Publié le 13 Dec 2018 - 00:56
OUSMANE DIA (ARTISTE PLASTICIEN)

‘’Je prédis une présidentielle à deux tours, en 2019’’

 

Comme beaucoup d’artistes de sa génération, Ousmane Dia est pluridisciplinaire. Il dessine, peint et sculpte. Dans le cadre de la 7e édition du Partcours, la Galerie Kemboury accueille toiles, tableaux et sculptures de ce plasticien dont le talent est connu et reconnu. Dans cet entretien avec ‘’EnQuête’’, l’artiste revient sur cette exposition dont le titre est ‘’L’attente’’. Pour ensuite parler du terrorisme et donner son point de vue sur la présidentielle de février 2019, au Sénégal.

 

Parlez-nous de cette exposition que reçoit actuellement la Galerie Kemboury et intitulée ‘’L’attente’’.

J’ai tenu à travailler sur le thème de l’attente. C’est un attente par rapport à des questions que je me pose et liées à l’actualité. Je suis beaucoup l’actualité sénégalaise en particulier. Des fois, s’il y a des sujets qui m’interpellent, c’est comme si j’ai l’obligation d’immortaliser cela sur un support. Pour ce travail-ci, je parle de deux types d’attente. Il y a celle positive, comme quand on va chez le dentiste ou un tout autre médecin qui a le pouvoir de nous guérir et qu’on nous demande d’attendre avant d’entrer le voir. Il y a aussi cette attente vis-à-vis d’un pouvoir instable comme nos autorités politiques. Je fais référence donc à des cris du cœur. Je me pose des questions comme ‘’fallait-il tuer Ben Laden’’ (inscrit tel quel sur l’un des tableaux de l’exposition). Quand je parle des ‘’Rats de Nicolas’’, je fais allusion aux ‘’rats’’ de Nicolas Sarkozy qui ont été en Libye et qui y ont laissé un chaos incroyable, alors qu’ils sont en train de se la couler douce en France. Je suis en attente d’une réponse après ces fortes représailles. Quand Ben Laden est mort, j’ai vu Obama comme qui dirait jubiler. J’ai travaillé autour de cela et j’ai baptisé cette œuvre le ‘’Trophée de Barack’’. Le tableau le plus grand parle des Tirailleurs sénégalais qui sont en attente d’une réhabilitation. C’est également un questionnement. Je me demande quand est-ce que les Tirailleurs sénégalais seront dans leur droit.

La question ‘’fallait-il tuer Ben Laden’’, serait-elle motivée par la montée de l’extrémisme dans le monde ?

Il y a eu énormément de médias qui ont parlé de l’histoire de Ben Laden. Beaucoup de gens en parlent encore. On a  entendu diverses versions sur le vécu et le quotidien de cet homme. Certains disent qu’il a été fabriqué par les Américains. D’autres soutiennent que le 11 septembre a été fabriqué et que Ben Laden n’y était pour rien. D’aucuns sont d’avis que c’était lui donc à éliminer. Avec toutes ces versions, je me demande quelle est la vraie histoire. Où est la réalité ? Il y a des documentaires qui montrent qu’il y a certaines qui ont été montées. On sait que Bush n’a pas hésité à aller envahir l’Irak sur la base de mensonges. Il disait qu’il y avait des armes de destruction massive, alors qu’il n’y avait rien. Pour Ben Laden, les questions sont légitimes. Où est la vérité et qui la détient ? Ce sont des choses qui nous touchent et on a le droit de savoir. Je lis la presse et si j’y trouve des choses qui me marquent, je les immortalise sur une toile pour la postérité. Les générations futures doivent savoir ce qui a été dit ou fait.

Donc, la montée de l’extrémisme n’y est pour rien, parce qu’on a tué Ben Laden, mais le terrorisme est toujours là et gagne davantage de terrain ?

C’est une question qu’on peut se poser. L’intérêt aussi, pour moi, c’est de poser les faits et que chacun réfléchisse autour de cela. Il est légitime de se poser la question, aujourd’hui où ça s’enflamme. Certains donc pourraient se poser la même question. On est tous en attente de réponses.

Et ce tableau qui parle d’un ‘’Renard de 77 ans’’, il fait allusion à qui ?

C’est un fait qui m’a beaucoup marqué, que j’ai essayé d’immortaliser sur ce tableau. J’ai suivi une vidéo sur Youtube d’un politicien sénégalais, Moustapha Niasse. Il disait dans la vidéo qu’il a 77 ans et 5 mois et qu’il n’était candidat à rien. Je me disais alors, enfin au Sénégal, on a quelqu’un qui a atteint une certaine maturité et qui, peut-être, vient coacher la jeune génération. Quand je l’ai vu élu comme président de l’Assemblée nationale, je me suis demandé ‘’de qui se moque-t-on ?’’. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Il est vrai que le ‘’waax waxeet’’ commence à devenir une tradition ici. Mais quand même, à 77 ans et 5 mois, on ne peut pas faire une déclaration ou promesse aussi forte pour après les balayer d’un revers de main, continuer comme si on n’avait jamais rien dit. Je suis en attente de réponses de Moustapha Niasse. Pourquoi a-t-il pris cette posture ? Pourquoi a-t-il dit devant des médias qu’il n’attend rien, qu’il n’est candidat à rien pour venir après se battre pour être à la tête de l’Assemblée nationale ? Ce sont des choses qui me choquent et je m’interroge.

Comment définissez-vous votre technique de travail ?

Je dirais la chaise. Elle est vraiment mon matériau de prédilection, que cela soit dans mes sculptures, dessins et peintures. J’ai fait l’Ecole des beaux-arts de Dakar. Après mon diplôme, j’ai eu l’opportunité de faire l’Ecole supérieure d’art visuel de Genève. J’ai un diplôme post-grade. Pour ce dernier, j’ai travaillé sur deux sujets : l’hospitalité et le pouvoir. Pour moi, la chaise est l’objet qui symbolise tant l’hospitalité que le pouvoir. Pour la première, quand on reçoit quelqu’un, on lui donne une chaise où s’asseoir. Pour le pouvoir, quand on regarde la chaise de Macky Sall, elle est différente de la vôtre, par exemple, en tant que journaliste. C’est évident (il rit). Il y a aussi l’idée du trône. Je me suis rendu compte que la chaise peut déterminer le statut social de la personne. C’est pourquoi j’utilise la chaise comme matériau de base sur toute mon expression artistique. Pour les tableaux, c’est du collage et de l’acrylique. Les dessins, je les ai réalisés avec du neocolor. Ce sont des dessins qui ont déjà été cotés l’année dernière par Christie’s (Ndlr : société de vente aux enchères internationale dont le siège est à Londres, au Royaume-Uni, et qui est contrôlée par la holding Artémis). Là, je suis en train de me battre pour que mes peintures aussi puissent être cotées comme mes dessins.

Sur certains tableaux pourtant, on semble apercevoir des graphismes de différents alphabets…

En regardant de plus près, vous verrez que ce sont de petites chaises dessinées. Certaines sont à l’envers. Il y a une œuvre qui les représente bien et que j’ai appelé ‘’Le pouvoir de la plume’’. Si on prend l’exemple des journalistes, l’on peut dire qu’ils ont un pouvoir exceptionnel. Avec leurs plumes, ils peuvent tant faire du bien, mais également tant faire du mal. Je prends l’exemple de ‘’Charlie Hebdo’’ qui a été attaqué à cause de leurs plumes. J’avais envie de marquer cela. Cette œuvre est en work in progress. Je ne l’ai pas terminée. Je pense qu’elle est une œuvre sur laquelle je pourrais travailler toute ma vie. Je veux mettre d’autres chaises dessus. Ce sont de petites chaises et j’essaye de travailler le mouvement. Il y a un autre tableau avec une grande chaise au milieu et divers mouvements. C’est mon présage pour la prochaine élection. Je prédis une élection à deux tours.

Qu’en est-il des sculptures ?

Les sculptures que j’expose ici sont des œuvres qui s’inscrivent également dans cette logique d’attente. Si on regarde bien, elles ont une dimension plastique. Les sculptures se ressemblent toutes et sont toutes autant différentes. Elles sont juste différenciées par les couleurs et la technique de coulure de la peinture appliquée sur chaque sculpture et qui leur donne à chacune une personnalité variée. Il y a des chaises faites à l’arrière avec une barre qui s’étire. C’est pour dire que les autorités, des fois, se retrouvent dans une aisance telle qu’ils oublient ceux qui les y ont menés. Ils s’y complaisent, usent et abusent de leur pouvoir. C’est pourquoi les sièges placés sont en haut. C’est ma manière de secouer le cocotier et rappeler aux autorités qu’il y a le peuple en bas et qui vous a élues.

Les couleurs choisies signifient quoi pour vous ?

Derrière le choix des couleurs, il y a toujours un message. J’utilise souvent le rouge qui est symbole d’alerte, de révolte, de protestation, de marche pour moi. Le jaune est le symbole de la richesse. Au Sénégal, aujourd’hui, c’est l’actualité d’ailleurs, il y a énormément de richesses naturelles découvertes. Il nous faut des dirigeants politiques qui ne vont pas se laisser aller en pensant juste aux avantages que leur procure leur statut. L’avenir du pays dépend du niveau de responsabilité de ceux qui nous dirigent ou vont nous diriger. C’est pourquoi sur l’un de mes tableaux, vous voyez la carte de l’Afrique avec plein de rats qui sont les envahisseurs. Aujourd’hui, il n’y a plus rien de l’autre côté. Tout le monde veut venir en Afrique. Nos chefs d’Etat ne doivent pas dormir sur leurs lauriers, maintenant. C’est vraiment le moment de se battre pour les intérêts des Africains et de les défendre de la meilleure des manières.

 BIGUE BOB

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