Publié le 1 Oct 2019 - 00:33
POIGNEE DE MAIN AVEC WADE & ELARGISSEMENT KHALIFA SALL

Macky Sall amorce la coexistence pacifique

 

Poignée de main avec Abdoulaye Wade vendredi 27 septembre et remise de peine totale pour Khalifa Sall, Yaya Bodian et Mbaye Touré dimanche 29. Deux ‘‘cadeaux’’ politiques en deux jours qui soulagent Macky Sall autant que ses adversaires. Le directeur de publication du journal ‘‘Le Témoin’’, Mamadou Oumar Ndiaye, nous aide à y voir plus clair.

 

Nous sommes à un trimestre de la fin de l’année, mais c’était Noël avant l’heure, ce weekend.  Entre vendredi et dimanche, Macky Sall a accepté de serrer une main tendue qu’il a refusée publiquement pendant sept ans et a remisé totalement, dans la foulée, la peine d’emprisonnement de Khalifa Sall détenu pendant 930 jours. Deux ‘‘concessions’’ politiques majeures qui ont brisé la glace entre le chef de l’Etat et de l’Apr et deux poids lourds de la scène politique sénégalaise.

C’est allé très vite, après le coup d’accélérateur de Massalikoul Jinaan dont on n’a manifestement pas encore saisi la plénitude de la médiation. Pourquoi le président Sall, qui s’est jusque-là montré sourd aux différentes sollicitations, a finalement considéré l’option du dégel ? ‘‘Parce qu’il n’y a plus d’enjeu pour lui’’, explique le directeur de publication du journal ‘‘Le Témoin’’, Mamadou Oumar Ndiaye. Le chroniqueur politique analyse la clémence présidentielle par la fin du pragmatisme politicien qui a débouché sur la judiciarisation d’affaires politiques. ‘‘Constitutionnellement, Macky ne peut pas briguer un 3e mandat. Il n’y a plus d’enjeu de réélection. Khalifa Sall et Karim Wade constituaient de sérieux rivaux pour la Présidentielle (Ndlr : du 24 février 2019) si leur candidature était validée par le Conseil constitutionnel. Il fallait donc tout faire pour les mettre hors-jeu, les éliminer en usant de l’appareil d’Etat et donc de la justice pour condamner Karim pour enrichissement illicite à la Crei et Khalifa dans l’affaire de la caisse d’avance de la ville de Dakar. A ce moment, sa réélection ne devenait pas automatique, mais très facile. Maintenant, il n’a plus besoin de laisser Khalifa en prison ou Karim en exil. Il peut se permettre de décrisper’’, explique M. Ndiaye.

Khalifa Ababacar Sall est incarcéré à la prison de Rebeuss le 7 mars 2017, dans l’affaire de la caisse d’avance de la ville de Dakar. Il est condamné à 5 ans de prison le 30 mars 2018 pour ‘‘escroquerie aux deniers publics’’, ‘‘faux et usage de faux dans des documents administratifs’’ et de ‘‘complicité en faux en écriture de commerce’’ portant sur la somme de 1,8 milliard de francs Cfa. En début de procès, le maire avouera lui-même qu’il était devant la cour, car il avait ‘‘refusé une offre politique’’. Une condamnation qui aura ajouté de la tension dans le champ politique.

Mais le président Sall multiplie les signes de coexistence pacifique depuis son investiture.  Son premier discours après sa réélection a été un appel à l’opposition à un dialogue national, qu’il actera le 28 mai. Mamadou Oumar Ndiaye estime également que le désamorçage de cette défiance civile était nécessaire pour la stabilité politique du reste du mandat de Macky. ‘‘Tout ça s’inscrit dans une logique de décrispation. Il veut vraiment un mandat apaisé où il n’y aura pas une atmosphère de guerre civile entre lui et l’opposition. Il veut vraiment réussir son deuxième terme, pour éviter les tensions sociales et crispations politiques. Il doit terminer ses grands chantiers. Il doit réussir sa sortie également. Autant c’est difficile de se faire réélire, autant c’est difficile de réussir sa sortie. Il travaille à une fin de magistère pacifique afin de transmettre le flambeau à son successeur dans les meilleures conditions’’.

L’exil émirati de Karim Wade pourrait connaitre la même issue heureuse. ‘‘Aucune mesure ne s’oppose à son retour’’, a déclaré hier le garde des Sceaux Amadou Sall sur la Sud Fm, en commentant la remise de peine de Khalifa Sall. Les retrouvailles de la famille libérale sont passées de l’état de vœu pieu à une très forte probabilité.

Khalifa et Karim ‘‘reviennent’’ plus forts

En attendant de décortiquer les détails techniques de la remise de peine totale de Khalifa Sall (est-il toujours éligible ?), le chroniqueur estime que lui et Karim Wade pourraient bien surmonter leurs rancunes politiques et se concentrer initialement sur leurs tâches dans leurs partis. Les reconfigurations seront d’abord internes avant que le jeu des alliances n’oblige toutes ces forces contraires à se jeter éventuellement dans les bras l’une de l’autre. M. Ndiaye est d’avis que Khalifa Sall est déjà en double position de force, puisque sa matrice politique et Macky Sall ont tous les deux besoin de lui.

‘‘Des retrouvailles sont possibles entre Khalifa Sall et le Parti socialiste, du moins la frange dirigée par Aminata Mbengue Ndiaye et, au-delà, avec Macky Sall qui a besoin de quelqu’un pour travailler. Pour réussir la modernisation de Dakar, il aura besoin de quelqu’un comme Khalifa Sall qui n’est plus aux affaires, mais a ses maires par procuration, de Soham Wardini à Barthélémy Dias, en passant par Cheikh Guèye, Bamba Fall, Idrissa Diallo. On ne peut rien réussir de bon à Dakar sans l’incontournable Khalifa Sall. De la même façon, on ne peut s’en passer au Ps. Maintenant que l’obstacle Tanor est levé, une réconciliation est tout à fait envisageable à l’intérieur du Ps. Ce sont ces paramètres qui vont jouer pour les prochaines années’’. De la même manière, le poids du Pds sur la carte politique en fait un point de convergence incontournable dont les derniers évènements (fronde d’Oumar Sarr et compagnie) ont montré que Karim contrôle désormais l’appareil du parti.

‘‘Le Pds est le plus grand parti de l’opposition. On ne peut pas faire un dialogue sans parler avec le plus grand parti de l’opposition. Autant de choses qui font que le président n’a pas d’autre choix que de parler avec le Pds (...) Je n’ai jamais compris qu’on dise que le pouvoir et l’opposition sont d’accord sur un dialogue, alors que les partis qui ont accepté ne représentent rien dans l’opposition. On ne peut pas faire abstraction du Pds, dans un dialogue. Ça aura le mérite de remettre les choses à l’endroit, c’est-à-dire de faire en sorte qu’aujourd’hui, la principale force d’opposition parle au pouvoir, que le président de la République parle avec tout le monde et se comporte en arbitre au-dessus de la mêlée et non en chef de parti’’, explique le directeur de publication du ‘‘Témoin’’.

Les partis de gauche dans Bby sous la menace

La poignée de main entre Abdoulaye Wade et Macky Sall ce vendredi, à l’inauguration de la mosquée Massalikoul Jinaan de Colobane, a certainement fait des heureux, mais a sûrement causé des nuits blanches chez certains alliés de Benno. Dans la configuration de la coalition Bby, il a été donné à tout le monde de remarquer que les forces de gauche et d’extrême gauche constituent le gros de la troupe. Depuis la mémorable poignée de main entre Macky Sall et son prédécesseur ce vendredi, les retrouvailles de la famille libérale sont passées de chimériques à très probables.  Le long compagnonnage dans Bby pourrait connaitre les premiers soubresauts de la désunion.

‘‘Ces retrouvailles se feront nécessairement au détriment des forces de gauche qui sont dans Benno’’, commente le journaliste. En cause, beaucoup de partis éclatés qui se sont quantitativement départis de leur vigueur au fur et à mesure d’une alliance avec l’Alliance pour la République. Une ligne de fracture s’est dessinée au Ps avec une frange seulement qui soutient Macky Sall, alors qu’en 2012, c’est l’ensemble du parti qui l’avait soutenu y compris Khalifa Sall qui avait battu campagne pour lui. L’Afp aussi a connu la même situation où le départ de Malick Gakou, et d’autres cadres, a affaibli considérablement le parti de Moustapha Niasse.

