Publié le 27 Dec 2017 - 19:23
PANNE DE LA RADIOTHERAPIE, MORT D’AÏCHA DIALLO…

La Santé en fièvre

 

Le secteur de la santé a connu une année à scandales, en 2017. De la panne de la radiothérapie à la saisie de médicaments contrefaits à Touba, en passant par la mort de la jeune Aïcha Diallo à l’hôpital de Pikine, le département a connu une fièvre quasi permanente. L’augmentation de la bourse de spécialisation est venue baisser un peu la température.

 

2017 a été décrété Année de lutte contre le cancer par l’ancien ministre de la Santé Awa Marie Coll Seck. Cette maladie a fait parler d’elle tout le long de l’année, mais pas forcément dans le sens voulu par les pouvoirs publics. Beaucoup de rencontres de sensibilisation, de dépistage ont été organisées pour mettre fin à cette maladie douloureuse et coûteuse. Ironie du sort, la seule machine de radiothérapie est tombée en panne. Finalement, du cancer, l’opinion publique sénégalaise retiendra plus une polémique autour d’un appareil que les actions initiées par l’Etat.

Mais comment en est-on arrivé-là ? Nous sommes en janvier 2017, alors qu’on ne s’y attendait le moins, la nouvelle tombe. Le gouvernement reste aphone, les premiers jours. Deux semaines plus tard, le ministre Awa Marie Coll Seck rompt le silence, en reconnaissant d’abord les erreurs du gouvernement, puis en plaidant pour moins d’émotion. A écouter le ministre, on ne peut pas dire que l’Etat n’a rien vu venir, même s’il semble avoir été trompé par ses prévisions. En effet, selon le ministre, après la dernière réparation de la machine, il a été dit qu’elle avait encore une durée de vie d’un an à 18 mois minimum. ‘’Nous avons eu des alertes. C’est ce qui nous a permis d’accélérer le processus d’achat de deux accélérateurs de particules qui sont de dernier cri’’, déclare alors Awa Marie Coll Seck qui pointe du doigt le retard dans la livraison des deux appareils destinés à l’hôpital Dalal Jamm, pour un coût de 3 milliards, et un troisième pour Aristide Le Dantec d’un montant de 2 milliards.

Outre les deux machines de radiothérapie, elle annonce également l’évacuation, au Maroc, des malades du cancer qui doivent suivre un traitement, lors du comité interne de suivi élargi du Plan national de développement sanitaire (Pnds). ‘’Les dossiers sont envoyés au Maroc et tout est en place pour que les malades aillent se faire soigner et les frais seront entièrement pris en charge par l’Etat. Le gouvernement ne souhaite pas qu’un malade qui devait suivre sa radiothérapie à Le Dantec ait des difficultés’’, tente de rassurer le ministre.

Alors qu’il est difficile de donner le nombre de malades à évacuer, 12 parmi eux se trouvent alors dans une situation où ils doivent faire une radiothérapie, 3 prêts à être évacués. Sur le plan financier, le coût d’hospitalisation et de l’hôtel est de 3 millions par patient pour 4 séances de radiothérapie. Un vrai trou dans les caisses de l’Etat. ‘’C’est beaucoup d’argent. Mais on va le faire’’, assure-t-elle.

Finalement, les deux machines de Dalal Jamm arrivent à Dakar au mois de juin. Mais depuis lors, la date du démarrage ne cesse d’être reportée. A Le Dantec, il n’y a pas eu de changement. L’ancienne machine est toujours bien gardée dans le bunker. ‘’Pour Le Dantec, nous avons l’intention de reprendre le bunker. Quand on achète un appareil radioactif, il faut l’intégrer et cela coûte 650 millions de francs Cfa pour enlever l’ancien appareil’’, fait savoir le Pr. Awa Marie Coll Seck. En d’autres termes, les malades doivent prendre leur mal en patience, car ce n’est pas demain le démarrage des machines de Dalal Jamm, celle de Le Dantec encore moins. De toute façon, le mois de janvier annoncé n’est pas loin.

Départ du professeur Awa Marie Coll Seck du gouvernement

En septembre dernier, intervient un autre fait marquant au département de la Santé. Awa Marie Coll Seck, titulaire du poste depuis l’arrivée de Macky Sall au pouvoir en 2012, est démise de ses fonctions, à la suite d’un réaménagement ministériel. Le professeur a-t-il été ‘’broyé’’ par la machine de radiothérapie ? On serait tenté de répondre par l’affirmative.

