Publié le 5 Aug 2015 - 02:45
PORTRAIT MARIEMA MBAYE

Histoires d’une bachelière malvoyante

 

La vie n’a pas été tendre avec elle. Pourtant cette élève malvoyante s’est battue contre vents et marées pour décrocher le fameux sésame qui lui ouvre les portes de l’Enseignement supérieur. Un défi parmi tant d’autres qu’elle a eu à relever depuis sa prime jeunesse.

 

Erik Weinhenmayer. Vous vous demandez bien de qui il peut s’agir. Un alpiniste américain qui a atteint le mont Everest (8839,20 mètres) en mai 2001. Rien d’exceptionnel, direz-vous, puisque des gens l’ont fait bien avant lui. Certainement ! Sauf que le gars est aveugle, ou handicapé visuel, pour respecter les convenances. Comme l’est Mariéma Mbaye. Celle-là a réussi un exploit de loin moins retentissant certes, un baccalauréat scientifique S2 au premier tour ; mais dans un contexte scolaire aussi désastreux, on est preneur pour un exploit. Surtout si l’on prend en compte, les conditions dantesques dans lesquelles elle a réussi.

Dans la maison de sa belle-famille située à Ouakam où elle reçoit, on la prendrait pour une femme absolument quelconque. Ayant troqué son style vestimentaire occidental habituel pour un basin bleu brodé de décorations jaunes et un voile couleur soleil, il a fallu la côtoyer pour se rendre compte qu’elle est malvoyante. Des lunettes transparentes cachent bien une difformité de l’œil gauche, séquelle d’une opération ratée de cataracte subie en 1999.

Et comme si le sort s’acharnait sur cette jeune dame de 24 printemps, l’œil droit s’y met moins d’une décennie après. Le 19 février 2007 alors que le Sénégal se prenait d’intérêt pour l’élection présidentielle, la mésaventure récidive sur Mariéma, l’atteignant de plein fouet : ‘‘ J’étais en pleine composition du premier semestre  et brusquement, la myopie forte dont j’ai toujours souffert a atteint son paroxysme. Tout d’un coup, c’était un voile noir, je n’arrivais plus à distinguer mes camarades de classe. J’ai souffert pour rentrer chez moi ce jour-là’’, raconte-t-elle d’une voix posée et résignée. Un décollement de rétine qu’on aurait pu traiter dans les 24 heures, lui annonça-t-on trois jours plus tard quand elle se fut décidée à aller chez l’ophtalmologue. Comble de la malchance, son petit frère, en plein voyage en compagnie de son père, devra subir le même sort quelques jours plus tard. A chaque réponse enjouée, elle affiche un sourire qui cache mal sa timidité et son malaise en se remémorant ces épisodes douloureux. Elancée, elle passerait bien pour un podium de défilé avec sa taille svelte. Mais son handicap en a décidé autrement.

INEFJA, bouée de sauvetage

Toutefois, la vie n’est pas que malheurs pour cette femme qui dit ne pas s’intéresser aux mondanités. Preuve que cette disciple niassène ne se laisse pas abattre par les vicissitudes du destin, elle est pratiquante avertie du sport. D’ailleurs, elle a arrêté ses cours de taekwondo il y a juste deux ans à cause d’études très exigeantes. Avant sa cascade de mésaventures, l’aînée d’une fratrie de sept personnes a vécu une enfance stable et heureuse auprès d’un père tailleur adorable et d’une mère commerçante. Et après un cursus scolaire secondaire  qui semblait hypothéqué par la cécité, Soda Marème a entendu parler d’un certain établissement à Thiès appelé INEFJA (Institut national d’éducation et de formation  des jeunes aveugles) qui est apparu comme une lumière au bout du tunnel.

‘’Je passais mon temps à pleurer en me disant que c’en était fini. Je suis resté quatre ans hors du circuit scolaire, c’est pour cela que j’ai eu le bac si tard. En rejoignant cette école, j’ai tu mes complaintes car j’y ai rencontré des souffrances à côté desquelles les miennes semblaient légères’’, déclare-t-elle. Un déclic qui lui fera prendre conscience qu’elle devrait s’arrêter de s’apitoyer sur son sort et reprendre du poil de la bête jusqu’en classe de Terminale. Cette fière chandelle, elle la doit à son professeur de maths et modèle de courage M. Gadj, frappé lui aussi de cécité après sa maîtrise.

 Suivre des études supérieures au Sénégal pour les handicapés visuels étant extrêmement difficile, elle a déjà introduit des demandes de préinscription dans les universités européennes à l’instar de son époux. Daouda Ball, aveugle, qui a veillé sur sa bien-aimée tout au long de l’entretien, s’estime heureux d’être tombé sur sa perle rare en octobre dernier. ‘’Elle est agréable à vivre et ouverte. Il faut être au quotidien avec elle pour découvrir à quel point elle est magnifique’’, lance d’une voix énamourée ce sociologue travaillant en free-lance qui a fait ses humanités dans les universités de Lorraine et de Lyon. Sa femme qui marche dans ses pas souhaite faire carrière dans un tout autre domaine. ‘‘Je veux faire le Génie informatique car avec le handicap dont je souffre, les Tic sont le moyen le plus pratique pour nous de s’insérer professionnellement.’’

Coquette comme on peut l’être à cet âge, l’adorable Soda Marème sait pourtant faire sauter le vernis de politesse qui rend son visage affable pour des accès de colère redoutés. ‘’Je n’aime pas les gens hypocrites, les personnes sournoises. J’ai également horreur de la commisération des gens qui pensent que les handicapés doivent être assistés de manière exagérée’’, se défend cette amatrice de romans et de musique religieuse. Elle se félicite de n’avoir pas été victime de stigmatisations ou de discriminations jusque-là.  En attendant que la ‘‘future ambassadrice de la cause des handicapés’’ matérialise toutes ses aspirations professionnelles et humanitaires, l’heure est momentanément à la détente. Un répit qu’elle sait de courte durée.

OUSMANE LAYE DIOP

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