Publié le 3 Jan 2019 - 01:06
PECHE CONTINENTALE ARTISANALE AU VILLAGE DE KEGNE KEGNE BATO

Paradis en sursis 

 

Baisse du niveau des eaux en saison sèche, surexploitation des ressources halieutiques, raréfaction du poisson, techniques de pêche archaïques, voire sauvages, sont les maux qui menacent le secteur de la pêche le long du fleuve Casamance, principalement à Kégné Kégné Bato, dans la région de Kolda, où la pêche sur ce fleuve constitue le principal moyen de survie des populations. Il y a aussi les changements climatiques. Les pêcheurs demandent, entre autres, le dragage du fleuve Casamance et la création des fermes piscicoles. Focus sur le quotidien des travailleurs de la mer.

 

Kégné Kégné Bato, village situé dans la commune de Saré Yoba Diéga, est distant de Kolda de 29 km. En cette matinée du 9 décembre, une fraicheur douce règne dans cette bourgade. Une nature généreuse étale sa verdure à  perte de vue. Cette beauté grandiose étreint le visiteur. Ici, les populations locales vivent des ressources naturelles, avec des activités centrées sur l’agriculture, la cueillette, le ramassage, la cordonnerie et la pêche.

Ces domaines leur permettent de lutter contre l’insécurité alimentaire et la pauvreté qui sévissent dans la zone. De toutes ces activités, la pêche continentale artisanale occupe une place prépondérante auprès des populations locales. Elle est pratiquée 12 mois sur 12 dans le fleuve Casamance qui regorge de potentialités halieutiques. Les plus importantes sont les carpes, les silures, les loups de mer, le poisson rouge, le poisson blanc, l’ablette et le tilapia.

‘’Ce fleuve permet de survivre. Grâce à la pêche, tous les jours, nous pouvions produire, plus de 500 à 600 kilogrammes de poissons par jour. Ces poissons sont vendus dans la commune de Saré Yoba Diéga et les villages environnants, mais aussi dans les bourgades situées le long de la frontière avec la Guinée-Bissau. Le kilogramme coûte entre 500 et 1 000 F Cfa, selon la taille du poisson’’, explique Landing Diafouné, pêcheur à Kégné Kégné Bato. Son compagnon pêcheur, Sékou Kidiéra, de poursuivre : ‘’Chacun de nous peut gagner 20 à 30 mille francs par jour.’’ ‘’Avec cet argent, nous parvenons à acheter les fournitures scolaires et les habits de nos enfants, la nourriture et assurer les soins médicaux de nos familles’’, renseigne-t-il.

Mais ces jours de pêche miraculeuse sont de plus en plus rares. La faute à la surexploitation des ressources (carpe, silure, loup de mer, poisson rouge, poisson blanc, ablette et tilapia). De ce fait, ce paradis des pêcheurs est en sursis. Le secteur s’essouffle. Les raisons en sont multiples.

Surexploitation des ressources halieutiques    

Dans la commune de Saré Yoba Diéga, comme partout ailleurs dans les régions de Kolda et de Sédhiou, la quasi-totalité des pêcheurs ne respectent pas les règles d’une pêche responsable. Ce qui met en péril des communautés entières. ‘’Ici, les réglementations en vigueur sont rarement respectées par les pêcheurs qui utilisent des engins prohibés comme le filet épervier à maille fine. Les plans d’eau dans la commune de Saré Yoba Diéga ne sont pas assez riches en ressources halieutiques, malgré la diversité des espèces pêchées’’, dénonce un élu local. D’autant que la pisciculture, qui devrait être la panacée, ne prend pas. ‘’La pisciculture, dans cette localité, est un projet moribond. Car les points d’eau sont de plus en plus détruits, du fait de l’ensablement qui, à court terme, risque d’être comblés de déchets, faute d’une politique idoine des autorités locales’’, se désole-t-il. Alors que ‘’la commune de Saré Yoba Diéga regorge d’énormes potentialités’’. Il cite le fleuve Casamance, les nombreuses espèces de poisson, les barrages, les équipements de pêche disponibles...

Mais les acteurs doivent composer de plus en plus avec de nombreuses contraintes. Il s’agit, entre autres, de la baisse du niveau des eaux en saison sèche, la rareté de certaines espèces halieutiques, le matériel de pêche obsolète, les techniques de pêche ancestrales, la non-observance du repos biologique et le problème de conservation des produits. Il est noté dans la zone que la surexploitation des ressources halieutiques fait que les loups de mer, les poissons rouges et blancs, les ablettes et les tilapias sont devenus introuvables dans le fleuve. Il ne reste que les carpes et les silures qui tendent aussi à disparaitre.

Cette raréfaction du poisson pourrait bien empirer, dans les prochaines années. Car la surexploitation de ces espèces a atteint un niveau inquiétant. D’ailleurs, les pêcheurs dressent un tableau sombre. ‘’Il y a une pression excessive sur les ressources halieutiques, du fait de la surexploitation, du battage des eaux et les barrages érigés sur le fleuve contribuent à la baisse du niveau de l’eau’’, explique Landing Diafouné. ‘’Avant, poursuit-il, on ne restait pas longtemps dans le fleuve. Une présence d’une à deux heures de temps suffisait pour pêcher d’importantes quantités. Maintenant, nous restons longtemps sans vraiment obtenir grand-chose. Vous voyez les quelques poissons que nous avons pêchés… C’est désolant’’.  

