Publié le 2 Oct 2019 - 23:26
PERSPECTIVES POLITIQUES APRES EMPRISONNEMENT

Ces options qui s’offrent à Khalifa Sall

 

Après le coup d’arrêt de l’affaire de la caisse d’avance de la ville de Dakar, l’avenir politique de Khalifa Ababacar Sall n’est pas en pointillé, mais suscite de nombreux questionnements. ‘’EnQuête’’ a tenté de voir, avec le docteur en sciences politiques Maurice Soudieck Dione, les choix qui s’offrent au maire révoqué de Dakar.

 

Khalifa Sall est libre. Pour le moment, c’est la polémique sur les modalités de son élargissement et la perte de ses droits civiques qui est agitée. Le maire révoqué de la ville de Dakar pourrait revenir fort, très fort même, avec le capital sympathie engrangé suite à sa peine de prison purgée à moitié, mais stoïquement. Une situation tellement bien comprise qu’une bataille d’opinion est déjà engagée, sur l’initiative de la demande de grâce, pour lui savonner la planche et endiguer le triomphe populaire de sa libération de dimanche dernier.

Khalifa reprendra-t-il son envol politique après le coup d’arrêt de Rebeuss ? Pourrait-il atteindre la même altitude qu’en 2017, en pleine vitesse de croisière de ses ambitions politiques ? Il est clair que le comeback du leader socialiste sur la scène politique donne déjà des cheveux blancs aux adversaires aussi bien qu’à certains alliés qui ont profité de suffrages de substitution en son absence. Malgré son exclusion de la Saint-Sylvestre 2017 par le Bureau politique des socialistes, ainsi que celle de 64 autres dissidents, la procédure n’est pas totalement arrivée à terme, puisqu’aucune notification officielle ne leur a été signifiée. Ce qui veut dire qu’il est de jure dans la matrice socialiste. D’ailleurs, au lendemain de cet acte, 24 pro-Khalifa signataires d’un communiqué estampillé ‘‘Parti socialiste des valeurs’’ dénonçant ‘‘cette purge stalinienne’’ étaient là pour montrer que le maire, alors en prison, n’était pas prêt à se laisser passer au fil de l’épée aussi facilement par ses camarades de Colobane.

L’option de reprendre la main chez les ‘‘verts’’ est donc à ne pas exclure pour le ci-devant secrétaire national chargé de la vie politique du Ps.

Sauf que pour le docteur en sciences politiques et enseignant-chercheur à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, Maurice Soudieck Dione, la donne risque d’être compliquée par les options stratégiques prises par la direction des ‘‘verts’’. ‘‘Continuer au Ps me semble problématique, car il y a eu une cassure profonde dans cette formation politique, avec notamment une ligne inscrite dans l’option de pérenniser Benno Bokk Yaakaar et celle dissidente dirigée par Khalifa Ababacar Sall. D’ailleurs, c’est à cause de ces contradictions et de ces confrontations au sein du Ps, avec des épisodes violents, que Khalifa Ababacar Sall a subi cet acharnement politique et judiciaire. Il me semble hypothétique qu’il puisse revenir sans coup férir pour diriger le Ps, après cette rupture forte. D’autant plus que le Ps participe à la gestion du pouvoir et que Khalifa Sall marque son ancrage dans l’opposition et dans la démarcation par rapport à Benno Bokk Yaakaar’’, analyse-t-il. Mais depuis le décès du secrétaire général national du Parti socialiste et le choc sourd des ambitions à Colobane, cette option ne semble pas surfaite, d’autant que les exclus ont toujours revendiqué leur filiation socialiste.

L’option Manko, bien mais...

Pour donner un coup d’accélérateur après le coup d’arrêt, Khalifa peut aussi compter sur sa famille politique de ‘‘substitution’’. Redémarrer avec la coalition Taxawu Dakar (2009) ou son avatar Manko Taxawu Senegaal (2017) est également une solution très envisageable pour Khalifa Ababacar Sall. Taxawu puis Manko ont été les leviers sur lesquels il a manœuvré intelligemment pour s’affranchir de la pesante ‘‘tutelle’’ du Ps et, au-delà, de Benno. Preuve de ce dynamisme, le septennat de règne sans partage sur Dakar à compter de 2009. La mairie conquise, l’apport considérable à l’élection de Macky Sall à la Présidentielle de 2012, la razzia électorale dans le département dakarois aux Locales de 2014 (16 communes sur 19) démontrent que la coalition de partis dirigée par Khalifa Sall ne se voyait pas en cinquième roue du carrosse. Le référendum du 20 mars 2016, et surtout les Législatives de 2017 perdues sur le fil à Dakar (2 000 voix) devant la coalition... alliée qu’est Bby, arrêtent son avancée. Sa condamnation à une peine de prison l’année suivante constituera un sérieux coup d’arrêt à sa carrière politique.

