Publié le 26 Sep 2019 - 00:24
PECHE ARTISANALE

Une activité en déliquescence 

 

C’est une lapalissade que de le dire : la pêche n’est plus ce qu’elle était. ‘’EnQuête’’ est allé à la rencontre des acteurs, pour mieux cerner les multiples maux qui gangrènent le secteur.

 

Dans ses habits mouillés, Mamadou Guèye enrôle ses filets sur un pan de sa pirogue accostée sur les rives de la plage de Soumbédioune. Il est presque 16 h. Le pêcheur vient de décharger sa maigre ‘‘moisson’’. Une seule caisse remplie de poisson, alors qu’il était en mer depuis 5 h du matin. Lamp Guèye, pour les intimes, est nostalgique des années passées. Une période où la pêche était fructueuse.

Né en 1981 à Yoff, cet habitant de Guédiawaye vit dans ce milieu depuis son enfance. Aujourd’hui, il est découragé par les bouleversements qu’a connus son secteur d’activité. Le constat est réel à Soumbédioune. Ici, tout marche au ralenti. Le poisson se fait rare. Les quelques pirogues qui débarquent n’apportent pas plus de 2 caisses. D’autres ornent le décor de la plage. Pendant ce temps, les propriétaires devisent entre eux. Là où des jeunes pêcheurs, à peine sortis de l’eau, sont préoccupés par une partie de grillade pour leur déjeuner. Une toute petite quantité dont la fumée embaume les lieux. Mais ils n’en ont cure. ‘’Cela fait partie de notre quotidien. C’est une vieille habitude. Nous profitons de ce que nous pêchons pour manger. Mais ce n’est plus comme autrefois. On préparait du poisson grillé à gogo. Mais vous voyez, nous n’avons pas beaucoup de poisson et tout le monde ne peut pas en avoir. On se contente du peu que l’on a pour ne pas mourir de faim’’, a-t-il laissé entendre.

Selon lui, la situation devient de plus en plus alarmante. Il estime qu’il y a une grande différence entre la pêche artisanale d’hier et celle d’aujourd’hui. ‘‘Auparavant, dit-il, il y avait beaucoup de poisson. Maintenant, il n’y a rien dans les côtes sénégalaises. Et pendant que la ressource diminue, on note en même temps une multiplication des embarcations. Ce qui complique davantage la situation’’. Se remémorant le bon vieux temps, le pêcheur explique qu’il se levait vers 5 h du matin et rentrait tôt à la maison. ‘‘Je n’allais même pas loin et j’avais la pirogue remplie de produits. Maintenant, on peut partir de 42 à 80 km au large pour avoir du poisson. Des fois, on rentre bredouille’’, s’est-il désolé.

Pis, Lamp en veut aux plongeurs qui, selon lui, détruisent sans le savoir les ressources halieutiques. Ainsi, il leur demande d’arrêter. Ceux qui pêchent à l’hameçon sont également pointés du doigt. ‘’Ils ont de grandes pirogues avec des filets qui sont interdits au Sénégal. Nous, nous achetons 4 000 F Cfa de carburant pour aller pêcher et la plupart du temps, on rentre bredouille. Ce n’est pas normal’’, a-t-il fait remarquer.

La prolifération des pirogues tue la pêche

Le regard hagard face à une mer calme, assis tout seul sur un banc de fortune, vêtu d’un pantalon vert assorti d’un tee-shirt jaune avec des rayures blanches, Chérif Fall est un pêcheur. Cependant, depuis quelque temps, il ne travaille pas. Ce père de 6 enfants quitte tous les jours Khar Yallah pour venir à Soumbédioune, son environnement à lui. Issu d’une famille de pêcheurs, il déroule : ‘’Mon grand-père Baba Fall était connu de tous. Il était un grand pêcheur. Moi, je possédais une grande pirogue qui mesurait 8 à 10 m. Elle est complément abîmée. Il n’empêche, je viens ici chaque jour pour trouver du boulot. Je me débrouille avec les pêcheurs actifs pour gagner des miettes.’’

Chérif Fall a une famille à prendre en charge. Laquelle n’a personne d’autre sur qui compter, si ce n’est lui. Et les dépenses sont nombreuses. C’est pourquoi il a pu partir une fois en mer pendant trois mois et ce, avec l’aide de ses amis pêcheurs. Après être revenu de la marée, la pêche a été ‘‘bonne’’. L’homme a empoché pour sa part la somme de 90 mille F Cfa. ‘’C’est mieux que rien. Comparé à ce que j’avais, on sent nettement que les choses ne marchent plus comme avant’’, souffle-t-il en croisant et décroisant les jambes.

Admirant ses camarades pêcheurs qui s’affairent à la grillade de poisson, il se souvient de la belle époque. A cette heure, souligne-t-il, les pêcheurs étaient déjà rentrés chez eux pour boire du thé ou prendre le déjeuner. On pouvait même avoir une autre activité parallèle. ‘‘Mais maintenant, ce n’est plus possible’’, assène-t-il.  ‘‘Jadis, on pouvait, du bout des doigts, compter les pirogues, d’ici jusqu’au village artisanal. Mais avec cette prolifération, on peut passer toute une journée à compter sans les finir. Un seul pêcheur peut disposer maintenant jusqu’à 3 à 4 pirogues.  Aussi, constate-t-on qu’il y a certains qui pêchent avec des mailles’’, a-t-il dénoncé. Avant de préciser : ‘’Il y a une nette différence entre la pêche avec les mailles en nylon et la maille en cordage. Ça crée même des différends entre nous. Ils violent en quelque sorte la loi. On le déplore parce que, parfois, ils tuent les petits poissons qui devaient assurer la procréation.’’

