Publié le 8 Jun 2016 - 22:17
PR ABDOU SALAM SALL (PDT DU COMITE DE PILOTAGE DES ASSISES DE L’EDUCATION)

‘’Nous sommes déçus de la situation’’

 

Président du comité de pilotage des Assises de l’Education et de la Formation, le Pr Abdou Salam Sall était très optimiste sur le futur de l’école publique sénégalaise. Deux ans après, l’ancien recteur est plutôt ‘’déçu de la situation’’, parce que le référentiel n’a pas changé, dit-il. Il compte désormais sur une mobilisation citoyenne pour faire de l’Education la voie du salut.

 

En tant que Président du comité de pilotage des Assises, quel regard portez-vous sur l’école sénégalaise, deux ans après les Assises ?

Il faut dire que nous sommes déçus de la situation, déçu  que le référentiel, quant au fond, n’ait pas changé. On n’a pas pu embrayer sur le levier des assises pour tourner la page de l’ancien système. On n’en est encore à l’ancien système, malheureusement au détriment du Sénégal et de l’Afrique.

Qu’en est-il aujourd’hui  des recommandations?

Les recommandations, nous ne savons pas les contraintes que le gouvernement a pour les appliquer dans leur plénitude. Mais ce qui est constant c’est que partout dans le monde où l’éducation marche, ce n’est pas une affaire de l’Etat, c’est une affaire de la société. Il faudrait qu’on puisse aider ce pays à internaliser l’éducation. En fait il faut dire que le  Baron Roger avait trouvé au Sénégal, vers la fin des années 1800, des villages mieux lettrés que les villages  en France. L’internalisation de l’Education religieuse est le tréfonds du Sénégal. Maintenant il faut pouvoir l’articuler à l’éducation qu’on a reçu de la colonisation et intégrer les deux comme c’est recommander dans les conclusions des  Assises, mais le faire porter par la société.

Il faut un mouvement citoyen fort qui aide à l’internalisation de l’éducation qui, à côté de l’Etat, aide à une conscientisation pour l’éducation et déroule des activités à cet effet. Si chaque Sénégalais, chaque famille se rend  compte que pour régler de façon structurelle cette difficulté existentielle, c’est l’éducation la solution, on aura franchi un grand pas. Les gens vont se mobiliser pour leur école. Mais n’étant pas l’Etat, ne connaissant pas les contraintes que l’Etat a, tout ce qu’on peut recommander c’est que l’on ne reste pas les bras croisés mais que l’on avance vers un mouvement citoyen fort. Et je crois que bientôt nous allons proposer quelque chose à cet effet.  

Est-ce que les bases de ce mouvement citoyen sont déjà jetées ?

Il y a des brides à gauche et à droite. Mais on veut à partir des résultats des Assises de l’éducation et de la formation, à partir de ce que le gouvernement a pris et de ce qu’il n’a pas pris, que l’on puisse articuler notre démarche sur ce qui n’est pas encore suffisamment pris pour donner de l’ampleur à l’éducation avec les stratégies appropriées.

On a vu la Cosydep et ses partenaires appeler à une manifestation, mais les citoyens ne se sont pas fortement mobilisés. Est-ce qu’il n’y a pas de quoi s’inquiéter ?

C’est pour cela que je dis que c’est un travail de fourmi. Vous savez, j’étais Secrétaire général du Saes, mais ceux qui manifestaient n’étaient pas des masses. Mobilisons-nous. Cherchons des voies alternatives pour apporter notre contribution à la transformation en passant par l’éducation. Et je crois qu’au bout, nous pourrons avoir une bonne solution, définitivement ! Je vais faire une communication au congrès qui célèbre les 40 ans du Sudes, ça va aller dans ce sens-là. Comment mobiliser la société notamment les succès de l’école pour lui renvoyer l’ascenseur mais en utilisant des outils un peu plus élaborés pour s’en sortir.

Pour des réformes approfondies, c’est nécessairement l’Etat qui tient le gouvernail. Est-ce que vous avez noté une volonté politique à ce niveau ?

