Publié le 24 Jan 2014 - 23:25
PR GORGUI CISS, MEMBRE DU BUREAU POLITIQUE DU PS

«L'acte 3, c'est cohérence et harmonisation»

 

Professeur, vous êtes le président de la commission de la cohérence territoriale qui est à la base des propositions concernant la réforme de l'acte 3 de la décentralisation. Où en sont les recommandations faites au président de la République ?

L'Acte 3 est une phase dans le processus de décentralisation au Sénégal, entamé depuis même avant l'indépendance. On considère la réforme de 1972 comme l'Acte 1, avec la création des communautés rurales, la réforme de 1996 comme l'Acte 2 avec la création des régions et des communes d'arrondissement. Maintenant, l'Acte 3 vise à créer des départements comme collectivités locales et à transformer toutes les communautés rurales du Sénégal en commune - donc on ne parle plus que de commune - mais à revenir à une répartition géographique du territoire national en régions pour qu'il y ait plus de cohérence dans le découpage administratif.

Partant de là, le fait que les communautés rurales deviennent des communes procède d'une logique d'harmonisation par rapport à ce qui se fait partout à travers le monde. Parce qu'en matière de décentralisation, ce n'est qu'au Sénégal qu'on parle de communauté rurale comme collectivité locale. Partout ailleurs, on parle soit de commune, soit de commune rurale s'il s'agit d'une ruralité relativement marquée. Le fait qu'on ait des communautés rurales porte beaucoup de préjudices aux présidents de communautés rurales.

Par exemple ?

Si on prend mon cas, à Yène et à Toubab Dialaw, nous n'avons rien à envier à certaines communes qui ont une vocation rurale très marquée. Contrairement à la commune de Sébikhotane, on a tous les avantages de l'urbanité et on a une zone rurale très marquée. Comment pouvez-vous concevoir que lorsqu'il y a un appel à projet à l'extérieur où on dit que seules les communes peuvent participer, moi en tant que Pcr je ne sois pas éligible ? Deuxièmement, les maires, durant tout le régime de Wade, bénéficiaient d'un passeport diplomatique alors qu'aucun Pcr n'a pu en bénéficier.

En matière de répartition des transferts d'argent avec le fonds de dotation ou le fonds de concours, les 380 communautés rurales avaient beaucoup moins d'argent que les 150 ou 160 communes du Sénégal. Si vous prenez également les équipements que l'État installe un peu partout dans les collectivités locales, vous verrez que celles-ci sont mieux nanties que les communautés rurales en matière de lycées, de dispensaires, etc. Donc si ces pôles équilibraient un peu l'intervention de l'État et des projets entre la zone urbaine et la zone rurale, ce serait une bonne chose.

Certains politiques disent que l'idée de départ a été dévoyée ?

Dès qu'on a commencé à lancer l'idée de l'Acte 3, les gens se sont focalisés sur la suppression de la région. Si on supprime la région, que va devenir le personnel, par exemple ? Alors on a dit qu'on voudrait le maintien de la région. L'autre gros problème, c'est la région de Dakar avec la ville et les communes d'arrondissement.

Il y a eu une levée de boucliers de la part de certains maires de communes d'arrondissement qui disent ne pouvoir accepter que leurs institutions continuent de dépendre de la ville pour leur fonctionnement. Ils ne voyaient pas pourquoi une communauté rurale qui n'a pas un budget de 100 millions puisse avoir toutes les compétences en matière de terre alors qu'une commune comme le Plateau qui a plus d'un milliard de francs Cfa de budget n'a pas ces compétences.

Au départ, le gouvernement a dit que comme il y a un consensus autour de la communalisation intégrale, on peut la maintenir. Deuxième consensus, c'est l'érection du département comme collectivité locale. Tout le monde était d'accord, et la région restait. C'était cela le débat. On dit : on ne touche à rien. Mais au fur et à mesure qu'on avançait, les gens ont tout de suite pensé au regroupement. Par exemple, si on revient à six régions ou sept, quel est le département ou la ville qui sera capitale ? Alors le débat s'est posé.

(…) Comme le gouvernement veut avoir de grands ensembles pour assurer le développement et la cohérence territoriale, chemin faisant, il a été donc décidé de supprimer la région comme collectivité locale mais en la maintenant comme entité administrative.

Quels risques face aux prochaines élections ?

La région n'existant plus, le code général des collectivités locales ne parle que de la commune et du département comme collectivité locale. Maintenant, les pôles éco-géographiques ainsi que les autres compétences que les collectivités locales avaient demandées de même que les rapports entre les collectivités locales et l'État vont se discuter dans la deuxième phase de l'Acte 3. La première phase étant déjà bouclée, on va aller aux élections avec les deux entités en ne changeant rien.

Mais si on arrive à avoir des pôles éco-géographiques, et si on augmente les compétences, alors la loi va être modifiée pour qu'on crée une troisième collectivité locale. (…) De 2008 à maintenant, tous les découpages ont obéi à une logique purement politique. Tout cela devrait être réglé dans la deuxième phase de l'Acte 3, après les élections, avec le comité national de pilotage.

Certains identifient derrière cette démarche un manque de courage politique du président de la République pour mener cette réforme jusqu'au bout.

Mon sentiment n'est pas un manque de courage politique. C'est d'abord pour éviter de reporter ces élections au-delà de l'année durant laquelle elles devaient se tenir, c'est-à-dire 2014, et pour respecter la directive de la CEDEAO qui dit que pendant les six mois qui précédent les élections, on ne peut pas modifier fondamentalement sans un consentement de la totalité des acteurs. C'est lié à cela que le gouvernement a pensé qu'il n'y aurait pas suffisamment de temps pour continuer la réforme jusqu'au bout.    

PAR ASSANE MBAYE

 

Section: