Publié le 2 Feb 2017 - 00:13
PAPE ALASSANE DEME (SECRETAIRE PERMANENT DU CNH)

‘’S’il y a des zones non saturées, ils n’ont qu’à les montrer’’

 

Pape Alassane Dème est le Secrétaire permanent du Comité national des hydrocarbures, un organe consultatif. Dans cet entretien, il relève les anomalies constatées dans la construction des stations-services et dégage des pistes de solutions. Il s’est aussi exprimé sur la position de Total, l’autoroute et la péréquation.

 

Pourquoi l’Etat a-t-il décidé de geler les constructions de stations-services à Dakar ?

Aujourd’hui, il faut dire effectivement que la région de Dakar qui compte à peu près 0.2% ou 0.5% de la superficie totale du Sénégal, concentre le maximum de stations-services. On peut penser que les 2/3 des stations-services implantées dans notre pays se retrouvent localisées dans cette région de Dakar. Donc, comme vous le voyez, les stations cohabitent plus ou moins avec les populations. Même s’il y a une commission ou un comité chargé d’organiser cette implantation de stations-services, il n’en demeure pas moins qu’on retrouve une certaine prolifération dont les populations riveraines se plaignent souvent.

De quand date cette prolifération exagérée ?

On ne peut pas dire exactement que c’est à partir de telle date. Mais, ces cinq dernières années, on a remarqué un rush des stations-services vers Dakar. Cela s’explique par le fait que Dakar concentre pratiquement 80% des véhicules immatriculés au Sénégal. Et donc, comme c’est le carburant qui fait marcher ces véhicules, on comprend forcément pourquoi les sociétés sont venues s’implanter dans la capitale pour pouvoir écouler leur produit. C’est ça la raison fondamentale.

On parle de saturation de Dakar, mais certains distributeurs disent qu’il y a des points saturés et d’autres des axes qui ne le sont pas ?

S’il y a des points saturés et que la réglementation dit effectivement qu’on ne peut pas implanter de stations-services, il faut que les gens la respectent. S’il y a des zones non saturées, ils n’ont qu’à les montrer. Et la commission va examiner. Mais pour l’instant, toute construction de stations-services est gelée jusqu’à nouvel ordre. Il y a un comité institué par directive primatoriale qui compose les différents intervenants à savoir : l’Ageroute, les représentants des ministères de l’Energie, de l’Environnement, de l’Intérieur et des Transports. Ce comité est en train de faire un toilettage des textes pour voir comment les reprendre pour une meilleure protection des populations, mais également une meilleure protection de l’environnement.

Est-ce que ce travail se fera en concert avec des distributeurs parce qu’ils se plaignent un peu de la décision qu’ils trouvent trop unilatérale de la part de l’Etat ?

L’Etat a également des missions régaliennes qu’il ne peut pas partager. C’est tout ce qui relève par exemple de la sécurité. Il y a des normes. Donc si celles-ci sont respectées, l’Etat ne va pas aller à l’encontre de ces sociétés qui veulent implanter des stations-services. Mais, une fois que l’Etat constate qu’aucune des normes n’est respectée, il a le droit d’interdire cette implantation. A notre niveau, nous veillons à ce que les normes de sécurité et de protection de l’environnement soient respectées et qu’on puisse les retrouver dans toutes les stations-services.

Le problème ne date pas d’aujourd’hui, pourquoi avoir attendu maintenant pour réglementer ?

C’est parce qu’aujourd’hui, nous nous rendons compte qu’il y a beaucoup de plaintes. Avant, il n’y avait pas de plaintes. C’est au cours de ces trois dernières années qu’on a noté des plaintes récurrentes. Quand la commission s’est déplacée sur le terrain, elle a constaté que plusieurs stations n’étaient pas légalement implantées parce que ne respectant pas certaines normes.

Certains acteurs disent que vous avez attendu que le plus grand des majors, en l’occurrence Total, finisse de s’installer pour maintenant geler. La décision est donc à sa faveur.