En effet, après la panne de l’appareil, des voix ont dénoncé de partout le laxisme qui existe dans le système de santé. Beaucoup de failles ont été soulevées par les médecins, allant du déficit de spécialistes à la faiblesse du plateau technique, en passant par le délaissement des régions médicales, les lobbies au sein du ministère, le manque d’organisation dans les hôpitaux.

Défaillance après défaillance, l’ancien ministre a essuyé de nombreuses critiques. ‘’Le système est beaucoup plus malade que les patients. Il n’y a eu aucun avancement. Tout tourne autour du ministère’’, s’insurge un médecin. En outre, beaucoup d’acteurs de la santé soutiennent que la tutelle a été alertée à maintes reprises sur l’évolution de la radiothérapie. Il a fallu que l’appareil tombe en panne pour faire le ‘’médecin après la mort’’, au grand malheur des malades.

Hormis le remplacement d’Awa Marie Coll Seck par Abdoulaye Diouf Sarr, l’Inter-Ordre des professionnels de la santé (Iops) qui regroupe les différents ordres (médecins, pharmaciens, chirurgiens-dentistes et vétérinaires) a animé cette année 2017. Lors d’une conférence de presse, il a dénoncé une ‘’forfaiture’’ et a demandé le retrait du circuit du projet de loi sur la médecine traditionnelle.  Selon le président de ladite entité, c’est par voie de presse qu’ils ont appris que ce projet de loi a été étudié et approuvé en Conseil des ministres et soumis à l’Assemblée nationale en vue d’un vote imminent par les députés. ‘’L’Iops n’a pas été consulté, lors de l’élaboration de ce texte’’, a regretté le docteur Mamadou Ka. Si l’on en croit les spécialistes, l’argument selon lequel la loi va combler le déficit en termes de démographie professionnelle, d’infrastructure et d’offre de paquets de soins ‘’parait totalement inexact’’.

D’après le Dr Ka, la préoccupation du ministère de la Santé n’est rien d’autre que la législation de la situation ‘’chaotique’’ installée dans le pays par la médecine traditionnelle. Cette législation, dit-il, si elle s’opère, risque d’entrainer la désarticulation totale du système de santé et va entacher de façon significative sa fiabilité et sa crédibilité. Faut-il en déduire un lien avec le remplacement du professeur Awa Marie Coll Seck par Abdoulaye Diouf Sarr dans le nouveau gouvernement ?

Le décès d’Aïcha Diallo et l’enquête de Diouf Sarr

L’année 2017 restera celle qui a vu la mort précoce, en octobre, de la jeune fille Aïcha Diallo à l’hôpital de Pikine. Si sa famille parle de non-assistance à personne en danger, sa maman soutient même que ses interlocuteurs ont tout fait pour ‘’l’humilier’’ (sic).  Une thèse rejetée par le personnel de l’établissement qui évoque une mort causée par un choc septique. Négligence ou non, les résultats de l’enquête ouverte vont situer les responsabilités, à condition qu’elle soit menée à terme. Dans tous les cas, la nouvelle a créé une onde de choc auprès de l’opinion et a servi de prétexte pour évoquer à nouveau les conditions d’accueil et d’orientation jugées catastrophiques dans les hôpitaux publics.

De son côté, le ministre de la Santé et de l’Action sociale, Abdoulaye Diouf Sarr, a déclaré que quel que soit le résultat, les dispositions idoines seront prises. “Dans ce système-là, il faut toujours se battre pour faire sortir les personnes qui n'ont pas la conscience de servir la santé. Face à l'urgence, on ne peut pas mettre l'argent comme condition. La responsabilité de l'hôpital, c'est de prendre en charge le malade et de le soigner. Ce que je peux vous dire tout de suite, c'est que l'enquête est en cours. Elle va être conduite de la manière la plus responsable et la plus diligente possible", a rassuré le nouveau ministre. L’opinion reste donc à l’écoute !

Saisie de médicaments contrefaits et la colère noire des pharmaciens

Après l’affaire Aïcha, on avait pensé avoir atteint le bouquet. Que nenni ! C’est là que le record de faux médicaments saisis a été battu. Cela s’est passé au mois de novembre. Des médicaments contrefaits, d’un montant de 1,35 milliard de francs Cfa, ont été saisis à Touba. Pour échapper à la justice, le propriétaire est allé se réfugier chez son marabout. Cette affaire a mis tous les pharmaciens du Sénégal dans une colère noire. C’est l’Ordre des pharmaciens du Sénégal qui s’est révolté en premier. Dans un entretien accordé à ‘’EnQuête’’, le président dudit ordre a déploré les faits, avant d’annoncer une plainte contre les contrevenants.

