Publié le 26 Sep 2019 - 02:38
PECHE A GUET NDAR

Problèmes subsistants, malgré un nouvel accord

 

Un protocole d’accord a été convenu entre le Sénégal et la Mauritanie, après les interventions létales de plus en plus récurrentes de la marine mauritanienne contre les pêcheurs de Guet-Ndar. Malgré cet arrangement administratif, ces derniers continuent de subir les soubresauts d’une défaillance structurelle de l’activité. 

 

La langue de Barbarie est une bande de terre d’une trentaine de kilomètres s’étirant du nord au sud de Saint-Louis, depuis la frontière mauritanienne et le quartier de Sal Sal, le long de la côte sénégalaise jusqu’à l’embouchure du fleuve Sénégal. Elle abrite l’un des quartiers les plus réputés de ce pays qu’est Guet-Ndar. Une localité célèbre pour son surpeuplement et son activité principale : la pêche.

Ce lieu de forte densité humaine est réputé aussi pour son ancrage à la tradition. Ici, les générations se croisent et s’activent dans l’homogénéité d’une pratique séculaire. On ne peut pas venir à Saint-Louis sans visiter ce quartier atypique où la pêche traditionnelle s’acquiert et se transmet entre membres d’une même famille. A Guet-Ndar, se lever tôt est un sacerdoce. Jeunes et vieux prennent d’assaut les mosquées très tôt à l’aube pour la prière. L’islam est la seule religion pratiquée dans ce quartier où les femmes sont connues pour leurs multiples activités génératrices de revenus liées au secteur de la pêche. Tout tourne autour de cette activité. Dans ce quartier populeux, dense et vivant, on ne vit, on ne parle que de pêche dans ses ruelles étroites et lieux de palabre. Les enfants, dans une ambiance carnavalesque, gambadent, tapent sur le ballon, sur de petites aires de jeu envahies par des moutons.

Il est 8 h déjà ; les ruelles sont bondées de monde. Malgré cette description festive, ce quartier vit avec ses maux et problèmes. Le secteur de la pêche est ‘‘moribond’’. La pauvreté y sévit depuis des années, alors qu’elle n’était pas le lot quotidien de ces populations habituées à la générosité de la mer. Depuis quelques années, ces pêcheurs naviguent en eaux troubles. La pêche n’est plus ce qu’elle a été. Les acteurs sont pris entre le marteau légal (tirs des garde-côtes mauritaniens, licences de pêche) du pays voisin mauritanien et les enclumes d’une brèche meurtrière, de la découverte du gaz, de l’érosion côtière qui a chassé les populations de leurs maisons, de la présence des bateaux étrangers et la modernité de l’activité de la pêche.

A cette heure matinale, les chambres sont désertées. On s’occupe d’activités quotidiennes pour survivre. Le travail est un dogme. Seuls les vieux se reposent. Ils se regroupent par groupe et discutent. Après des salutations adressées à des sages, nous déclinons l’objet de notre visite. Tous se réjouissent de nous parler de la pêche ‘‘qui se meurt lentement et sûrement’’. Certains pointent d’un doigt accusateur l’Etat, mais d’autres indexent les conséquences d’une mésentente diplomatique d’il y a quelques années. ‘‘Trente ans en arrière, on vivait de la pêche, mais depuis la crise avec la Mauritanie en 1989, il n’est plus possible d’aller dans cette zone très poissonneuse pour faire la pêche’’, nous dit d’emblée Moussa Diaw, un vieux pêcheur. ‘‘Moi qui vous parle, j’ai tout eu là-bas. A l’époque, les Mauritaniens ne s’intéressaient pas à la pêche’’, a-t-il révélé. A l’en croire, c’est avec l’arrivée des Asiatiques dans cette zone que la République islamique de la Mauritanie a découvert le véritable potentiel de cette activité. Un de ses voisins lui coupe la parole et se rappelle. ‘‘On avait les meilleures techniques de pêche, contrairement aux jeunes d’aujourd’hui qui captent beaucoup de petites espèces halieutiques, alors que la loi mauritanienne interdit cela’’, se désole Ibnou Dièye.

Mais selon la plupart de ces vieux pêcheurs, la faute incombe à l’Etat du Sénégal. ‘‘Nos côtes ne sont pas poissonneuses, on n’a pas une bonne politique de repos biologique, alors que la Mauritanie a trouvé les moyens nécessaires pour gérer ses ressources’’, ont-ils tous dit. Appréciant les nouveaux accords de pêche ‘‘exigés’’ par la Mauritanie, ces sages saluent la perspicacité du chef de l’Etat ‘‘qui a beaucoup fait pour la pêche à Saint-Louis’’. D’ailleurs, ils ont formulé des prières pour le maire Mansour Faye pour son assistance quotidienne à leurs côtés, sans oublier l’ancien ministre de la Pêche et de l’Economie maritime, Oumar Guèye.

Cependant, ils demeurent sceptiques que si des assises sur la pêche à Saint-Louis ne se tiennent pas, le secteur va continuer de connaître des problèmes. ‘’Il faut écarter certaines organisations de pêche qui sont dans le quartier et aller vers la base pour que les problèmes soient posés sur la table’’, a martelé un vieux, bonnet bien posé sur la tête, les yeux rouges et ses mains rigides témoins de son sacrifice dans ce secteur durant des années. Ce dernier accuse les jeunes d’aujourd’hui d’avoir dilapidé les ressources avec leurs nouvelles techniques de pêche. ‘‘Il faut se dire la vérité : les Mauritaniens songent à l’avenir de leurs générations futures, c’est pourquoi ils ont décidé de bien gérer leur mer. C’est à nous de revoir nos démarches’’, a-t-il lancé.