Quant aux partis de gauche ou d’extrême gauche, leur apport n’est pas à la hauteur de celui des deux partis précités. Il s’y ajoute que cette hybridation des filiations politiques différentes défie toute cohérence. ‘‘Le président lui-même ne se fait pas d’illusions ; il sait que les forces de gauche qui le soutiennent sont affaiblies et, de l’autre côté, il y a toujours un Pds très puissant et qui est de sa famille idéologique. Il vient de ce parti d’ailleurs, que ce soit Wade, son fils, Oumar Sarr, Babacar Gaye, Farba Senghor, Pape Samba Mboup sont de la même famille que lui. Il a plus intérêt à se retrouver avec ceux-là qu’avec des gens d’une famille politique opposée au libéralisme’’, suggère Mamadou Oumar Ndiaye.

Des retrouvailles qui appellent nécessairement des questionnements sur la place des deux suivants de Macky Sall à la dernière Présidentielle, Idrissa Seck et Ousmane Sonko.

Pour l’analyste, le leader de Pastef-les-Patriotes ne devrait pas trop souffrir des conséquences des retours de Khalifa Sall et Karim Wade dans le jeu politique. ‘‘Ousmane Sonko a choisi l’opposition radicale sans compromis avec le système. Ensuite, il bénéficie du vote de la jeunesse. Donc, tout ce qui est vote protestataire va se porter sur lui et va continuer à avancer, car il apparait comme le seul candidat qui n’a pas eu à se compromettre avec le pouvoir.  C’est une force politique montante’’, analyse M. Ndiaye.

Quant à Idrissa Seck, les retrouvailles annoncées peuvent également lui être bénéfiques par la captation des frustrations. Des dissidents du Pds et de l’Apr mécontents pour raisons diverses (attentes non comblées, vieilles rancunes de la perte du pouvoir...) vont se jeter dans les bras du président de la coalition Idy2019. Sans compter le vote mouride ‘‘dont le réceptacle naturel, en cas de retrouvailles Pds-Apr, sera Rewmi de M. Seck’’, conclut Mamadou Oumar Ndiaye. 

ME KHASSIMOU TOURE, AVOCAT DE MBAYE TOURE

‘’Je suis derrière cette grâce…’’

‘’Je suis derrière cette grâce et je remercie le président de la République et le ministre de la Justice, car ils ont respecté toutes leurs promesses’’, a déclaré sur les ondes de la Rfm Me Khassimou Touré, conseil et frère de Mbaye Touré. A l’en croire, il n’y a pas de compromission dans ces libérations. ‘’Je ne suis pas un homme de compromission. Il n’y a pas de protocole de Rebeuss ou de Doha. Lorsque l’occasion se présentera, j’édifierai l’opinion pour leur expliquer pourquoi j’ai agi de la sorte. Je suis prêt à affronter qui que ce soit pour dire pourquoi j’ai posé cet acte’’, martèle la robe noire.

Refusant catégoriquement de dévoiler les contours de la libération de son frère et de ses co-prévenus dont l’ex-maire, Me Touré s’est contenté de dire qu’au moment opportun, les gens sauront  ce qu'il a fait et ce que les autorités ont fait. Mais le fait est que le président lui a demandé de tout diligenter. Il ajoute pour terminer : ‘’Lorsque j'avais fini de faire ce que j'avais à faire, je suis parti voir Mbaye Touré, Khalifa Sall et Yaya Bodian en leur disant que j'avais pris toutes mes responsabilités, car je ne peux voir une personne dans la détresse. C’est mon frère qui était dans des difficultés et j’ai tout fait pour qu’il sorte de prison avec ses amis que sont Khalifa Sall et Yaya Bodian. J’ai pris toutes mes responsabilités et j’en ai parlé au président de la République. Depuis trois mois, j’ai fait toutes les diligences dans la plus grande discrétion.’’

OUSMANE LAYE DIOP

 

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