Publié le 28 Mar 2018 - 00:37
PAPE FAYE (PRESIDENT ARCOTS)

‘’Faire du théâtre, c’est comme marcher sur des épines’’

 

Ce 27 mars marque la Journée internationale du théâtre. Le Sénégal la célèbre à sa manière. ‘’EnQuête’’ profite de cette occasion pour donner la parole au président national de l’Association des artistes comédiens du théâtre sénégalais (Arcots). Entre problèmes économiques, difficultés de se prendre en charge au plan médical, l’équation des lieux d’expressions, le tableau que dresse Pape Faye est loin d’être rose. Il est, à la limite, assez stressant.

 

Quel est le message de l’Association des artistes comédiens du théâtre sénégalais (Arcots) à l’occasion de la Journée internationale du théâtre ?

La Journée mondiale du théâtre, c’est toutes les entités théâtrales réunies. Les comédiens affiliés ou non à l’Arcots, ceux de Sorano, ‘’Caada’’, font partie des revendications. J’ai la casquette de président de l’Arcots, mais je parle au nom de cette communauté théâtrale-là. Demain (Ndlr : Aujourd’hui. L’entretien a été réalisé hier), c’est la célébration, l’acteur a droit à la parole. Personne ne va parler à notre place. Le message est local et essaie de faire état des préoccupations, des vœux, des doléances des artistes comédiens du Sénégal. Vous savez, au Sénégal, un comédien qui évolue dans le secteur privé n’a pas de salaire. C’est quelqu’un qui vaque d’une occupation à une autre, selon les situations et la vie du pays. Au regard de certains éléments que je considère assez ‘’alimentaires’’, on est obligé, des fois, de faire de petits boulots. Nous sommes passés par ça en le faisant dignement pour gagner notre vie.

Dans ce message qui sera adressé aux artistes, nous allons également leur dire que dans cette nouvelle structuration de la Sodav, ils ont leur part. Les artistes interprètes pourront désormais bénéficier de leur travail. Maintenant, pour cela, il faut qu’ils aillent s’inscrire dans les registres de la Sodav. C’est extrêmement important. Il ne faut plus que les artistes jouent et laissent après leurs recettes entre les mains de personnes malintentionnées. Heureusement que la Sodav est assez regardante sur le produit proposé par les artistes et compte faire bénéficier à ces derniers de leurs recettes suite aux prestations qu’ils donnent ou les spots radio et télé qu’ils font. Maintenant, quand on fait un spot télé ou radio, on n’est pas payé qu’à la conception. Mais on l’est au fur et à mesure que le produit se déploie dans le temps. Je profite de l’occasion pour remercier tout le Conseil d’administration de la Sodav qui travaille dans ce sens. J’ai demandé aux différentes troupes, dans leurs représentations d’aujourd’hui, sur un autre plan, d’intégrer ce qui fait l’actualité dans notre société également. Je les invite à parler des rapts d’enfants afin de sensibiliser les enfants et les parents. C’est important.

Qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui certains comédiens n’arrivent toujours pas à se prendre en charge au plan médical, alors qu’il existe une mutuelle dédiée à tous les artistes ?

Aujourd’hui, à l’heure où je vous parle, il y a encore quelques points nébuleux, assez sombres que l’on ne comprend pas dans cette mutuelle des acteurs culturels. Certains artistes comédiens malades ne savent pas à quel saint se vouer. Après la première assemblée générale au cours de laquelle a été élu le président du conseil d’administration, il y a 15 ou 17 mois, il n’y a pas eu de réunions sectorielles pour que les gens soient édifiés. Des artistes du théâtre peinent, jusqu’aujourd’hui, à se faire soigner parce que ne disposant pas d’outils leur permettant d’avoir des soins gratuits ou semi gratuits. Pourtant, c’est le rôle que devait jouer la Mutuelle des acteurs culturels à travers la Couverture maladie universelle. Il y a des choses pas encore claires dans l’esprit des acteurs. Moi qui vous parle, je n’arrive pas à expliquer les mécanismes aux artistes. Il faut que le Pca rencontre, de façon sectorielle, les acteurs et explique l’état d’avancement de ce projet qui nous semble novateur, salutaire, mais qui piétine encore. Quand un artiste tombe malade, on fait encore recours à la première dame, au ministère de la Culture ou que les artistes se cotisent pour le prendre en charge. L’on nous demande des fois : ‘’Mais où en êtes-vous avec cette mutuelle de santé ?’’ Je me demande si cette mutuelle a de l’argent. Je pose la question.

