Publié le 19 Jun 2017 - 16:20
PLÉTHORE DE LISTES, ABSENCE DE CONSENSUS

Quelle voie(x) pour les urnes ?

 

Pour les élections législatives du 30 juillet, il y a mille et une incertitudes sur la meilleure voie permettant de conquérir les voix. Pour l’instant, toutes les propositions font l’objet de rejet, alors qu’on n’est pas encore sûr d’aller à des négociations. Ce qui fait que certains pensent que ce serait une perte de temps.

 

Le Sénégal fait face, avec les élections du 30 juillet prochain, à une équation à mille inconnus. Les 47 listes validées par le ministère de l’Intérieur suscitent moult interrogations quant aux conditions pratiques d’organisation du scrutin. L’ensemble des acteurs sont unanimes sur le fait qu’avec autant de coalitions, il est techniquement, matériellement impossible d’avoir un vote dans les meilleures conditions. Reste maintenant à savoir ce qu’il y a lieu de faire pour contourner les obstacles. Pour l’instant, il ne manque pas d’idées. Mais de la même manière, force est de reconnaître qu’il n’existe pas de propositions qui fassent l’unanimité. Toutes font l’objet de rejet ou de contreproposition.

Par exemple, certains ont préconisé que l’électeur puisse prendre uniquement quelques (5 au plus) bulletins dont celui pour lequel il veut voter. Cheikh Tidiane Gadio, à travers une interview accordée à EnQuête vendredi dernier, dégage en touche. Pour lui, lorsque le votant se rendra compte que tel pli a été utilisé plus qu’un autre, il peut être influencé et être tenté par un vote utile. Il s’y ajoute que cela viole le secret du vote, renchérissent d’autres acteurs. D’aucuns demandent à ce que l’isoloir soit agrandi et que les bulletins y soient disposés pour permettre à l’électeur d’être seul face aux bulletins. ‘’C’est toujours la même chose. Le secret du vote et l’influence reste réel’’, rétorque Abdourahmane Ndiaye, responsable politique à l’APR.

Parmi les propositions, il y a également le bulletin unique. Mais là aussi, il y en a comme Moussa Sarr de la Ld qui pensent que les électeurs sénégalais majoritairement analphabètes peuvent se perdre facilement, surtout avec la ressemblance dans les couleurs. Parlant justement du bulletin unique, Ousmane Sonko et ses camarades ont fait une nouvelle offre. À travers un communiqué parvenu hier à EnQuête et signé par Madièye Mbodji, coordonnateur de la coalition Ndawi askan wi/Alternative du peuple, proposition a été faite d’opter pour un bulletin unique à 5 pages : 4 pages de 10 listes et une de 7 listes. Ils suggèrent également que celles-ci soient présentées avec un numéro sur chacune, de 01 à 47, ‘’dans l’ordre établi par l’arrêté du ministère de l’Intérieur en date du 09 juin 2017’’.

Afin d’éviter les potentielles erreurs, une proposition supplémentaire a été ajoutée. ‘’Pour chaque liste, il sera mentionné le numéro correspondant, le nom du parti, du mouvement ou de la coalition, le titre de la liste, le symbole et la photo de la tête de liste nationale, outre la case à cocher selon le choix de l’électeur, c’est-à-dire  des éléments ou supports d’identification et de visualisation déjà disponibles et en cours de traitement auprès des services compétents du ministère en charge des élections’’, ajoute la coalition Ndawi Askan wi/Alternative du peuple.  

