Publié le 3 Mar 2012 - 12:00
PILEUSES DE LA MEDINA

Dans l'univers des forçats du couscous et de la farine de mil

 

Les pileuses de la Médina crient au secours. Installées à la rue 11x20, elles exercent leur tâche difficilement dans ce lieu appelé ''Soxxukaay'', l’équivalent de moulin. Un endroit, très étroit, sombre, équipé de calebasses et planches à peine posées sur des allées noirâtres, à côté de sacs de mil, de maïs, de la poudre de farine entassés devant l’entrée. On accède aux lieux par deux voies très étroites. Des taudis en zinc servent d’habitat aux occupantes. La cohabitation se fait entre familles ou entre amies. Tout est divisé en concessions. Le linge est séché sur le toit des taudis. Certains habits sont accrochés sur les branches d'un arbre se trouvant au cœur de ce ''petit village''. Des planches et des pagnes servent de rideau.

 

Il n’y a pas de toilettes à ''Soxxukaay''. Ici, on fait ses besoins naturels dans les maisons du voisinage. Les matelas et nattes sont étalés sur des planches faisant office de lit. Des sacs remplis de pain, de sucre, des valises, des couvertures et autres objets hétéroclites, sont déposés sur ces lits de fortune. Les mouches survolent et se posent sur les bassines de couscous. Des récipients d’eau, des ustensiles de cuisine, des bouteilles, sont éparpillés sur les allées. Des femmes assises sur des banquettes tamisent le mil, d’autres débarrassent le maïs trempé dans l’eau de corps étrangers. La poudre de mil est transformée en couscous par quelques femmes. Impossible de parler avec ces femmes qui ont déjà la quarantaine sonnée.

 

 

La lassitude de parler à la presse

 

Elles ne veulent plus s’ouvrir à la presse. ''Nous sommes fatiguées de converser tous les jours alors que cela ne change pas la situation'', disent-elles. ''S’il te plaît, laisse nous travailler. Nous n’avons pas envie de discuter'', nous lance l’une d’elles sur un ton dur. Après quelques heures d'attente, Fatou Sarr, ressortissante de Ngaye, teint noir, taille élancée, se rapproche et accepte de nous parler. ''J’ai l’impression que vous n’avez rien à faire. Vous avez vraiment de la patience'', déclare-t-elle à notre endroit. Dans une discussion sur la cherté de la vie, elle se confie : '''Nous vivons des moments difficiles. Au début, les clients venaient pour qu’on leur pile le mil, mais avec la conjoncture économique, rien ne marche. Quand la récolte n’est pas bonne, nous sommes obligées d’acheter le mil dans les boutiques pour le revendre. Nous nous sommes lancées par la suite dans la préparation de couscous à cause de la rareté de la clientèle qui venait proposer du mil à piler. Les temps sont durs. Nous quittons nos villages pour faire ce travail. Le peu que nous gagnons, nous vivons avec'', soutient-elle.

 

 

En effet, les prévisions des récoltes de cette année, à cause de la longue pause pluviométrique et de la non disponibilité des intrants agricoles, notamment l'urée, sont très en deçà des attentes des autorités. ''La campagne agricole est très difficile cette année, à cause de l’arrêt immédiat et brutal des pluies'', disait en décembre dernier Ahmed Bachir Diop, Directeur général de la SODEFITEX, lors d'un séminaire de formation sur les enjeux du secteur agricole organisé par Initiative prospectives agricoles et rurales (IPAR) et l'USAID, à l’intention des journalistes. ''Cette mauvaise campagne va entraîner des périodes de soudures longues et difficiles. C’est clair, la soudure sera plus longue que d’habitude, mais il faut s’y préparer tout de suite'', avertissait M. Diop.

 

 

La concurrence des boutiques

 

 

Aujourd'hui, le quotidien de ces femmes, outre la rareté du produit de base de leur activité, est aussi menacé par les petites unités de transformation de céréales locales qui font du couscous, du sànxàl, du araw ou du cakri. Des produits qui bénéficient d'un système de distribution plus organisé avec les grandes surfaces et même les boutiques de quartier. Des produits qui ont aussi l'avantage d'être mieux conservé. ''Maintenant, nous ne faisons que du couscous. Les gens préfèrent acheter directement le mil dans les boutiques'', explique Ndèye Ndiaye qui était en train de se préparer à partir à Bambey. ''Je rends visite à mes enfants. Tout le travail que nous abattons, c’est pour eux. Beaucoup d’entre nous sont veuves''.