Du point de vue même conceptuel, si avant les Assises le programme était le Paquet et après les Assises le programme reste toujours le Paquet donc les variations sont à la marge. Les variations ne sont pas perceptibles, il y a des questions de fond sur le financement qui n’ont pas été prises en charge. On ne peut pas changer un système en répétant les choses à l’identique, mais ça demande du temps. Le gouvernement a commencé par un axe, on pense que cet axe-là n’est pas suffisamment élargi. Il nous appartient à nous autre de l’élargir.

Avec les Assises, on a trouvé une niche qui est à la fois matérielle et immatérielle. Elle est faite de tous ceux qui ont eu un standing dans leur vie grâce au parchemin qu’ils ont reçu de l’école. Si on arrivait à mobiliser tous ces anciens de l’école, c’est-à-dire ceux qui ont réussi, les présenter en modèle aux élèves, c’est un patrimoine immatériel très fort. Mais ceux qui ont réussi doivent renvoyer l’ascenseur. Ils doivent aussi contribuer au financement de l’école. Et on avait proposé un outil puissant qui était la banque éducative. Je crois que c’est le moment de lancer une opération comme ça dans le cadre de cette initiative citoyenne.

En faisant un système hybride de la formation où on s’adosse  dans nos valeurs ‘’civilisationnelles’’  qui se confondent aux valeurs religieuses, qu’elles soient musulmanes ou chrétiennes. Et on avance vers la science et la modernité en étant solidaires et respectueux les uns et les autres  tout en étant créatif et avoir foi en nous-mêmes, je crois qu’on peut avancer et transformer les choses. Ce sera un travail difficile où il faudra être patient et persévérant. Mais il n’y a pas d’autres solutions, car tous les pays qui s’en sont sortis dans le monde et qui ont rattrapé les autres, sont passés par l’éducation.

Beaucoup disent que c’est parce que le gouvernement est sous le dictat du FMI et de la banque mondiale. Est-ce que vous avez le même sentiment ?

Je ne sais pas les contraintes qu’a le gouvernement. Je n’ai jamais étais dans un gouvernement pour comprendre les problèmes, bien que j’étais recteur. Mais j’étais totalement indépendant. Moi je ne me focalise pas sur le gouvernement bien que c’est lui qui doit faire le travail. Mais il faut que la société se mobilise. Si elle se mobilise, le gouvernement sera contrait de se mettre à la hauteur de la société.

Le gouvernement a envoyé des réquisitions aux enseignants. Avait-on besoin d’en arriver là ?

Naturellement, ce n’est pas une solution. Le risque que le gouvernement encourt est que la situation se crispe. Les institutions internationales vont tomber sur le Sénégal. C’est malheureux. On ne peut pas consacrer 40%  de son budget de fonction à l’éducation et recevoir des injonctions venant de l’extérieur. Ce n’est pas bon pour le Sénégal. Mais il faut qu’on arrivé à trouver des places de discussion. Il faut qu'on ait une confiance mutuelle les uns vis-à-vis des autres.  C’est ça le gros problème. C’est la confiance et le sens de l’écoute.

C’est la capacité d’anticipation. C’est aussi la générosité. Il faut aider les gens à se promouvoir. Dans tous les systèmes du monde qui marchent outre la société, c’est les enseignants de qualité qui font le système. Donc il faut les aider à avoir un statut, les aider à avoir des compétences. Il faut les accompagner. On a pris des enseignants qui n’avaient aucune qualification on les a mis dans le système. On n’a pas la qualité. Maintenant qu’on veuille la qualité, il faut qu’on renforce ces capacités, car c’est nous qui les avons mis dans le système. C’est nous qui devons les aider à avancer. Il faut qu’on soit ouvert et généreux. Dans tous les pays du monde, ce sont des enseignants de talent qui font le système. Aidons-les à être qualifiés !

Si je vous comprends bien, l’attitude des enseignants est compréhensible ?

Je ne dédouane pas l’attitude des enseignants. Vous savez avant que j’étais Secrétaire général en 1994, le Saes a levé son mot d’ordre sans aucune satisfaction. Mais c’était pour préserver son outil de lutte. En lisant la situation, je ne pense pas être plus patriote que les camarades qui sont en mouvement aujourd’hui. Je sais seulement que nous tous, nous devions savoir raison garder pour aider à un certain moment. Ce n’est pas le gouvernement qui est important, c’est le Sénégal et les enfants du pays. 

BABACAR WILLANE

 

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