L’artiste Youssou Ndour a donné 75 millions de FCFA et le président de la République un peu plus, non ?

Je ne saurais vous le dire. Je ne saurais le confirmer parce que je ne les ai pas vus. C’est peut-être vrai. Je sais que quand le président promet des choses, il le fait. Idem pour Youssou Ndour. Dieu sait que je ne suis pas allé dans les caisses, donc je ne sais pas ce qu’il y a là-bas. Je sais juste qu’on n’a pas eu un retour de la présidence du conseil d’administration informant des rentrées d’argent. J’ai eu à poser des questions à des membres du conseil d’administration. Et les plus proches collaborateurs du Pca me disent : ‘’On n’en sait rien.’’ J’ai posé la question au secrétaire général de la mutuelle ainsi qu’au vice-président qui m’ont servi les mêmes réponses.

Ça, c’est un problème. Il faudrait, aujourd’hui, qu’ils s’organisent et nous fassent l’état d’avancement de cette mutuelle. Il nous fait un état sur la trésorerie. Je n’en sais rien sur ce point. Pourtant, j’ai été membre, pendant plusieurs mois, du comité de pilotage pour la mise en place de la Mutuelle de santé nationale des acteurs culturels. Ndiawar Mboup en était le coordonnateur. Aujourd’hui, des gens malades m’appellent et veulent savoir comment faire. Je suis dans l’incapacité de leur répondre parce que je n’en sais pas grand-chose. Je sais juste qu’un petit financement a été dégagé pour les frais de fonctionnement. Quant au capital, je ne sais pas s’il y a de l’argent ou pas. Je n’en suis pas sûr. Lors de la remise du Grand Prix du président pour les Arts, j’ai interpellé le Pca qui m’a dit qu’il attendait encore. Peut-être que c’est disponible maintenant, mais je n’ai pas l’information.

Au-delà des difficultés financières, à quels autres problèmes fait face le théâtre sénégalais ?

Le théâtre, au Sénégal, prend des ramifications. C’est un secteur qui s’élargit, eu égard, par exemple, à la pléthore de séries télévisuelles. Cela veut dire qu’il y a toujours des comédiens naissants ou renaissants, recrutés ou engagés. Aujourd’hui, on a l’impression qu’on n’a plus besoin de formation pour jouer dans des séries. Je n’ai rien contre. Cela prouve la passion que les gens éprouvent pour le théâtre. Donc, ce monde est devenu tellement vaste qu’il ne manque pas de petits problèmes. Ce sont des choses que nous gérons au niveau de l’Arcots nationale à notre manière. Pour la formation, par exemple, nous invitons les artistes à intégrer des sections de l’Arcots. Parce que c’est avec ces dernières que nous organisons des séances de formation. L’année dernière, par exemple, on a fait une formation d’une dizaine de jours à Pikine. On est allé ensuite à Thiès et à Saint-Louis. Et là nous venons de terminer une formation à Kaolack pour les comédiens affiliés à l’Arcots et ceux qui sentaient un besoin de formation. Dans deux mois, nous irons dans d’autres régions pour les mêmes raisons. La question de la formation est à régler.

L’autre difficulté à trait aux lieux d’expressions. Il y a des comédiens qui répètent dans des écoles le soir après la descente des élèves ou dans les centres culturels. Et dans ces derniers, c’est assez serré. S’agissant maintenant des problèmes économiques, c’est un choix. Dès l’instant qu’on a choisi de faire du théâtre, il faut vous attendre à marcher sur des épines. On est payé suivant les prestations. C’est pour cela que je recommande aux comédiens de trouver un autre métier à côté du théâtre de survie. C’est ma politique. Il y a des gens qui arrivent à tourner de façon régulière et à gagner leur vie. C’est pour cela que j’aime cette phrase de Douta Seck qui disait : ‘’Le théâtre a ses misères et ses grandeurs.’’