Selon Amath Niang, c’est aux autorités politiques et religieuses d’assumer leurs responsabilités. Parce que, non seulement Touba ne devrait pas avoir de dépôt, mais la vente des faux produits constitue un crime organisé. Il a exprimé le sentiment de désolation, d’amertume et d’inquiétude qui anime la profession et toute une population. ‘’Quand un fléau pareil se présente dans un pays, cela met le système mal à l’aise’’, disait-il. De l’avis du pharmacien, l’existence des dépôts est à l’origine de tout cela. Parce que ces médicaments ne peuvent être nullement déversés dans le circuit normal. ‘’Nous sommes très bien organisés avec des pans de responsabilités, avec une structuration qui permet de transcender et de déterminer la traçabilité du système. Quand un circuit n’est pas bien maitrisé, cela ouvre à des dérives, à des actions que personne ne pourra contrôler’’, avait fustigé le Dr Niang.

Après l’ordre, le Syndicat des pharmaciens privés est monté au créneau. Il a réclamé la criminalisation de la vente de médicaments illicites et la ratification de la médicrime au Sénégal. La présidente du syndicat a soutenu que cette saisie de médicaments contrefaits a battu le record en termes de volume, de surface, de coût et de diversité de formes. ‘’Nous avons trouvé des formes injectables, des pommades et des formes comprimés. Ce tri effectué par les pharmaciens confrères de Diourbel montre que ce sont des produits prétendument destinés à traiter le paludisme, les infections microbiennes, les maladies de l’œil, les troubles de l’érection et les douleurs musculaires’’, a détaillé le docteur Khady Cissé.

En outre, le syndicat a dénoncé ‘’l’inertie’’ de l’Etat du Sénégal et son manque de volonté notoire à enrayer ce fléau. Le  Dr Cissé avait même soutenu qu’il est contradictoire de parler de couverture maladie universelle, de gratuité et, en même temps, laisser ce marché illicite s’établir et se développer. ‘’Le syndicat ne peut tolérer l’existence de zone de non droit sur le territoire sénégalais, en ce qui concerne l’exercice de la pharmacie. Nous exigeons la fermeture des dépôts illégaux de Touba, qui constitue la plaque tournante de ce trafic. A cause de l’impunité qui y règne et du fait de puissants lobbies politiques et maraboutiques. Il faut oser le dire’’, a fustigé la pharmacienne. Les protestataires, tout en demandant le retour au monopole, ont invité le chef de l’Etat à s’exprimer sur la question.

Le ‘’fiipou’’ de Macky Sall

La réponse n’a pas tardé. Lors du lancement du Forum sur le financement de la santé, le président Macky Sall annonce une guerre contre ce trafic de médicaments. Par cette menace, il répond à la sollicitation des pharmaciens privés du Sénégal. Au ministre de la Santé Abdoulaye Diouf Sarr, le président déclare : ‘’Vous avez mon soutien total sur la lutte contre les médicaments frauduleux. Le Sénégal doit se donner les moyens d’éradiquer cette fraude. Parce que c’est une fraude mortifère qui tue des milliers d’individus et nous ne pouvons rester sans réagir. De la même façon que nous avons engagés une guerre contre le trafic du bois en Casamance, nous engagerons cette guerre contre le trafic du médicament qui sème la mort et la désolation.’’

Par la même occasion, le président de la République annonce sa décision de doubler la bourse de spécialisation de 150 à 300 mille. Pour Macky Sall, cette stratégie nationale de financement traduit son ambition de faciliter davantage aux populations l’accès aux soins de santé de qualité à travers la mise en place d’infrastructures et de ressources humaines respectant les formes requises. ‘’La bourse était assez faible et j’ai décidé de prendre sur la contribution forfaitaire à la charge de l’entreprise une dotation qui permet de doubler les bourses actuelles pour les spécialités’’, annonce-t-il.

Sur le plan social, il a été noté un calme relatif. Mais, depuis quelques semaines, les syndicalistes montrent des signes d’agacement, particulièrement du fait du non respect de certains engagements, de la ‘’nomination des meilleurs spécialistes dans des postes administratifs’’ et des visites nocturnes d’Abdoulaye Diouf Sarr à certaines structures hospitalières.  

VIVIANE DIATTA

 

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