C’est faux ! C’est tout à fait faux ! Ça n’a rien à voir. Comme je l’ai dit, il y a trois, quatre ans, il y a eu les plaintes. C’est à partir de là que nous nous sommes levés pour aller voir.  On a étudié la première plainte qui avait été déposée par les populations de Bopp contre une entreprise. C’était une société X, Y, Z. Je ne veux pas donner le nom. Dans les documents qu’il a remis à l’urbanisme, il a dit qu’il voulait construire pour le siège social de sa société. Les gens ont donné un avis favorable. Par la suite, les gens ont constaté qu’il faisait des pompes. C’est à ce moment que les populations ont commencé à crier,  parler, envoyer des lettres à la Primature et à la Présidence.

C’est comme ça que l’on a été informé ; dans ce cas, nous sommes allés directement à Bopp pour voir. On a vu effectivement que c’était une station de services. Maintenant le cas de Total, il faut l’expliquer de manière historique. Total était une station en tant que telle, il y avait également en son temps Elf. Il y avait Bp, Mobile. C’étaient les quatre grands. A un moment donné, Elf a été racheté par Total. Tous les actifs d’Elf allaient revenir à Total. Effectivement, il y a un des indépendants qui avaient posé le problème pour dire qu’il fallait éviter la concentration des points de vente d’Elf dans Total. Voir comment racheter ces stations-services pour les vendre à d’autres indépendants.

Il y a un opérateur qui l’avait dit et qui faisait partie des indépendants. Et il s’inspirait d’une jurisprudence qui était en cours dans les pays européens qui avait décidé que les stations Total puissent être vendues à des acteurs autres que Total. Nous, nous ne l’avons pas fait. Ne me demandez pas pourquoi. En ce temps, je n’étais pas là. Ce que je dis, c’était entre 1998 et 2000. En tout état de cause, on a vu effectivement que Total a gardé certaines stations-services qui appartenaient à Elf. Maintenant le problème, c’est que si vous voyez que ça peut poser un problème de position dominante qui peut fausser la concurrence, saisissez la justice. Il y a la loi 94 sur le contentieux, vous pouvez très bien passer par ce canal-là  et voir comment aller à la reprise des stations qui appartenaient à Elf.

Est-ce que ce n’est pas plus simple de réglementer au lieu de conseiller aux gens d’aller saisir la Justice ?

Ils l’ont déjà fait. Je pense qu’ils ont saisi la justice pour demander à ce que les anciens points de vente d’Elf puissent être vendus à d’autres. Maintenant je ne sais où est-ce qu’ils en sont. Les indépendants ont également posé le problème de la station Total qui est vers l’autoroute à péage. Nous répondons que ce n’est pas l’Etat qui a donné à Total la possibilité d’implanter sa station de services au sein de l’autoroute à péage. Celle-ci est gérée par une structure : Eiffage. C’est cette dernière qui en est le concessionnaire. Et je crois que Total a signé une convention avec Eiffage, il lui a donné la possibilité d’implanter une station-service. Nous ne sommes pas encore régulateurs. Nous sommes un organe consultatif du gouvernement.

Ils n’ont qu’à saisir la Justice pour dire que cette session d’Eiffage à Total n’est pas conforme à la réglementation. S’ils le veulent, ils n’ont qu’à le faire et ensuite la Justice tranchera. Elle dira s’il y a lieu de reprendre la procédure ou bien que l’on laisse Total s’implanter et ensuite voir comment faire en sorte que les autres puissent s’implanter tout au long des autoroutes à venir. Je pense que telle est la solution, mais on ne peut pas demander le retrait de Total. Il y a d’autres autoroutes qui sont en cours de construction comme Ila Touba. Il est prévu d’aller jusqu’à Saint-Louis, Kaolack. La véritable bagarre est de voir comment eux aussi doivent faire pour qu’ils puissent disposer d’espaces sur ces autoroutes afin d’y implanter des stations-services.

Peut-on connaître le nombre de stations qui ne respectent pas les normes ?

Actuellement, je n’ai pas de chiffres. Mais nous nous sommes rendus dans plusieurs régions du pays et je dirais même sur toute l’étendue du territoire pour voir si les stations implantées respectent bel et bien les normes. Dès que nous voyons une station qui n’est pas légalement constituée, on fait une mise en demeure au propriétaire. C’est à lui de faire en sorte que sa station respecte toutes les normes. Le CNH et la Direction de l’environnement et des établissements classés et la Direction de la protection civile du ministère de l’Intérieur travaillent d’arrache-pied pour faire respecter toutes les normes d’implantation de stations. Nous le faisons en tenant en compte les intérêts des populations riveraines et de l’environnement.