Réactiver cette coalition qui a su contourner la volonté du Ps (et de Bby) de faire rentrer Khalifa Sall dans les rangs, souffre toutefois de sa constitution circonstancielle, de l’avis du professeur Dione. ‘‘Manko (Ndlr : Manko Taxawu Senegaal) était une coalition électorale mise en place pour aller aux élections législatives du 30 juillet 2017. C’était une coalition ad hoc. Donc, elle n’est plus d’actualité. Entre-temps, il y a eu la Présidentielle du 24 février 2019, et la coalition Idy2019 comptait en son sein les partisans de Khalifa Ababacar Sall, écarté de cette compétition à cause de ses démêlés politico-judiciaires’’, explique-t-il.

 Cependant, la reconstitution est une carte que le maire révoqué peut garder sous la manche, d’autant qu’il a concédé de gros sacrifices à ses alliés de Manko au détriment de ses lieutenants (Barthélémy Dias, Idrissa Diallo, Bamba Fall, Cheikh Guèye) qui ne sont pas parmi les sept députés à siéger à l’Hémicycle.  D’ailleurs, l’analyse du Pr. Dione contraste avec celle du directeur de publication du quotidien ‘‘Le Témoin’’, Mamadou Oumar Ndiaye. Ce dernier est globalement d’avis que les récents développements sur la scène politique sont des vents favorables pour la reprise de la navigation politique de Khalifa Sall. ‘‘Des retrouvailles sont possibles entre Khalifa Sall et le Parti socialiste, du moins la frange dirigée par Aminata Mbengue Ndiaye et, au-delà, avec Macky Sall qui a besoin de quelqu’un pour travailler. Pour réussir la modernisation de Dakar, il aura besoin de quelqu’un comme Khalifa Sall qui n’est plus aux affaires, mais a ses maires par procuration, de Soham Wardini à Barthélémy Dias, en passant par Cheikh Guèye, Bamba Fall, Idrissa Diallo. On ne peut rien réussir de bon à Dakar sans l’incontournable Khalifa Sall. De la même façon, on ne peut s’en passer au Ps. Maintenant que l’obstacle Tanor est levé, une réconciliation est tout à fait envisageable à l’intérieur du Ps. Ce sont ces paramètres qui vont jouer pour les prochaines années’’, expliquait-il dans notre livraison de lundi dernier.

Cavalier seul

Une chose est sûre : l’option de la table rase, d’un redémarrage à zéro, est exclue, au vu des actifs politiques de Khalifa depuis presque un demi-siècle d’implication sur la scène politique. L’enseignant-chercheur estime que le désormais ex-détenu a fait ses preuves avec la coalition Mts et est dans les dispositions de rééditer l’exploit, mais sous une nouvelle formule.

‘‘Il ne peut pas repartir à zéro, puisqu’il est parti de quelque chose ! Khalifa Sall totalise plus de 50 ans de militantisme politique. Il a remporté, en 2014, les élections locales dans la capitale avec Taxawu Dakar, en raflant la quasi-totalité des communes d’arrondissement. Il garde des partisans du Ps et dans le Ps et surtout que sa popularité peut augmenter, avec la sympathie dont il bénéficie, liée au fait qu’il est considéré comme ayant été une victime dans cette affaire politico-judiciaire.

Il lui appartiendra, en politique expérimenté, de trouver la combinaison optimale pour fédérer le maximum de personnes autour de lui et du projet politique qu’il ambitionne d’incarner. Des jalons semblent avoir été posés en ce sens à travers Taxawu Senegaal, dont l'élan avait été brisé en perspective des Législatives de 2017, avec l'éclatement de l'affaire politico-judiciaire de la caisse d'avance de la mairie de Dakar, qui a été l'origine de l'emprisonnement de Khalifa Sall’’, conclut le professeur.

OUSMANE LAYE DIOP

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