Lors de la Journée internationale du théâtre, l’année dernière, était annoncée la mise en place d’un fonds dédié au théâtre. A ce jour, il n’est pas effectif. Vous a-t-on expliqué le pourquoi ?

Je sais qu’il y a eu cette volonté de mise à disposition du fonds. Je me souviens d’ailleurs avoir participé à une réunion au Centre culturel Blaise Senghor où on parlait de ce fonds-là. Mais, apparemment, il n’est pas encore mis en place ou c’est l’appellation qui diffère, je ne sais pas. Je sais que le ministre a demandé aux acteurs de faire leurs demandes de subventions à soumettre au niveau régional. Au lieu maintenant de venir jusqu’à Dakar, ils vont envoyer cela aux centres culturels régionaux qui les feront parvenir au ministère.

Mais ne pensez-vous pas que le théâtre pourrait avoir son fonds, comme c’est le cas avec le cinéma ?

Suite à un discours du ministre de l’époque, Mbagnick Ndiaye, des journalistes m’ont approché pour me poser des questions. Le ministre avait annoncé l’augmentation de la subvention de l’Arcots nationale à 4 millions. La presse fait des investigations. Des journalistes m’ont approché en me demandant comment se faisait-il qu’on ait doté le cinéma d’un milliard, les cultures urbaines de 300 millions et qu’on veuille donner 4 millions au théâtre. J’ai répondu aux journalistes : ‘’Pour vous, est-ce concevable ?’’ C’est tout ce que je leur avais rétorqué. Les 4 millions étaient destinés aux frais de fonctionnement de l’Arcots, il faut le préciser. Mais cela a soulevé un tollé. Le ministre n’était pas content. Mais après la Journée internationale du théâtre, pour la première fois, on a évoqué, en Conseil des ministres, la problématique du financement de l’activité théâtrale.

C’était à saluer. Maintenant, il faut reconnaître que le ministère de la Culture appuyait les troupes qui ont souvent demandé des subventions par le biais de la Direction des arts. Quand on organisait des formations dans les régions, le ministère nous avait appuyés. On a eu également le soutien de quelques ambassades. Vous savez, pour faire une formation de dix jours, il faut, au bas mot, 2 millions de francs Cfa. Il faut transporter les artistes, les nourrir et payer ceux qui assurent la formation. C’est assez lourd. Entre nous, je ne voudrais pas revenir sur le débat sur le financement du théâtre, parce que cela peut gêner. Je ne veux pas gêner, parce que je sais que le ministre et ses collaborateurs sont dans les dispositions de nous accompagner. Il n’empêche qu’on demande que la subvention de l’Arcots soit revue à la hausse. Même si on nous donnait 100 millions l’an, ce ne serait pas suffisant. Nous sommes dans les 14 régions du Sénégal. Et chaque Arcots régional regroupe au moins 4 troupes.

Les Arcots animent le Festival du rire de Kaolack. Aura-t-il lieu cette année ?

Si, il aura lieu les 27 et 28 avril. Cette année, l’Arcots a décidé de prendre les choses en main. Nous avons dit au promoteur qu’il ne faudrait plus jamais qu’il mette un sou dans ce festival, même s’il nous faut manger du ‘’cëbu ketiax’’. Guédel Mbodj est fatigué de porter le festival à lui seul. L’année dernière, nous avons apporté une contribution. Mais c’était peu. Cette année, on va revoir le nombre de festivaliers et ce sera à eux de prendre en charge leur transport. Peut-être que Guédel prendra en charge juste l’hébergement. Parce que lui aussi est un père de famille et il ne peut pas continuer à s’endetter pour faire vivre ce festival. Il faudrait que l’Etat soutienne cette initiative ainsi que les autorités kaolackoises. Il ne faut pas qu’elles en fassent un problème politique. C’est une chose culturelle.

BIGUE BOB

 

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