Qu’avez-vous constaté comme manquements ?

Je dirais que nous avons constaté beaucoup  de choses à revoir. A Touba par exemple, on a vu des eaux de ruissellement partout. Nous avons vu aussi des extincteurs qui ne sont bien normalisés et avons demandé à tous les propriétaires de mettre aux normes toutes les installations avant notre prochaine visite. Si on s’aperçoit que rien n’est fait, on peut retirer la licence à la société fautive. Il faut que tous les propriétaires mettent à la disposition du CNH leurs autorisations d’exploitation. L’on a aussi noté une illisibilité des consignes de sécurité, l’absence de documents prouvant la formation du personnel, la non-généralisation des ports d’équipements de protection, (bottes, chaussures, gants). Pour un garage, nous avons vu effectivement que la cuve d’hydrocarbure de 30 000 m3 n’était pas étanche. Imaginez 30 000 m3 qui se déversent.

Comment comptez-vous mettre un terme à l’anarchie dans ce secteur ?

Ce que l’on est en train de faire, c’est de revoir la réglementation pour fixer les distances minimales entre station de même couleur, mais également entre stations de différentes couleurs. La distance vise à minimiser certains risques. Une station qui peut prendre feu, alors qu’une autre est à moins de 25 mètres, s’il y a explosion, personne ne peut dire si la deuxième station ne va pas prendre feu. Il y a des propositions que l’on avait reprises en nous inspirant de ce qui se faisait au Maroc. On est en train de revoir la réglementation dans ce sens pour mettre des normes minimales. Maintenant, le grand problème, c’est l’existant.  Si une station est à 25 m d’une autre, est-ce qu’on peut la lever comme ça du jour au lendemain. Comme on dit généralement, en Droit, la réglementation est faite pour l’avenir. Certainement on va dire : à compter de ce jour, avec la signature de ce décret ou de cet arrêté, toutes les stations doivent obéir aux normes minimales.

Les acteurs disent que les problèmes dans la péréquation défavorisent l’implantation à l’intérieur du pays. Qu’en pensez-vous ?

Ça n’empêche pas de s’implanter. On a réglé le problème de la péréquation. Il y a 20 francs de péréquation. Il est vrai que quand vous distribuez à Dakar, vous collectez une certaine somme que l’Etat va garder. Quand vous allez à Tambacounda, c’est une charge que l’Etat rembourse. Supposons que ça soit 60 F par litre, vous déposez 100 litres, on multiplie par 60, ça fait 6 000 F le coût de transport. Mais vous devez amener toutes les pièces justificatives comme quoi vous avez déchargé à Tambacounda les 100 litres. Une fois que vous les avez déposées au ministère de l’Economie et des finances, on fait le calcul. On sait que de Dakar à Tambacounda, le coût, c’est tant de francs et on va vous rembourser. Depuis un bon moment, c’est devenu fluide ; les gens arrivent à percevoir leurs dus.

Comment se fait-il qu’il y ait des dettes qui remontent à 2010 voire au-delà ?

Si vous amenez des pièces qui ne sont pas vraiment nettes, on va les rejeter parce qu’il y a beaucoup de fraudes aussi. Quelqu’un peut venir dépoter à Thiès pour 4 ou 5 francs peut-être et après, dire qu’il a dépoté à Tambacounda et aller  voir des gars de Tambacounda  qui lui font des tampons bidon. Je ne dis pas qu’ils le font mais quand même, il y a eu des fraudes et  l’Etat a le devoir impérieux de vérifier toutes les pièces justificatives. Ceux qui sont chargés de voir les documents prennent le temps nécessaire pour bien faire leur travail. Car, s’ils valident une pièce alors que cette dernière est défectueuse, demain c’est sur leurs propres fonds qu’ils vont payer. Donc si un vérificateur n’est pas convaincu par une pièce, il peut exiger une autre. Cela peut être à l’origine des lenteurs. Mais depuis un bon moment, la situation est excellente parce que plus de 70% des volumes sont dépotés à Dakar. Et là, c’est l’Etat qui engrange de l’argent, c’est peut-être 30%, 25% qui vont dans les autres régions, ce n’est rien. 

 

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