‘’Notre parti n’est pas dans une dynamique de chercher des solutions’’

Seulement, tout ceci n’est que simples avis à l’état actuel. Il faut donc acter les choses, à travers un consensus. Et pour cela, il faut d’abord être d’accord sur la nécessité de discuter de la question. Ce qui n’est pas le cas pour le moment. Du côté de la Ld et des camarades d’Ousmane Sonko, on appelle à une concertation. Moussa Sarr, le porte-parole de la Ld, estime que c’est une nécessité, car il faut trouver une solution. ‘’Le ministre de l’Intérieur qui a en charge le dialogue politique et l’organisation des élections doit appeler à une concertation pour que l’ensemble des acteurs politiques et la société civile puissent engager la discussion et dégager des consensus forts qui permettent d’aller à des élections apaisées. C’est devenu un impératif. S’il y a un dialogue, il est évident qu’il y aura un consensus’’, se veut-il optimiste. Le Pastef et ses alliés ne disent pas autre chose. Là aussi, on soutient qu’il faut ‘’réunir les acteurs, établir un large consensus sur l’organisation du scrutin ; sur cette base, modifier en procédure d’urgence les dispositions du Code électoral concernées’’.

Et pourtant, le consensus est presque perdu d’avance. Car certains ne veulent pas aller à la table de négociation, soit parce qu’on accuse le régime, soit parce qu’on est convaincu que ce sera une perte de temps. Au PDS, l’heure n’est plus à la discussion ; désormais, on attend le régime sur le terrain. ‘’Notre parti n’est pas dans une dynamique de chercher des solutions pour organiser des élections. L’Administration sénégalaise doit se doter des moyens de le faire à date échue et dans les meilleures conditions possibles’’, exige le porte-parole. De l’avis de Babacar Gaye, c’est au ministre de l’Intérieur de se doter des moyens juridiques, humains, matériels et financiers pour que le 30 juillet 2017, les élections aient lieu, sans que le droit du citoyen au vote ne soit entaché.

Crise de croissance d’un enfant

Ce responsable libéral accuse Abdoulaye Daouda Diallo de n’avoir jamais accepté un minimum de consensus à propos du processus électoral. ‘’Macky Sall et son régime ne nous ont pas écoutés. Ils ont fait un forcing. Aujourd’hui, il s’agit d’endosser toutes les responsabilités quant à la difficulté d’organisation des élections avec un bon résultat’’, lance-t-il. Babacar Gaye n’est d’ailleurs pas le seul à dénoncer l’absence de consensus. Un membre de la société civile parle de ‘’rupture de dialogue’’. Alors que les camarades de Sonko fustigent un ‘’pilotage unilatéral, solitaire et autoritaire du processus électoral, l’absence de dialogue franc et constant sur l’ensemble du processus électoral (qui) ont conduit au présent cul de sac aux conséquences incalculables’’.

Bien que se situant dans deux camps différents, Babacar Gaye et Abdourahmane Ndiaye sont sur la même ligne à propos des concertations, même si les raisons diffèrent. Le camarade de Macky Sall lui, estime qu’organiser un dialogue, c’est compliquer davantage les choses, car il n’y aura jamais de consensus. ‘’Si tu appelles à une concertation, il y aura 15 listes à droite, 15 autres à gauche et les 29 restantes au centre. On ne fera que créer des problèmes et des adversités. C’est bon que les Sénégalais l’expérimentent, qu’ils le vivent, qu’ils voient que c’est pratiquement impossible avec ce nombre de listes. Et à partir des constats, tirer les leçons. C’est aussi simple que ça !‘’ s’exclame-t-il.

De son point de vue, toute proposition des uns sera rejetée par les autres. Fermement persuadé qu’il n’y aura pas de consensus, il pense dès lors que toute initiative prise sera contre les règles de la Cedeao. Ainsi, il plaide pour le statut quo et ses conséquences. ‘’Il faut organiser les élections avec tout ce que cela entraînera comme abstention ou impossibilité de voter. Ce sera comme une crise de croissance chez un enfant. Ça fait mal, mais il en sort grandi’’, en conclut-il.

Avec ce scrutin du 30 juillet, s’il est vrai que ‘’l’humanité ne se pose que des questions qu’elle peut résoudre’’, il est tout aussi évident que la démocratie sénégalaise fait face ici à une équation qu’elle a du mal à dénouer. 

BABACAR WILLANE 

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