Publié le 18 May 2017 - 16:26
PATRIMOINE MUSEAL SENEGALAIS

Que renferment nos musées ?

 

Ce 18 mai est fêtée la journée internationale des musées. Cette année, le thème choisi est ‘’Musées et histoires douloureuses : dire l’indicible dans les musées’’. EnQuête profite de cette célébration pour faire découvrir à ses lecteurs les contenus et les programmes proposés dans certains musées sénégalais. Mais également parler des problèmes auxquels font face ces institutions.

 

‘‘C’est un lieu de rendez-vous où on essaie de satisfaire les attentes de tout un chacun.’’ Ainsi est défini le musée par la présidente du conseil international des musées (Icom), Fatima Fall. Le dictionnaire Larousse le décrit comme un ‘‘lieu, édifice où sont réunies, en vue de leur conservation et de leur présentation au public, des collections d'œuvres d'art, de biens culturels, scientifiques ou techniques’’.

Le 18 mai de chaque année, comme c’est le cas aujourd’hui, ces espaces sont célébrés. Au Sénégal, il y a une vingtaine de musées. Mais il y a une différence entre les différentes structures muséales existantes. ‘‘Les musées n’appartiennent pas tous au ministère de la Culture et de la Communication. Nous avons les musées universitaires comme celui d’art africain Theodore Monod, celui historique de Gorée ou encore celui de la mer.

Ces trois appartiennent à l’Ifan (ndlr : Institut fondamental d’Afrique noire) qui dépend du ministère de l’Enseignement supérieur. Il y a d’autres musées qui dépendent de structures ou de corps particuliers. C’est le cas de ceux de la Gendarmerie et des Forces Armées’’, a classé le secrétaire général de l’Icom, par ailleurs conservateur du musée d’art africain Theodore Monod, El Hadji Malick Ndiaye. Ce que le directeur de l’Ifan, Pr Ablaye Touré, résume en une phrase : ‘‘Tous les musées ne sont pas placés sous la même tutelle administrative.’’ Il précise également que ‘’les musées universitaires sont censés porter dans leurs collections, dans leurs manière de les porter, les dernières évolutions dans le domaine de la science’’.

De ces espaces-là, les deux historiens distinguent d’autres qui sont privés comme celui de la femme ‘‘Henriette Bathily’’ logé à la Place du Souvenir. Dans ce lot toujours figure celui dénommé ‘’Khelcom’’ créé en 2010 par Mourtalla. Il est situé aux alentours de Mbour-Saly. A côté de ceux-là, se singularise ‘’Boribana’’. Il est passé du domaine privé à celui public. Crée en 1990 par le défunt collectionneur Boubacar Koné, il a été cédé à l’Etat du Sénégal en 2014, selon l’administratrice des lieux, Hawa Bâ Mara. ‘‘C’est un musée d’art contemporain qui a une collection d’environ 480 œuvres composées de céramiques, de sculptures et de tableaux. Actuellement, l’ensemble de cette collection est préservé, conservé, mis en emballage parce qu’on va vers une réhabilitation’’, a-t-elle indiqué.

‘’Musée de rupture’’

Dernier né, le musée des civilisations noires s’inscrit dans le lot de ceux qui appartiennent au ministère de la Culture et de la Communication, comme l’a été le musée dynamique inauguré en 1966 et cédé à la Justice lors des réformes structurelles, dans les années 1990. C’est l’actuel bâtiment qui abrite la Cour suprême. Ceux qui passent devant le Grand-théâtre ont forcément remarqué l’imposante nouvelle bâtisse avec sa forme arrondie avant l’ancienne Gare de Dakar. Elle abrite diverses salles d’exposition, trois galeries fermées, et une ouverte. Rien qu’une de ses galeries est plus grande que l’essentiel des musées de Dakar. Le nouveau né ne veut ressembler, en termes de contenus, à aucun des modèles déjà existants. Il se veut novateur sur tous les plans comme l’a assuré son administrateur, Hamady Bocoum. C’est pour cela d’ailleurs qu’il sera un peu plus autonome que les autres structures dépendant du ministère de tutelle. Il sera peut-être ce ‘’musée de rupture’’ dont rêve le Pr Ibrahima Thiaw de l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan). Il rêve qu’il soit ‘’un bijou’’ où seront attirées les communautés.