Aujourd’hui, avec la signature de ce nouveau protocole d’accord, Guet-Ndar respire, car depuis des années les pêcheurs n’avaient pas de licences. La destination mauritanienne était un sens interdit. Ce qui avait freiné le secteur de la pêche. A Saint-Louis, si la pêche de Guet-Ndar éternue, c’est toute la population qui tombe malade.

Avec les accords, l’espoir renaît, mais…

La pêche est une activité exclusivement réservée aux jeunes gens valides. En cette belle matinée de juillet, la chaleur est torride, suffocante. Il fait 11 h au quai de pêche jouxtant le cimetière de Guet-Ndar. En face, se dresse le site ‘’Sine’’ où les femmes s’adonnent à la transformation des produits halieutiques. Les odeurs du poisson séché ou fumé dominent.  Des jeunes vendeuses de sardinelles, de salés séchés, de poisson fumé, entre autres produits halieutiques, font la navette entre l’avenue Lamothe et le marché de Ndar-Toute. La circulation est intense. Les pirogues, de retour de la haute mer, déversent leurs prises et de grands gaillards se chargent de les ranger dans des caisses avant de les disposer dans des camions frigorifiques. Outils de pêche à la main, ‘’Zico’’, comme l’appellent ses pairs, capitaine d’une pirogue qui revient de la mer, soutient qu’il faut quitter la forme traditionnelle pour la modernité.

Et il pense qu’il faudra commencer par doter les pêcheurs de pirogues en fibre comme en Europe. ‘’Il y a de fortes vagues qui précipitent le chavirement et si les embarcations sont modernisées, le taux de mortalité va diminuer’’, a-t-il proposé. Et il énumère les problèmes : non port de gilets de sauvetage, non maitrise ou non-respect des conditions météorologiques. Une opinion partagée par Baye Diallo coordonnateur du Comité local pour la pêche artisanale. ‘‘Nous sommes pour la modernité, car le monde évolue mais il faut qu’on l’adopte à nos anciennes pratiques de pêche qui, nous le disons tout haut, sont les meilleures en Afrique’’, a-t-il dit. Et selon lui le gouvernement est en train de dérouler un programme de pirogues modernes en fibre. ‘‘Nous saluons ce programme, mais on accusera du temps pour l’appliquer, car les familles de pêcheurs sont nombreuses à Guet-Ndar’’, a-t-il souligné.

Baye Diallo de préciser que le protocole signé avec la Mauritanie a suscité un espoir dans le secteur. Mais, selon lui, il y a beaucoup de brebis galeuses dans la pêche, tant au Sénégal qu’en Mauritanie. Et il insiste sur le problème de l’affrètement, un système très mal organisé. ‘’Nous rappelons encore au ministre en charge du secteur la situation des pêcheurs qui sont à Guet-Ndar recrutés par des Mauritaniens et qui souffrent des tracasseries de leur patron’’, a-t-il rappelé. Aussi, à en croire M. Diallo, il faut, du côté sénégalais, éviter de cueillir les petites espèces halieutiques interdites par le Code de la pêche de la Mauritanie. A Guet-Ndar, la tradition a fini de prendre le dessus sur tout. Le taux d’analphabètes est croissant. Les merveilles actuelles du monde sont méconnues par la plupart des jeunes. ‘’Il faudra une formation assidue au profit des pêcheurs pour qu’ils arrivent à changer leur comportement et surtout à utiliser à bon escient les nouvelles technologies pour l’intérêt général du secteur’’, a lancé M. Diallo.

Face à cette envie de modernisation des acteurs, se heurte le manque de moyens du Service régional de la pêche. Un bâtiment administratif logé à l’Hydrobase, sans mur de clôture. Manque de personnel et de logistique se dresse comme étant les véritables goulots d’étranglement de ce service très important du dispositif. A notre arrivée, le patron était sur le terrain. La seule personne trouvée sur les lieux nous informe de son absence. Son portable est hors connexion. ‘‘Il est en train de contacter les acteurs de la pêche pour un bon déroulement des accords’’, nous a-t-on soufflé. Mais, au Clpa, on défend courageusement le programme d’équipement de ce service. Tout indique que ce bâtiment est laissé à lui-même.

De retour sur nos pas, Guet-Ndar est encore ambiant. La circulation est intense. La route qui nous ramène de ce quartier traditionnel est disputée par les charretiers, les bus Tata et les ‘’taxis-clando’’ qui reviennent de l’Hydrobase. La pêche est aujourd’hui en eaux troubles, alors que pas mal de jeunes Guet-Ndariens ont abandonné les études. Ils veulent aller en mer pour gagner de l’argent. Seuls quelques jeunes vont à l’école. Le cercle des intellectuels est restreint dans ce quartier de pêcheurs. Etre un élève, à Guet-Ndar, est loin d’être facile. ‘’Parfois, on voit des amis qui récoltent des sommes colossales pendant une campagne de mer et cela nous pousse à laisser tomber les études pour aller en mer’’, a avancé Daouda Diagne. Lui n’est pas tombé dans ce piège. Mais les problèmes de la pêche ne se limitent manifestement pas qu’à la mer.

FARA SYLLA

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