Publié le 27 Jul 2013 - 17:45
PHÉNOMÈNE DE SOCIÉTÉ

 Le téléphone portable, machine à scandales

 

Le phénomène n'est pas si nouveau. Mais il impacte de façon bien souterraine sur la marche de la société, qu'il mérite d'être pris au sérieux. La tendance à espionner son vis-à-vis, à l'enregistrer à son insu, à l'image du cas du commissaire Keïta, est aujourd'hui devenue une arme de bataille pour se positionner ou éliminer un adversaire gênant...EnQuête revient sur quelques affaires marquantes et essaie de les décortiquer...

La scène est assez classique. Un nouveau boss arrive dans un prestigieux corps de l'État, de surcroît, au sein de l’Office central de répression du trafic illicite de stupéfiants (OCRTIS), champion dans la traque du grand banditisme. Ici les agents sont des durs à cuire qui ont au quotidien affaire à la pègre. Le nouveau boss a lui besoin de prendre ses marques, de montrer qu'il n'est pas là par hasard. Alors, quoi de plus naturel que de leur en mettre plein la vue, à la moindre occasion ? Dans l'enregistrement mettant en scène le commissaire Keïta et des collaborateurs, le nouveau boss qu'il est se lâche, dans le souci de mieux se mettre en valeur. Sauf que, certainement par déformation professionnelle et habitude, des collègues ont le réflexe d'enregistrer le petit laïus du nouveau patron qui dérape et s'en prend au ministre de tutelle, à sa hiérarchie et au président de la République lui-même. Manque de bol, un scandale éclate. Il se retrouve sous le feu de l'actualité. Les enregistrements, faits par le truchement de téléphones portables, sont utilisés contre lui pour ruiner la crédibilité de ses propos. Il se retrouve sous le coup d'une procédure administrative, devant comparaître devant un conseil d'enquête de la police et risque la radiation du corps de police. Sans compter les poursuites judiciaires enclenchées.

Si la validité de ces enregistrements peut être sujet à caution, leur contenu ont édifié plus d'un sur le personnage et ses manières de procéder. Ce scandale fait écho à l'autre grosse affaire qui avait mis sens dessus-dessous la magistrature sénégalaise.

La magistrature secouée par...un téléphone portable

Le jeudi 6 juillet 2006, un certain Djiby Ndiaye est convoqué au 4ème étage de l’immeuble Pasteur, siège de l’Inspection générale. Il fait une déposition et donne un enregistrement. Une bande sonore dans laquelle on entend l’Avocat général près la Cour de cassation faire des confidences terribles. Auparavant, la presse, le journal Le Populaire précisément, avait décrypté ces échanges salaces dans lesquels Mme Aminata Mbaye reconnaît avoir perçu et redistribué les 15 millions de francs Cfa. Pour comprendre les dessous de cette affaire, il faut remonter à 1995, aux États- Unis. Mouhamed Guèye est arrêté par la police fédérale, dans l’État de New York. Le génie de l’informatique a réussi à s’introduire dans le système informatique de plusieurs banques américaines, qu’il a réussi à pirater. Sa femme fait appel à Momar War Seck, son oncle, pour le tirer d'affaire. La caution est fixée à 180.000 dollars américains. L’oncle ne dispose pas d’une telle somme, mais Guèye si.

L’oncle, pour aider la nièce, aurait accepté que de l’argent appartenant à Mouhamed Guèye transite par son compte parisien et retourne aux États-Unis. Mais le juge américain refuse la liberté sous caution à Guèye. Il s'agit d'un crime fédéral. Mouhamed Guèye est jugé et condamné. Il fait 10 ans de prison.

En février 2005, il débarque à Dakar. Sa femme, lasse d’attendre, a refait sa vie. Déterminé à rentrer dans ses fonds, il porte plainte contre l’oncle de sa femme. Les deux parties s'accordent pour une médiation pénale. Momar War Seck verse un acompte de 15 millions et promet de régler le reste après avoir vendu sa maison qui se trouve dans les Sicap. Toutefois, la transaction n’aboutit pas. Le plaignant contre-attaque. L’affaire est enrôlée pour être jugée le 6 juin 2006. Momar War Seck réussit, entre-temps, à prendre contact avec l’Avocate générale près la Cour de cassation, Mme Aminata Mbaye et décide de se payer la complaisance desjuges de la première chambre et du premier substitut du procureur. Le 28 mai, 8 millions sont remis à Mme Aminata Mbaye. Le 2 juin, 7 millions lui sont remis. In fine, l'Avocate générale avait simplement été envoyée à la retraite anticipée. Selon toute vraisemblance, l'organe disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature n'avait pas voulu pousser la dame dans ses retranchements et provoquer un déballage. La fin risque d'être moins heureuse pour le commissaire Keïta.

Le téléphone, arme politique

En 2010, il y a eu l'affaire Diombass Diaw. Le responsable libéral à Dagana avait été filmé dans une mauvaise posture et les images se sont retrouvées sur internet. Il avait alors porté plainte contre Mohamed Ramdane Dia, Pape Djiby Gaye, Abdou Salam Sarr, Abdou Aziz Diop et la dame Khadija Mbaye. Il accusait ces proches du ministre d’État, ministre de l’Habitat, Oumar Sarr, d’avoir attenté à son honneur. Le procès avait apporté la preuve que les prévenus avaient utilisé la dame Khadija Mbaye pour filmer la scène, contre la somme de 5 millions de F CFA, une villa et un visa pour l’Europe. À l'exception d'Abdou Aziz Diop, le tribunal correctionnel de Dakar avait condamné tous les accusés à 6 mois de prison chacun, plus une amende de 10 millions de F CFA à payer solidairement. Le ministre Oumar Sarr avait été soupçonné d'être derrière ce coup monté pour affaiblir un adversaire politique coriace.

Ce cas pour le moins célèbre, en cache bien d'autres. Qui ne sont pas rendus publics. Car si Diombass Diaw est un cas atypique pour refuser le chantage et affronter ses adversaires, ce n'est pas une posture habituelle dans ce genre d'affaires. Les plaintes sont nombreuses à la Division des investigations criminelles (DIC) de personnalités ayant occupé de hautes fonctions, qui se sont retrouvées piégées par leurs maîtresses. “Ce genre d'affaires n'aime pas le bruit, c'est en général géré de façon confidentielle parce que les conséquences peuvent être dramatiques pour la famille des victimes”, nous souffle un officier de Police. Selon nos investigations, certains paient discrètement pour sauver leur carrière et leur famille. Généralement d'ailleurs, ces “plaintes” ne suivent pas la même procédure d'enregistrement que les affaires dites classiques.

Mais le sexe n'est pas la seule arme. Il n'est pas rare que lors de discussions ouvertes, certains se fassent enregistrer par un téléphone, banalement posé sur une table, alors que l'enregistreur est enclenché. Un politicien de l'ancien régime n'a dû sa descente aux enfers qu'à un enregistrement sonore dans lequel il vilipendait Karim Wade, à l'époque au sommet de sa gloire. C'est bien après qu'il comprendra la raison de sa disgrâce. Et même l'actuel locataire de l'Avenue Roume se forge une opinion sur certains de ses proches à travers des enregistrements. Un ministre imprudent, demandant des commissions, s'est vite fait piéger. L'exemple de cet ancien ministre des Affaires étrangères, espionné par des services secrets des États-Unis, est un cas d'école. Le Président Macky Sall a dû le limoger pour éviter le scandale.

A suivre…

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