 

En plus, ces femmes dépensent beaucoup pour des bénéfices très infimes à la fin. ''Nous dépensons beaucoup et nous gagnons peu. Pour aller au moulin, il faut faire le rang la veille. On achète du bois à 2000 francs Cfa le kilogramme, l’eau à 50 francs Cfa la bassine ; au moulin la paie dépend de la quantité de farine'', souligne Fatou Sarr qui fait savoir que les moments où elles vraiment de l'argent, c'est ''pendant les cérémonies religieuses''.

 

 

Une profession qui n'en est pas une

 

Pileuse de mil. Ce travail qui requiert beaucoup de force n'est pas une profession, si l'on en croit Fatou Sarr. En effet, cette dame soutient : '' Ce n'est pas une profession mais nous ne pouvons rien faire d’autre. Quand je suis venue pour la première fois à Dakar, je voulais être domestique. Je suis entrée dans une maison pour demander s’ils avaient besoin de ménagère, certains m'ont dit qu’ils ne faisaient pas travailler les vieilles dames. Pendant deux semaines, je n’ai pas trouvé du travail. Je me suis lancée dans le travail de lingère, mais la situation n’a pas changé. J’ai décidé finalement d’être pileuse de mil. Et avec l’aide de la machine, je m’en sors. C’est un travail difficile. On se lève le matin pour se coucher à 23 heures'', confie la dame.

 

Ces pileuses sont tellement rattachées à leur travail qu'elles n'ont pas le temps de faire de la politique. Elles disent ne pas s’intéresser à cette activité qui ne regroupe que des ''menteurs''. ''Je n'ai même pas de carte d'électeur. Je n'en ai pas besoin. Le temps qu'on perd pour voter, ou faire la politique est précieux pour mon mil'', a confié Mariane Guèye.

 

D'ailleurs, durant toute la campagne présidentielle, elles n'ont pas eu la visite des candidats qui briguaient le suffrage des Sénégalais. Un acte que les femmes n'ont pas du tout apprécié. ''Parmi ces candidats, il y en a dont les femmes venaient toutes les fêtes pour acheter du couscous. Donc même si leurs maris ne nous connaissent pas, elles, elles pouvaient jouer les médiations. De toute façon, ça ne nous intéresse pas la politique. Raison pour laquelle personne n'a voté ici'', a révélé Nimata Sène.

 

 

HARCÈLEMENT SEXUEL FRÉQUENT

''Nous ne sommes pas des prostituées. Nous avons même dépassé l’âge''

 

''Chaque jour, des 'chasseurs de femmes' viennent nous agacer. Ils attendent la nuit quand tout est calme pour le faire'', informe Ndèye. Ce que confirme Fatou Ngom. «Nos taudis n’ont pas de portes. En pleine nuit, tu sens un corps étranger sur toi et quand tu cries il s’enfuit. Nous ne sommes pas en sécurité. Que les hommes nous laissent tranquilles», a-t-elle lancé avant d'ajouter : ''Nous ne sommes pas des prostituées. Nous avons même dépassé l’âge''.

 

Les astuces de ces hôtes indésirables sont nombreuses. ''Certains hommes font la commande pendant la journée et attendent la nuit pour récupérer leur couscous. Quand tu leur livres le produit, ils commencent par te caresser les fesses. D’autres mettent leurs mains sur tes seins au moment où tu te baisses pour mettre le produit dans un sachet. C’est de l’agression sexuelle alors que nous sommes de vieilles dames'', raconte la vieille Fatou Ngom. ''Chaque jour, nous lançons des messages à la presse, mais en vain'', se désole la dame.

 

En plus des agressions sexuelles, ces pileuses éprouvent des difficultés durant l’hivernage qui les transforme en sans-abri. Leurs habitats précaires les laissent à la merci des intempéries. Codou Ndong, ressortissante de Guinguénéo, se souvient de ces périodes de calvaire. ''Nous passons des nuits blanches quand il pleut. Toutes les maisons sont inondées, les matelas mouillés. Nous marchons sous les eaux de pluie. La poudre de mil devient de la bouillie. Nous perdons presque tous nos matériels. Nous n’avons aucune aide. Et c’est dommage pour nous. Tout le monde nous connaît. Je parle des personnes qui sont dans le gouvernement. Leurs femmes sont venues maintes fois pour chercher du couscous. Qu’ils disent à leurs maris de nous aider. Nous sommes dans le besoin'', supplie-t-elle.

 

Viviane DIATTA

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