Il pointe les barrages érigés sur le fleuve à hauteur des villages de Saré Mory et Maka qui entrainent une baisse du niveau de l’eau et le battage des eaux. Son compagnon Sékou Kidiéra avance une autre raison. ‘’La raréfaction du poisson, dit-il, ne s’explique pas seulement par la surexploitation. Il y a la saison sèche. Pendant cette période, le fleuve est coupé par endroits. Cela ne facilite pas le déplacement des poissons vers notre zone’’, renseigne-t-il.

Le poisson se fait rare

Tout ceci fait que la distance pour aller chercher le poisson est de plus en plus longue. ‘’On fait, parfois, 5 à 6 heures de voyage. Et malgré cela, on revient bredouille’’, explique le doyen qui a travaillé à Kégné Kégné Bato comme pêcheur et vendeur de poissons depuis 1970. Le pêcheur Manding Faty d’ajouter : ‘’Nous quittons à 20 h ou à 22 h pour rentrer le lendemain, dans la matinée. Parfois, la pêche n’est pas bonne. Dans nos pirogues, on se retrouve avec quelques espèces’’.

Cette rareté du poisson constatée à Kégné Kégné Bato, à Saré Mory, à Djignawouling, à Kartia et à Diana Malary, localité visitées, trouve d’autres explications. Ils sont nombreux à la mettre sur le compte des conditions climatiques défavorables. Les autres accusent la politique de l’Etat ou l’absence de politique. ‘’L’Etat doit diminuer le coût du matériel de pêche et créer des bassins piscicoles à Kolda et à Sédhiou’’, disent-ils.

Solutions

Conscients des menaces qui pèsent sur le secteur, les élus locaux préconisent des solutions pour mieux vivre de cette profession. Ils appellent de leur vœu le dragage du fleuve et l’aménagement de bassins piscicoles. Ils demandent que leur soit facilité l’accès au crédit. Ils veulent aussi que soit observé le repos biologique des espèces.

Il y en a qui demandent à l’Etat de créer un cadre de suivi, de contrôle et de surveillance le long du fleuve Casamance, afin de réduire les pertes-captures du poisson sur le fleuve. D’ailleurs, ces élus locaux vont réfléchir sur l’utilisation durable des ressources halieutiques, de la capture jusqu’à l’assiette. ‘’Cela nous permettra, en tant qu’élus locaux, d’identifier et de dénombrer tous les pêcheurs artisanaux ainsi que leur matériel utilisé, connaitre les quantités des captures par pêcheur, par engin et par jour, afin d’avoir des statistiques fiables de production, catégoriser les exploitants afin de mettre à leur disposition des permis d’exploitation de ressources, constituer une brigade de surveillance et faire respecter les normes élémentaires d’hygiène pendant la période de la grande production’’, liste Malang Faty.

A l’en croire, c’est en respectant ces dispositions que le secteur de la pêche pourra contribuer à l’essor économique de la commune.

Les pêcheurs demandent à Macky Sall de respecter sa promesse

En février 2015, lors de la cérémonie de réception des bateaux ‘’Aguène’’ et ‘’Diambogne’’, et l’inauguration du complexe frigorifique de Ziguinchor, le président de la République, Macky Sall, avait soutenu que le fleuve Casamance sera dragué. D’ailleurs, il avait dit que la première phase du projet est terminée et le contrat pour la réalisation des travaux de dragage du fleuve Casamance a été signé. Le dragage du fleuve Casamance est financé par le Programme Orio des Pays-Bas, d’un coût de 21 milliards de francs Cfa, avec une contrepartie de l’Etat du Sénégal de 50 %’’.

A Kolda, les pêcheurs s’impatientent. ‘’Voilà quatre ans ! Cette promesse a été rangée dans les tiroirs de l’oubli. C’est pourquoi, nous pêcheurs du fleuve Casamance, exigeons du président Macky Sall le respect de sa promesse’’, soutiennent les pêcheurs. ‘’Le dragage du fleuve Casamance, poursuit-on, contribuera à booster le développement de la Casamance. Ce projet de dragage permettra également de développer le tourisme, la pêche, l’agriculture ainsi que l’industrie de la transformation de nos produits’’.

La création des fermes piscicoles

En attendant ce dragage du fleuve, les pêcheurs poussent pour la création de fermes piscicoles dans les régions de Kolda et de Sédhiou, afin d’éviter l’immigration clandestine, l’exode rural. Le poisson se faisant rare, la pisciculture est une solution toute trouvée.

La Casamance est un territoire traversé par de nombreux cours d’eau douce et salée. Les potentialités en matière aquacole ne demandent qu’à être exploitées. D’autant que l’existence de terres salées rend impossible l’agriculture. A noter que les tilapias noirs ou rouges sont les principales espèces produites dans les fermes piscicoles qui existent.

EMMANUEL BOUBA YANGA

 

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