Publié le 20 Jan 2018 - 04:04
PR ABDOULAYE SAKHO (SPECIALISTE DU DROIT DU SPORT)

‘’C’est une leçon vis-à-vis de la fédération’’

 

La décision du Tribunal arbitral du sport (Tas), de lever la suspension de l’Us Ouakam tenue pour responsable du drame de Demba Diop suscite le débat quant à son application. Interrogé sur la portée de ce jugement, le professeur de droit à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Abdoulaye Sakho, spécialiste du droit du sport, a estimé que l’instance de règlement de litige a donné une leçon aux dirigeants du football sénégalais.

 

Quelle analyse faites-vous de la levée de la suspension de l’Us Ouakam de toutes compétitions par le Tas ?

C’est une décision d’une portée considérable parce cela donne au droit toute sa place dans le monde du sport. Nous sommes très heureux et contents en tant que militants du droit du sport. Cela va en droite ligne de ce que le Burkina avait fait en saisissant le Tas dans l’affaire de l’arbitrage du Ghanéen Joseph Lamptey pour contester la décision de la Fifa. Cela veut dire que quand on commence à faire fonctionner les institutions par le droit, on commence à comprendre que la force ne règle pas tout. C’est le premier point que je trouve intéressant.

Le deuxième, c’est au regard du rapport entre le droit du sport et celui de l’Etat. Le juge du Tas a pris le soin de dire que sa position ne préjudicie en rien le droit de l’Etat dans la mesure où il a précisé que les procédures pénales entamées et celles civiles qui peuvent être suivies ne seront pas influencées par la décision qu’il a prise. C’est toujours une sorte de reconnaissance de la part du droit dans le sport.

Et le troisième point, c’est sur le plan de la compétition sportive. Généralement dans le sport, on essaye toujours de trouver un responsable quand il y a des problèmes. C’est ce que la commission de recours de la fédération (Fédération sénégalaise de football, FSF Ndlr) a fait. Elle a décidé que le responsable des évènements douloureux lors de la finale de la Coupe de la Ligue, c’était une seule partie et c’est l’Us Ouakam. Le juge du Tas, au vu des éléments qui lui ont été fournis, a été en mesure de dire attention, il n’y a pas que Ouakam.

Cela veut dire qu’il y a d’autres responsables mais il n’en a pas désignés. Puisque Ouakam n’est pas seul responsable, il y avait de fortes chances qu’il revienne sur les sanctions disciplinaires prononcées qui étaient de deux ordres. La première c’est que Ouakam ne sera plus en Ligue 1 et la deuxième est qu’il ne participera plus pendant cinq ans aux compétitions organisées par la fédération. C’est ça les décisions prises par la Commission de recours. Le juge du Tas s’y est opposé en levant ces sanctions. Mais le juge ne s’est pas prononcé sur les conséquences. C’est-à-dire comment mettre en œuvre sa décision. Quand et comment il faut lever les sanctions ? C’est ça aujourd’hui le problème de la Fédération sénégalaise de football. C’est à ce niveau que se situent les interprétations.

Quelle est votre position sur la question de la mise en œuvre de la décision du Tas ?

Ma position sur ce débat est claire et nette. Dans l’intérêt du football et celui du Sénégal, il vaut mieux que la fédération prenne sur elle de ne pas appliquer la décision tout de suite. Dire aux Ouakamois, on a compris, le juge nous a demandé de vous réintégrer en Ligue 1. Nous sommes d’accord et nous allons le faire. Du fait que nous avons commencé le championnat depuis un moment, entre autres raisons, il faut que ce championnat se termine parce qu’on est en année de Coupe du monde. On n’a pas beaucoup de temps, donc on est obligé de commencer l’application de la décision du Tas la saison prochaine. Certains posent le problème de la Linguère. Mais elle ne doit pas subir les conséquences de cette décision. De la même manière que la fédération va dire qu’on va mettre en œuvre la décision à partir de la saison prochaine, elle peut dire qu’on va faire un championnat non pas à 14 mais à 15 équipes. Là, ça règle tous les problèmes, s’ils veulent aller dans ce sens. C’est le pouvoir de la fédération après le jugement du Tas.

Maintenant, les gens de Ouakam peuvent dire que nous, on n’est pas d’accord. Mais je leur conseillerais d’être d’accord avec cette position parce qu’ils ne pourraient rien du tout si la fédération envisage d’appliquer la décision la saison prochaine. S’ils saisissent à nouveau le Tas, ils risquent de l’irriter et le juge va prendre tout son temps jusqu’après le mondial pour rendre son verdict. Cela ne servira à rien du tout. Ils ont intérêt à dire oui. Par contre, ils peuvent dire à la fédération : vous nous avez privés pendant un an de beaucoup de choses, maintenant payez-nous.

Comment l’Us Ouakam pourrait-elle demander le paiement de dommages et intérêts ?

Il s’agit là d’un contentieux en responsabilité. Ouakam a dû subir des préjudices peut-être. Il faut le prouver. S’ils arrivent à démontrer que les dommages qu’ils ont subis sont dus à la décision et à la mesure prises par la fédération, dans ce cas, ils vont saisir le juge du Tribunal de grande instance. Dans ce cas, ils diront, peut-être : la FSF nous a empêchés d’avoir la prime de la Coupe du Sénégal, celles de la Coupe de la Ligue et du champion du Sénégal parce que je n’ai pas pris part aux compétitions. J’avais des chances, ils m’ont empêché donc, il faut qu’ils me paient. J’avais aussi la possibilité d’avoir des joueurs compétitifs sur le marché et d’avoir un bon prix. Il y a des choses sur lesquelles si les Ouakamois sont réalistes, ils peuvent s’en sortir. Il faut régler cela autour d’une table. On est dans une année où on a besoin plus d’être ensemble que de se taper dessus.

Quelles sont les leçons qu’on peut tirer de cette décision du Tas ?

Mais la vraie leçon, c’est vis-à-vis de la fédération. On est en train de leur montrer qu’il ne suffit pas d’être élu, d’être légitime de diriger une fédération. Il faut aussi des spécialistes, des gens compétents autour de vous. Ce n’est pas parce que vous êtes dirigeant de clubs, vous êtes élus que vous êtes forts dans tout. C’est ça le problème aujourd’hui. Si vous allez dans toutes les fédérations du monde, Noël Le Graët par exemple (Président de la fédération française de football, Ndlr), il est entouré de personnes très compétents, d’avocats et tout, qui lui permettent de prendre les bonnes décisions. Sinon, ici au Sénégal, on a l’impression, quand le Comité exécutif se rencontre, que c’est juste des gens venant de clubs d’un peu partout jusqu’au Fouladou qui viendront parler de choses qui intéressent le monde entier. Ce n’est pas ça. On a besoin de gens spécialisés en informatique, en marketing, qui vont travailler pour eux. Ils sont des élus, personne ne les conteste. Il faudrait qu’ils comprennent qu’aujourd’hui, il y a beaucoup de compétences au Sénégal qui peuvent les aider et les accompagner au lieu de se mettre tous seuls à prendre des décisions et avoir ce genre de problèmes.

Existe-t-il des voies de recours contre les décisions du Tas ?

Il existe des voies de recours mais elles ne sont pas opérationnelles aujourd’hui sur ce cas-là. Ouakam a interjeté appel auprès du Tas contre une décision rendue par un organe fédéral. Donc si le Tas rend une décision, il n’y a pas de possibilité de faire appel sauf quand celle-ci est flagrante et viole l’ordre public. La décision du Tas est définitive en principe.  

LOUIS GEORGES DIATTA

Section: