Publié le 25 Mar 2020 - 00:02
PR. ABDOULAYE SECK (ÉCONOMISTE) SUR LA RIPOSTE ÉCONOMIQUE FACE À LA COVID-19

‘’Des opportunités de repenser nos relations commerciales’’

 

Créées, en général, pour coordonner les actions des pays de leur zone ou du continent, les organisations communautaires ouest-africaines ou africaines ne restent pas indifférentes face à l’expansion de la Covid-19 qui affecte les économies du continent. Dans une interview accordée à ‘’EnQuête’’, l’économiste Abdoulaye Seck, Professeur à la faculté des Sciences économiques et de Gestion (Faseg) de l’Ucad, revient sur les stratégies à adopter par ces structures, les enjeux de l’heure, etc.

 

L’Afrique, comme la plupart des pays du monde, fait face à l’expansion de la Covid-19, une pandémie qui secoue les économies. Aujourd’hui, quelles sont les stratégies à adopter par les organisations sous-régionales telles que la CEDEAO, l’UEMOA, pour atténuer les effets négatifs de cette crise sanitaire sur l’économie de la zone ?

Cela dépend de la nature du phénomène auquel les pays font face et la Covid-19 est presque sans frontière. Donc, si un pays de la sous-région a le virus, un autre pays frontalier peut être contaminé. Ce qui veut dire que la réponse ne peut pas être locale. Elle doit plutôt être globale. Même si un Etat membre de ces organisations prend des mesures relativement adéquates pour se protéger, le succès pourrait dépendre de ce que les autres pays font, du moment où les interactions entre les pays ne peuvent pas être réduites à zéro. Donc, c’est un mouvement concerté qui doit venir à bout de ce fléau qui a une dimension géographique qui dépasse les frontières nationales. C’est un problème transnational qui appelle des mesures transnationales qui partent d’une certaine coordination des efforts nationaux, de façon à travailler ensemble pour développer des stratégies communes.

On sait aussi que ces institutions veillent au bon fonctionnement des mécanismes du marché régional. Est-ce qu’en temps de crise, il leur sera facile d’y parvenir, sachant qu’en général, les pays peinent à respecter les accords signés ?

Lorsqu’on parle de fonctionnement de marché sous-régional avec des mécanismes institutionnels, cela suppose que nous soyons dans les conditions normales. Lorsque ce n’est plus le cas et qu’on a ce type de choc qui arrive, au-delà des réponses concertées des pays, les marchés ne peuvent plus fonctionner normalement. Quand on a un défaut de fonctionnement des marchés, les normes qu’on connaissait depuis 20 ans, on va les surseoir, pour aller dans le sens d’attaquer le fléau et de trouver des solutions adéquates. Une fois l’objectif atteint, on peut venir au fonctionnement normal du marché qui repose sur des mécanismes de concertations économiques. À situation exceptionnelle, certains mécanismes seront mis en œuvre de façon à résoudre, absorber le choc et qu’on passe à une situation normale. À ce niveau, le marché pourra fonctionner normalement.

La mise en place de marchés des denrées, des titres et des devises est également de leur ressort. À ce propos, quelle analyse faites-vous de la situation dans la sous-région ?

Au niveau sous-régional, ce qu’on a comme choc est relativement important. Ce qui a mené à un certain ralentissement du fonctionnement des économies entre les frontières et les relations économiques qu’il y a entre les pays qui se trouvent également affectés. Tout ce qui est échange sous-régional, international sera affecté par le fléau. Que cela soit sur les biens de services, les marchandises, les devises, les titres, bref, toute relation commerciale, financière, voire les mouvements de personnes. Il y aura ainsi un ralentissement non seulement au niveau de l’activité économique nationale, mais également des interactions entre les différents pays. Parce que du moment où on a une limitation du mouvement des personnes, cela va également aller dans le sens de réduire le mouvement des biens et services. Si les économies nationales sont au ralenti, les interactions qui sont basées sur ces activités nationales seront affectées.

Maintenant, il faut juste souhaiter que les réponses collectives qui sont apportées à ce phénomène global soient effectivement efficaces, afin de pouvoir trouver une solution rapide. Et que les économies puissent redémarrer leurs activités normales. Si on y arrive, les relations économiques de tout ordre, ce que soit commerciale, financière, les mouvements de personnes vont reprendre leur rythme normal. Il y a aura une trajectoire qui pourra être beaucoup plus élevée pour rattraper tout ce qu’on a pu perdre. Le rythme sera un peu plus accéléré pour pouvoir résorber le déficit qu’on a connu.

Pour la mobilité des facteurs de production, on sait que la plupart des économies de la sous-région exportent leurs matières premières en dehors du continent. Est-ce que cette crise ne doit pas être un prétexte pour revoir le tissu industriel ouest-africain ?

Cela pourrait créer des opportunités de repenser nos relations commerciales, les relations entre l’Afrique elle-même et entre l’Afrique et le reste du monde. Si nous avons une économie qui est extrêmement extravertie, plus affectée pour ce type de choc qui nous arrive, cela pourrait nous amener à repenser notre modèle économique, de façon à donner plus de préférence aux relations régionales, sous-régionales qui, relativement, pourraient être peu affectées par ces crises qui sont d’ordre international et qui trouvent leurs origines hors du continent. La dynamique est là.