Manque de synergie dans les actions

Présenté ainsi, il apparaît que les différentes institutions muséales ne travaillent pas en synergie, quand bien même nombre d’entre elles fait partie de l’Icom. Une organisation créée en 1946, selon Pr Ablaye Touré. Ce qui est un ‘’problème’’, d’après M. Ndiaye. ‘’Dans les pays qui se respectent, il y a une coordination centrale des musées. Que ces musées appartiennent au ministère de la Culture ou à d’autres institutions, c’est l’Etat. En France, ils ont la Direction des musées qui coordonne les activités de tous les musées’’, a défendu M. Ndiaye. Le Sénégal n’a certes pas encore cela mais a une ‘’une tutelle tacite’’, selon M. Touré. ‘’Tous les musées, puisqu’ils s’occupent de culture, dépendent du ministère de la Culture. Mais c’est théorique’’, a-t-il précisé.

En attendant que cela soit pratiqué, certains musées font face à l’écueil de l’autonomisation. ‘’Le véritable problème des musées est l’autonomisation. Dans beaucoup de musées, vous ne trouverez pas de comptables, un dispositif mis en place permettant à l’institution de gérer ses sous, ses dépenses, d’avoir une certaine politique à hauteur de ses moyens et ambitions qui lui permette de ne pas dépendre de manière contraignante et étouffante de l’institution-mère’’, a estimé le conservateur du musée Théodore Monod. Son patron, Pr Touré, a renseigné qu’en ‘‘ l’état actuel des choses, ce n’est pas possible. Dans presque tous les autres musées, il y a un directeur mais ici, on ne parle pas de directeur, on parle de conservateur (…). Un musée universitaire reste un musée universitaire’’.

Déficit de formation des personnels

De manière beaucoup plus générale, au Sénégal, les institutions muséales sont confrontées à un déficit de personnels qualifiés. Cela se sent plus chez les techniciens, selon Pr Touré. La présidente du comité sénégalais de l’Icom Fatima Fall confirme ses propos. ‘’Nous gérons des collections qui sont très fragiles. Il faudrait qu’on puisse mieux les conserver mais en même temps, pouvoir les exposer et publier. Il ne sert à rien de ne faire que de la conservation. Nous sommes là pour conserver, collecter et publier’’, a-t-elle fait savoir. ‘’On n’a pas assez de techniciens. La formation de professionnels de musées au Sénégal ne date pas de longtemps.

C’est maintenant qu’on a des structures comme l’Isac, sinon il n’y avait pas de formations spécifiques pour les conservateurs de musées. Il y avait l’école du patrimoine africain et des structures de ce genre où certains sont passés’’, a assuré Professeur Thiaw. Pourtant, il le faudrait bien. Car, comme dit El Hadji Malick Ndiaye, ‘’la conservation n’est pas facile’’. ‘’Il faudrait une attention. Les objets, on les considère comme des personnes. Il faut être très attentif. Quand on fait des activités routinières, à un moment donné, on préconise un repos pour que la banalité ne prenne pas le dessus. Plus de 50% des dommages sur les objets sont dus à des personnes. Donc, c’est une question de connaissances’’. D’autant plus ‘’qu’en matière de conservations les connaissances évoluent. Il ne suffit pas seulement d’avoir le diplôme de conservateur. Il faut exercer et suivre une formation continue parce que les paramètres changent’’, a-t-il ajouté.

Les opérations de charme menées auprès des publics

Par ailleurs, comme l’a souligné le Pr Ibrahima Thiaw, ‘’un musée est avant tout un projet communautaire’’. Mais au Sénégal, ‘’il n’y a pas un engagement communautaire suffisant. Les musées sont ces espaces-là où on garde des objets. Ils donnent l’air d’être des cimetières à objets. Les populations ne s’y retrouvent pas. Un musée ne doit pas se construire dans l’anonymat’, a-t-il diagnostiqué. Aussi, certains voient-ils à travers ces structures des espaces élitistes. Il faut un certain niveau pour comprendre ce qui s’y passe. ‘’Les musées sont destinés à un certain type de public, un peu élitiste. Essayons, pour changer cela, de proposer une manière de communiquer beaucoup plus attrayante avec des moyens et des langages qui sont au niveau des populations visées. On doit essayer de leur faire comprendre que ce que nous exposons dans les musées, c’est leur histoire, leurs cultures, leurs civilisations etc.’’, a proposé le vice-président de l’Icom Matar Ndiaye.

