Publié le 23 Nov 2018 - 23:18
PR MAGUEYE KASSE (PRESIDENT COM ORGANISATION RECIDAK)

‘’ Le cinéma est une opération du sens et de l’esprit’’

 

Aujourd’hui s’ouvre officiellement l’édition 2018 des Rencontres cinématographiques internationales de Dakar (Recidak). Après plusieurs années d’interruption la Direction de la Cinématographie a décidé de reprendre l’organisation. Le critique de cinéma, Pr Maguèye Kassé, est le président du comité d’organisation. Dans cet entretien avec EnQuête, il revient sur l’opportunité de ce retour et les grandes lignes de la présente session.

 

Qu’est-ce qui motive le retour des Rencontres cinématographiques internationales de Dakar ?

C’est un besoin qui a été ressenti depuis très longtemps par les cinéphiles, l’administration de la culture en l’occurrence le ministère de la Culture et la Direction de la cinématographie pour consacrer les réflexions en amont depuis qu’on a interrompu l’organisation des Recidak. C’était pour se dire qu’il faut se réveiller de cette longue hibernation au moment où le cinéma sénégalais, africain, mondial se développe. Il fallait prendre le taureau par les cornes et reprendre les bonnes vieilles traditions en reprenant les Rencontres cinématographiques internationales de Dakar. On pourrait ainsi faire de Dakar une capitale culturelle et en même temps créer les conditions de faire venir des films de qualité, des réalisateurs de renom, des jeunes pousses qui ont l’ambition de faire du cinéma.

Ces derniers peuvent être sensibilisés sur les difficultés du métier, les promesses que le secteur peut engendrer. Il faut qu’ils sachent que les réalisations doivent être de qualité. Donc, il fallait réorienter les Recidak, tout en gardant la qualité, vers la prise en compte des impératifs que pose le monde d’aujourd’hui. Il est évident qu’on ne peut pas faire du cinéma aujourd’hui sans tenir en compte ce que les précurseurs ont essayé de faire. Ce qui a donné naissance au cinéma africain du nord au sud du Sahara avec des grands comme Tahar Cheria, Ousmane Sembène et toute cette génération de pionniers qui ont vu l’importance que l’image pouvait avoir sur le développement des sociétés africaines. Il ne faut jamais oublier que le cinéma a une fonction sociale, éducative, d’explicitation des problèmes compliqués du monde dans lequel nous sommes. Un monde qui est lui-même le résultat d’un ensemble de facteurs historiques, sociologiques, culturels, économiques qui ont fait de nos pays ce qu’ils sont devenus aujourd’hui. Le cinéma ne peut pas faire l’impasse sur cette réflexion en montrant dans des œuvres de qualité tout un questionnement qui peut amener les citoyens à être capables d’intervenir dans le développement de leurs sociétés.

Est-ce pour cela que ‘’Cinéma et développement’’ a été choisi comme thème pour ces Recidak ?

Effectivement ! C’est une manière de revenir sur cette problématique parce ce qu’il s’agit du développement dans tous les cas. Que cela soit le développement de nos économies, de nos  jeunesses, la place de nos pays dans le concert des Nations aujourd’hui, les rapports nord-sud qui sont inégalitaires, les perversions qui sont à l’origine de cette course effrénée vers le profit des sociétés capitalistes et néolibérales. Sans oublier  les chantages auxquels nos pays sont soumis, tout y est pris en compte. Donc, c'est tout à l’honneur du Sénégal d’avoir reconnu ces impératifs et d’essayer de donner des moyens au cinéma pour à la fois la formation des techniciens, l’accompagnement des réalisations mais également d’autres réflexions à mener et beaucoup plus profondes sur la distribution, la mise à disposition des infrastructures modernes nécessaires aujourd’hui pour que les gens aient envie d’aller au cinéma. Le cinéma est une opération du sens et de l’esprit.

Il est annoncé la participation de réalisateurs et d’acteurs de renom, peut-on avoir une idée de qui ils sont ?

C’est difficile, vous le comprendrez, de faire l’exégèse des réalisateurs qui sont invités. Ils viennent d’un peu partout, du Brésil, de la Palestine, du Maroc, de l’Inde, du Burkina, etc. Nous avons voulu faire un mélange harmonieux et essayer de trouver ce qu’il y a de mieux dans le cinéma aujourd’hui et aussi de ne pas oublier les leçons d’hier. Nous avons programmé des films qui datent de quelques années mais qui n’ont rien perdu de leur essence et de leur importance.

En même temps, nous faisons un clin d’œil à la jeunesse qui a, à cœur de faire du cinéma de qualité en se disant que le cinéma n’est pas une voie royale. Ce n’est pas quelque chose dans lequel on s’engouffre au hasard. Si on pense qu’à travers le cinéma on peut se faire de l’argent, on se trompe. Le cinéma ce n’est pas cela. Le cinéma c’est plutôt participer à l’éveil des consciences, à délivrer un message qui même après qu’on ne sera plus de ce monde sera un message dans lequel on va tirer énormément d’enseignements. C’est ce qui fait qu’au-delà des esthétiques différentes, des moyens et méthodes utilisés pour faire du bon cinéma nous avons tout un contexte favorable pour le développement du cinéma qui doit s’éloigner nécessairement du cinéma spectacle. On doit s’éloigner de cette manière de faire du cinéma uniquement pour divertir ; de cette manière également d’être dépendant des moyens du nord pour pouvoir faire notre cinéma.