D’ailleurs, l’Afrique s’engage dans un accord de libre-échange continental (NDLR : Zone de libre-échange continental africaine - Zlecaf). Une des impulsions de cette dynamique, c’est le fait qu’à un moment donné, il y avait des économies avancées qui cherchaient à se protéger. C’est le cas des États-Unis. Ce qui a donné un coup de fouet à ce rêve depuis les indépendances, d’avoir une Afrique économiquement indépendante. Et là, c’est un phénomène qui arrive et va renforcer cette impulsion continentale de pouvoir développer davantage les relations entre les pays. Mais également de développer une assise industrielle relativement solide qui sera à la base du succès de tout ce que nous voulons faire au sein du continent, en termes de rapprochement des économies nationales et d’intégration économique.

En parlant du continent, qu’est-ce qu’on peut attendre concrètement des organisations comme le Nepad ou l’UA pour relancer la dynamique économique africaine, après la Covid-19 ?

Ce qu’il faudrait faire à partir de ces institutions, c’est organiser des réflexions de façon générale. Et ces institutions multilatérales sont vraiment la plateforme institutionnelle idéale pour pouvoir réunir tous les acteurs nationaux et du secteur privé pour réfléchir ensemble : d’abord, pour tirer des leçons, non seulement en termes de partenariat, mais aussi des différents enjeux auxquels nous faisons face. Ce sont des institutions qui vont offrir cette plateforme unique pour pouvoir amener tout le monde autour de la table, pour organiser des réflexions et développer des stratégies ensemble pour que l’Afrique puisse, non seulement développer des relations économiques telles qu’on l’a toujours rêvé, mais aussi pour que l’Afrique puisse s’imposer sur la scène internationale, non seulement en termes de commerce, mais également en termes d’investissements étrangers, de ses relations financières.

C’est une opportunité qu’il faudrait saisir. On ne souhaiterait pas que cela arrive tous les jours. Cependant, à chaque fois que cela arrive, il faudrait, de façon exogène, essayer d’en tirer les leçons, de s’asseoir autour d’une table. Cette gestion régionale et sous-régionale est vraiment le cadre approprié pour organiser ces réflexions afin qu’il y ait une convergence des intérêts nationaux pour bâtir un continent relativement très intégré qui puisse peser sur la scène internationale.

Sur le plan financier, la BCEAO a décidé, ce week-end, d’apporter chaque semaine une assistance financière de 4 750 milliards de F CFA aux autres banques de la sous-région. Comment appréciez-vous cet appui ?

L’appui ne manquera pas. Parce que les économies, en temps normal, ont besoin de ces injections. Quand la crise arrive, elle va fragiliser davantage non seulement les budgets des États qui sont à leurs limites, mais aussi, globalement, l’activité réelle, privée est au ralenti, voire dans certains secteurs à l’arrêt. Cela veut sans doute dire que le choc est très important. Une des façons de l’absorber, c’est de pouvoir se relever et d’avoir des mécanismes d’assistance de l’activité économique. On a la Banque centrale, mais il y a également les institutions internationales telles que la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) qui ont mis la main à la poche. Elles ont mis des ressources relativement importantes pour soutenir les États, les accompagner dans ces moments relativement difficiles. Elles leur font souvent des prêts à taux d’intérêt de 0 % ou des aides.

Ces États ne peuvent pas le faire seuls. Parce qu’ils ont des institutions sanitaires qui ne sont pas suffisamment capables d’absorber tous ces chocs qui arrivent, des ressources relativement très limitées en termes de contrôle, de circonscription du phénomène. Donc, si on a ce type d’aides, que ce soit de la part des institutions internationales, des banques, des partenaires au développement, des bonnes volontés, des acteurs privés, elles seront les bienvenues. Il faut juste qu’il y ait une meilleure coordination de toutes ces initiatives, qu’elles soient privées, nationales ou internationales.

La BCEAO a aussi pris l’initiative de faire la cotation de 1 700 entreprises privées. Est-ce que le secteur informel ne sera pas le grand perdant dans cette initiative, vu qu’il n’a pas souvent accès aux banques ou institutions financières ?

Être informel, c’est par définition être perdant par rapport à toutes les initiatives que le formel, le public, l’Etat peut développer. Décider d’être dans l’informel, c’est à la limite décider d’être ‘’au noir’’, comme on l’appelle en économie. À un moment donné, c’est un secteur qui n’existe pas, du point de vue des initiatives de l’Etat. Il est vraiment difficile de pouvoir aider quelqu’un qui n’existe pas. Il serait un peu difficile, au niveau des banques, d’avoir des mécanismes d’aide qui visent le secteur informel. Mais cela ne devrait pas amener les acteurs du secteur public, les banques et autres mécanismes de soutien de l’ignorer. Parce que la plupart de nos économies sont à prédominance informelle. Ce qui veut dire qu’ignorer l’informel, c’est à la limite oublier un pan vraiment important de l’activité économique.

Dans ce cas, quelle est la meilleure stratégie à adopter pour soutenir les entreprises informelles ?

On ne peut pas envisager la relance de l’économie, et c’est là l’une des difficultés que nous avons au-delà de ce fléau, sans pour autant envisager des mécanismes créatifs, novateurs, pour aller dans le sens d’aider le secteur informel. La charge maintenant est aux institutions financières, aux banques, à l’Etat et aux différentes institutions qui sont prêtes à aider le secteur privé, de trouver des mécanismes appropriés et adéquats qui sont à la hauteur des enjeux spécifiques à ce secteur. Cela va dans le sens de les répertorier, d’identifier leurs besoins spécifiques et d’aller dans le sens de les aider.

MARIAMA DIEME

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