumettre à l’agrément de la Banque centrale. La porte n’est pas fermée et vous voyez, on continue à attirer d’autres investisseurs, notre zone UEMOA attire les investisseurs parce que c’est rentable, c’est intéressant et il y a des perspectives intéressantes avec l’évolution de nos économies.

Donc, je ne vois pas pourquoi on va faire de barrières pour qu’il n’y ait pas d’ouverture de banques encore. L’économie en a besoin, si on en juge par le taux de financement qui tourne autour de 35 %, si  on en juge par les besoins qui ne sont pas satisfaits. L’agriculture est financée à hauteur de 5 %, donc il y a des besoins énormes des secteurs économiques importants qui ne sont pas encore financés. Donc, aujourd’hui, on peut bien continuer à accueillir des banques au Sénégal. Parce qu’aussi une banque qui se crée au Sénégal a le marché de l’UEMOA. Ça aussi, il ne faut pas l’oublier. C’est une banque qui se crée avec le dispositif de l’agrément unique, une banque peut créer des succursales dans les autres pays ou même des filiales. Donc il ne faut pas voir seulement le marché du Sénégal, mais celui de l’UEMOA.

En dehors de l’agriculture, quels sont les secteurs qui ont le plus besoin de financement ?

Il y a l’agriculture et tout ce qui touche au secteur primaire, peut-être. Il y a le secteur de l’industrie parce que quand vous regardez le secteur qui bénéficie le plus des financements, c’est le commerce, les transports, l’industrie légère. Il y a les PME qui ne cessent de se plaindre des conditions d’accès difficiles aux financements. Notre tissu économique est constitué de 98 ou 95 % de PME. Donc, si ces entreprises n’arrivent pas à être financées, ça va être un problème. Là, c’est pour vous dire que les PME sont dans tous les secteurs et d’une manière générale, elles ont des problèmes. Quand vous regardez les jeunes, avec l’entreprenariat, il y a des conditions difficiles d’accès liées à la garantie, liées à l’apport personnel, liées même à la qualité des projets qu’on présente.   

Par BABACAR WILLANE

 

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