Eaux usées, filets en nylon, engins et pilleurs… source de la raréfaction du poisson

La maladie dont souffre la pêche artisanale n’épargne aucune zone côtière. Les maux sont d’ordre général. La plage de Yoff est dans la peine. Ici, précisément à ‘’Frigo’’ (Ndlr : Nom donné à la plage à cause de l’usine de poisson qui se trouve à quelques encablures), un calme plat y règne. Le ciel vient de faire tomber sur Dakar les dernières gouttes de pluie. Un vent frisquet souffle librement. De petites vagues s’échappent régulièrement et viennent s’écraser doucement sur la rive. A midi, la mer est plus ou moins tranquille. Des pêcheurs commentent l’actualité quotidienne sous un baraquement en ciment qui leur sert en même temps de mosquée.

Non loin de là, des jeunes se reposent. Ils viennent de sortir de l’eau avec une toute petite quantité de poisson. Laquelle a été très vite écoulée sur le marché. Les commerçants ne se font pas prier. ‘’Ils ramassent tout, car il n’y a presque plus rien en mer’’, s’enorgueillit un pêcheur avant de presser le pas. Et même s’il ne le dit pas, les temps sont durs pour eux. Aly Ndoye, domicilié à Yoff-Ngaparou, confirme : ‘’Je suis là depuis 1976, année de ma naissance. Nous sommes une famille de pêcheurs. Mon père travaillait également à l’Asecna. J’ai commencé à pratiquer l’activité de la pêche en 1993. A l’époque, j’alliais pêche et études. J’ai dû finalement abandonner cette dernière pour me consacrer à ce métier traditionnel. Aujourd’hui, la pêche n’est plus comme avant. Il y avait beaucoup de poisson. Là, les affaires marchent de temps en temps.’’ Mais quelle que soit la situation, balance-t-il, ‘’nous nous en remettons toujours à Dieu’’. Moulé dans un ensemble jaune-bleu, il reconnaît que la pêche n’est pas bonne dans cette zone. ‘’Le poisson se fait rare. Seuls ceux qui font la pêche au filet s’en sortent mieux que les autres. Heureusement que c’est la période du thon. C’est en ce moment que le commerce est plus rentable’’.

A ceux qui pensent que cette situation de raréfaction du poisson est due à la présence sur nos côtes de bateaux étrangers qui pillent les ressources, Aly Ndoye s’inscrit en faux : ‘’Je ne crois pas à ces allégations. Pour moi, tout dépend de la volonté divine. Même si les bateaux n’arrangent pas certains.  A Yoff, ce qui nous dérange, ce sont les ‘‘félé-félé’’ (Ndlr : filets en nylon différents du ‘‘mbaal’’ qui est en cordage). C’est interdit dans cette zone. Ce sont des personnes étrangères qui les amènent ici. Elles viennent d’horizons diverses comme Thiaroye ou Saint-Louis. Ces gens pêchent dans nos eaux comme nous le faisons parfois, en allant jusqu’à Rufisque’’. Récemment à Cayar (région de Thiès), cela a amené un conflit entre les autochtones, armés jusqu’aux dents, et les ’’pilleurs’’. Les premiers ont voulu interdire aux seconds ‘’d’exploiter abusivement leurs ressources halieutiques’’. Une vive altercation s’en était suivie et n’eût été l’intervention de la gendarmerie, le pire allait se produire. Toutefois, malgré cette diminution du produit, Aly Ndoye note que le poisson est plus rentable de nos jours. ‘’Il a plus de valeur maintenant’’, s’est-il réjoui.

Surpris en train de lire son journal sous une des tentes aux couleurs de l’Alliance pour la République dressées par le ministre et maire de la localité Abdoulaye Diouf Sarr, au grand bonheur des occupants, Issa Faye, instituteur, est venu profiter de l’air pur qui s’y dégage. Interpellé sur la question, l’enseignant fait savoir : ‘‘Quand j’étais élève, la pêche était rayonnante. Il arrivait ici qu’on prenne du poisson du matin jusqu’au soir. La mer était poissonneuse. Elle nourrissait beaucoup de monde. Pendant les vacances, on venait ici pour pêcher en vue d’avoir quelques sous. Maintenant, tel n’est plus le cas. Le poisson se raréfie.’’ Il poursuit : ‘’Ce que je déplore, ce sont les engins et les ‘‘doninké’’ (filets lestés avec des pierres) qu’on utilise pour pêcher. La mer est saturée. De plus, la pollution marine cause d’énormes dégâts.  Ici, il y a un canal qui déverse des eaux usées dans la mer. Les femmes aussi s’y mettent.  Alors, cela fait fuir le poisson.’’

Pourtant, affirme-t-il, il y a les surveillants des plages qui sont là. ‘’Ils n’acceptent pas des déchets solides. Mais parfois, il n’y a pas de contrôle. Autrefois, le sable était tellement blanc comme celui de Hann plage. Maintenant, il est sale à cause de la pollution marine’’.

Par ailleurs, les pêcheurs artisanaux appellent l’Etat à régulariser le secteur. Car, ont-ils révélé, chaque pirogue peut rapporter jusqu’à 50 millions de F Cfa par année, malgré les multiples difficultés qui entravent la pêche

AWA FAYE

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