Seulement, cette vision élitiste n’est pas toujours fondée. N’attendant plus que le public vienne à eux,  chaque institution essaie d’attirer du monde chez lui. ‘’Dans notre stratégie, on a prévu d’exposer sur les armées traditionnelles, les royaumes, les armées coloniales et les forces armées sénégalaises, de l’indépendance à nos jours. On a pris le programme scolaire des écoles et on a essayé de proposer des choses qui complètent l’enseignement en classe’’, a affirmé le Colonel Mandickou Guèye, conservateur du musée des Forces Armées. Bonne stratégie, serait-on tenté de dire. Surtout qu’en 2016, grâce à cette méthode, ce lieu a reçu plus de 6 000 visiteurs dont les 99% sont du milieu scolaire, toujours selon le Colonel Guèye. Ce dernier a compris  que ‘‘le musée est une extension de l’école parce ce qu’on a appris à l’école, on peut le vérifier au musée’’, selon Pr El Hadji Malick Ndiaye.

Le travail de l’équipe du colonel Guèye est également facilité par le fait qu’elle dispose d’un ‘‘muséobus’’. Ce qui leur permet de sillonner le pays, d’aller à la rencontre des gens afin qu’ils voient le résumé de ce qui se trouve sur le site. Toutes les écoles peuvent voir la collection du musée des Forces Armées. Il leur suffit d’adresser une demande à l’autorité compétente et un rendez-vous leur sera donné suivant l’agenda de la structure. ‘‘C’est pour mieux nous organiser qu’on procède ainsi’’, a dit Colonel Guèye. Il en de même au musée du centre de recherches et de documentation du Sénégal qui se trouve à Saint-Louis, dirigé par Fatima Fall. Dans presque tous les musées du Sénégal, l’entrée est payante avec des facilités pour les publics scolaires. Mais également pour les enfants en colonie de vacances qui souhaitent visiter ces hauts lieux de culture.

A Théodore Monod, le conservateur fait actuellement de son mieux pour rendre les lieux attractifs. En témoignent ces pots de fleurs mis à la devanture de l’édifice afin de lutter contre le parking sauvage. Mais également la politique qui y est menée. Jeune, ambitieux et fougueux, El Hadji Malick Ndiaye fait de son mieux pour marquer son passage dans cette institution. Aujourd’hui, il ne loue plus l’espace mais fait dans ce qu’on peut appeler ‘’échange de marchandises’’. Ainsi, le jardin va être refait, un restaurant y sera érigé, etc. Seulement, les gens ne viendront pas que pour la beauté des lieux. Cela, il l’a compris et a décidé de nouer des partenariats avec les écoles de la capitale ainsi que les clubs de littérature, d’art et de philosophie (Clap) des lycées.

‘’On a organisé deux workshop en collaboration avec des étudiants en design expérimental et en design de scénographie d’exposition. Ils consistaient à voir le dispositif de cette exposition poussiéreuse qui est en scénographie, un dispositif très ancien ne collant pas aux réalités actuelles’’, a informé M. Ndiaye. Donc, il faut cette scénographie désuète ‘’mais pour cela, il faut l’orienter de sorte que cela intéresse le Sénégalais lambda’’. Aujourd’hui, l’idéal, dans ce sens, serait de lier l’intérieur du musée au jardin botanique qu’abrite le même bâtiment. Il est également prévu de changer la manière de communiquer sur le contenu. Ainsi, le défi à relever, que cela soit pour le musée de l’Ifan, Forces armées, du CRDS de Saint-Louis, ou encore celui historique de Gorée, est d’aller à l’assaut des technologies de l’information et de la Communication. Il serait très difficile d’attirer des publics sans cela. Heureusement que tous l’ont compris.

D’après l’administratrice du musée Boribana, Hawa Bâ Mara, une application sera proposée aux publics afin qu’ils puissent visiter le musée de manière virtuelle à partir de leurs smartphones. Dans les Forces Armées, on travaille à la mise sur pied d’un site internet où ceux qui souhaitent visiter le musée pourront trouver de la documentation.

BIGUE BOB

 

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