Il nous faut promouvoir la coproduction cinématographique sud-sud. Je viens de visiter le Maroc et le centre cinématographique de Rabat est un véritable joyau tout comme la Cité de la Culture à Tunis. Pourquoi nos pays ne pourraient pas avoir cela et laisser les autres nous construire de belles salles de cinéma dans lesquelles nous n’allons pas forcément projeter des choses qui nous intéressent. C’est une question de souveraineté nationale. L’effort que les cinéastes font doit pousser les pouvoirs publics à aller dans ce sens pour plus d’indépendance, plus de liberté de création. Parce qu’on peut faire un film qui n’est pas compris aujourd’hui dans la thématique, dans l’esthétique mais plus tard, dans une relation dialectique à établir entre la création et disons l’appropriation de la création qu’on se dise ‘’waouh, je ne savais pas que ce film était si fort’’. C’est ce qui fait le caractère classique des œuvres d’art. Et comme on le dit, le septième art fait partie de cet héritage de l’humanité pour le guider dans un labyrinthe où il n’est pas facile de trouver la voie.

Noureddine Sail est choisi pour faire la leçon inaugurale. Pourquoi lui ?

Nous l’avons choisi en reconnaissance de tous les efforts qu’il a déployé autour du cinéma africain pas le cinéma maghrébin ou le cinéma de la Méditerranée ou celui de l’Afrique du Nord. Il a une passion pour le cinéma de l’Afrique comme les Sembène avaient une passion le cinéma africain. C’est quelqu’un qui n’a pas cessé d’alimenter par la réflexion théorique le devenir et l’état du cinéma africain. C’est quelqu’un qui a eu des responsabilités énormes en matière de cinéma et du cinéclub. Il est à l’initiative et au rayonnement du festival de film de Khouribga (ndlr ville située à 120Km de Casablanca, Maroc). Donc, c’est quand même quelqu’un qui est très bien placé pour nous parler de cinéma et développement dans son optique à lui. On prodigue une leçon, on délivre un message. A partir de ce message, chacun est libre d’avoir une opinion différente ou d’aller dans le même pourvu que tout ce qui est dit est fondé. Donc, c’est un dialecticien hors pair. C’est quelqu’un qui a une vaste culture du cinéma mondial et du cinéma africain singulièrement. Il a été responsable à différents niveaux et je rappelle qu’il était le président du jury de la dernière édition du Fespaco et qui a délivré l’Etalon d’or du Yennenga et ce n’est pas rien. Avoir quelqu’un comme çà, l’honorer pour tous ses efforts. C’est une manière également de célébrer l’attachement viscéral qu’il a pour le Sénégal et l’amitié qu’il nourrissait à l’endroit de Sembène. Ne serait-ce que pour ma part, cette dernière raison est suffisante pour choisir Noureddine El Sail pour venir délivrer la leçon inaugurale.

Qu’attendez-vous des ateliers de jeu d’acteur prévus ?

Ces ateliers ont d’abord pour objectif l’échange d’expériences. C’est pourquoi il est prévu des masters class avec des gens qui font les beaux jours du cinéma africain depuis quelques années comme Sylvestre Amoussou ou encore Mama Keïta. Ils vont donc partager avec d’autres leurs expériences et vécus dans le cinéma. Pour l’actora, il faut montrer aux jeunes que ce n’est pas une voie royale. Il faut qu’ils sachent qu’il leur faut du temps. Il faut qu’ils comprennent qu’ils doivent se former parce que n’est pas acteur qui veut. On n’est pas acteur dans un seul rôle. On est acteur dans différents rôles. Il faut sortir de soi pour incarner des rôles. Qu’ils soient crédibles, dans une direction d’acteur de bon aloi et c’est cela qui fait que nous avons choisi des gens spécialisés du théâtre pour piloter cette expérience d’échange autour de l’actora.

Il n’y a pas de cloisons entre les arts. Il est prévu dans d’autres masters class de parler aux jeunes réalisateurs du fond vert par exemple. On parlera de comment aujourd’hui, avec le développement fulgurant de la connaissance, de la technique et de la technologie, utiliser des décors qui ne sont pas de chez nous par exemple. C’est cela la symbiose qu’il faut créer avec ces Rencontres cinématographiques internationales de Dakar, édition 2018. On doit créer les conditions d’échanges et de discussion fructueuses pour que les gens puissent avoir à l’idée que le cinéma est un secteur extrêmement porteur, porteur d’initiatives du reste. Il est porteur d’emplois, parce que n’importe qui n’est pas spécialiste du décor, de l’éclairage, du scénario. C’est tout cela que nous voulons réunir. Maintenant, comme c’est une édition qui reprend après plusieurs années d’interruption elle sera un tremplin vers d’autres horizons qui vont s’efforcer de creuser davantage des sillons pour que nos réalisateurs sachent que le cinéma est une chose sérieuse.

BIGUE BOB

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