Publié le 30 Aug 2015 - 17:48
PÊCHE OURSIN À NGOR

Pertes et profits d’un petit business 

 

Vivre de l’oursin est un gagne-petit pour les femmes qui le pêchent avec beaucoup de difficultés et de risques à Ngor. Un travail besogneux pas toujours récompensé à sa juste valeur. Mais qu’importe ! Le rituel est beaucoup trop ancré dans les habitudes pour être délaissé.

 

Ce mercredi matin, il ne pleut pas. C’est donc jour de “ nourou”, plongée, comme pratiquement tous les jours pour une denrée assez spéciale. Khady Gningue, une Ngoroise entre deux âges, se déplace avec une aisance déconcertante sur les petits rochers de l’ilot de Ngor. Même un seau vert, rempli de bois mort, posée sur la tête n’entrave en rien ses bonds furtifs sur un chemin escarpé qu’elle connait comme le fond de sa poche. Quand a-t-elle commencé à récolter des oursins ? Trop long- temps pour qu’elle s’en
souvienne ; comme beau-
coup d’autres femmes de
 la plus petite commune de Dakar après Gorée. Elle a troqué son pagne en wax pour un équipement de plongée loin d’être professionnel, mais qui fera l’affaire pour la chasseuse d’oursins qu’elle est.

“Faites attention car c’est glissant par moment”, lance-t-elle à notre attention après un léger dérapage. En face, sur la plage de Ngor, les rotations des pirogues déversent des centaines de vacanciers à la grande île. Une flottille de bateaux de plaisance vogue doucement sur l’eau auxquels s’agrippent quelques petits nageurs téméraires, pour reprendre leur souffle. Loin de toute cette frénésie estivale, Khady se prépare pour son terrain de chasse, l’ilot. Ou plutôt sa couveuse d’oursins. Le changement de décor est brusque sur cette petite colline dans la mer. Surplombée par l’immensité architecturale de l’hôtel Ngor Diarama, l’on se croirait entre ciel et terre.

Tout est calme, tout est serein. Seul le ronronne- ment des moteurs au loin et les vagues qui s’échouent sur les roches troublent la quiétude des lieux. C’est le paradis des oursins et celui des pêcheurs. En cette matinée chaude, qui alterne ciel nuageux et soleil brillant, Khady s’est pliée à son rituel quotidien. Avec ses chaussures plastiques “tik-tik”, un tuba pour la plongée et une tige métallique au bout pointu, elle s’avance prestement dans l’eau jusqu’à immersion totale. Seul le seau qu’elle a accroché à son bassin avec une lanière, indique sa pré- sence comme une balise de visualisation.

A peine le temps qu’il faut à un basketteur pour finir un quart-temps, ce petit bout de femme a émergé, avec un seau noirci d’oursins. Luisants sous l’effet du soleil, ces invertébrés remuent leurs piquants docilement. “Contrairement au poisson qui meurt après quelques instants hors de l’eau, ils peuvent survivre les 24 pro- chaines heures “, explique-t- elle en déposant sa prise sur une grosse cavité formée par les rochers avant de procéder à sa deuxième et dernière plongée de la journée. Dans une eau limpide ou se déplaçaient quelques alevins noirs et de petits crabes, pêcher l’oursin est l’activité principale de beaucoup de femmes de cette commune.

Ces invertébrés sphériques garnis de piquants sont aussi appelés “hérissons de mer” ou “châtaignes de mer”. Ils sont légion dans cette zone maritime rocheuse où leur régime herbivore les oblige à s’adhérer aux parois rocheuses pour brouter les algues. La pêcherie qui est d’habitude bondée est presque déserte. “ Ce n’est pas la grande affluence aujourd’hui car les pluies de ces jours ont dissuadé les femmes et enfants de sortir”. A quelques mètres d’elle, Yabs, un jeune homme originaire de Mbacké, arborant une coiffure en crête “ Davala” teintée de rouge s’adonnait à la pêche en surface, plus reposant et non moins fructueux. Farfouillant sa tige métallique dans les logettes où sont nichées les oursins, il tient sans grande difficulté quatre espèces dans sa main en se déplaçant sur les rochers. “ J’ai tellement pris l’habitude que je ne mets plus les gants pour les prendre”, explique-t-il en souriant. “ Par contre il faut mettre des chaussettes et des chaussures en plastique car on peut marcher sur les piquants “, lance-t-il dans un élan de satisfaction réelle devant ses prises.

Oursins dans le porte-monnaie

“Il faut le transpercer au cœur d’abord pour le vider de son eau, sinon on ne pourra pas l’enfumer “, explique Khady. Son visage émacié et renfrogné quelques instants plus tôt, s’est beaucoup égayé. L’oursin sur le rocher, elle applique le bout pointu de la tige métallique dans sa partie charnue faisant couler un liquide visqueux. La pêche a été bonne et elle a rejoint son petit carré de terre nichée entre de gros blocs de pierre, pour y allumer un feu et braiser les oursins. La par- tie comestible, la gonade, est en jaune après que la pêcheuse ait écartelé l’animal avec son piquet. Une expertise à mains nues sans prendre de piquants. “ J’ai oublié mes gants aujourd’hui, mais je sais travailler sans”, jubile-t-elle.

Ce pro- cédé permet de libérer l’eau emprisonnée dans l’animal ; avant de pouvoir procéder à la cuisson et à la vente. Si les prises sont fructueuses habituellement, c’est l’écoulement de cette piquante marchandise qui demeure aléatoire. Malgré les modiques 50 FCFA pour quatre unités, les clients semblent avoir...des oursins dans le porte-monnaie. “ Certains trou- vent que c’est trop cher et le veulent à 25 francs”, se plaint Khady. Principaux acheteurs, les hôtels qui acquièrent les deux seaux d’oursins à 2000 FCFA. “ Les clients occidentaux raffolent de ces fruits de mer. Il y a aussi les Chinois qui en sont de grands consommateurs. Certains le mettent en pot avant de l’exporter “, fait- elle savoir. Un véritable bol d’air financier pour les femmes, enfants de Ngor qui trouvent en cette activité un refuge contre le chômage.

Très long détour

Il faut être prêt à faire de grands détours pour aller à l’ilot de Ngor, où se pratique la pêche aux oursins. Ceci, au cas où les complexes hôteliers vous refusent l’accès dans leur enceinte. Construits entre la mer et le village de Ngor, les hôtels Ngor Diarama et Le Calao sont des raccourcis pratiques pour descendre au lieu de pêche. Dans le premier complexe nommé le passage a été autorisé après des négociations serrées ; mais dans le second, c’est l’autorisation de la direction qui était requise. Aussi a-t-il fallu faire un grand tour en longeant les parois escarpées du littoral pour rejoindre la pêcherie. Sous la surveillance étroite de la sécurité de l’hôtel.  

OUSMANE LAYE DIOP 

 

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