Publié le 11 Apr 2018 - 02:46
PR. MOUSSA DIAW (ENSEIGNANT-CHERCHEUR EN SCIENCE PO A L’UGB)

‘’Le problème de l’opposition, c’est qu’elle n’arrive pas à se fédérer’’

 

Selon Moussa Diaw, enseignant-chercheur en science politique à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, l’opposition sénégalaise à des faiblesses de mobilisation des citoyens autour de thématiques. Mais aussi un problème de leadership qui fait qu’elle n’arrive pas à se fédérer pour constituer un bloc uni à même de proposer une alternative crédible.

 

L’opposition sénégalaise multiplie les initiatives, mais sans jamais fédérer ses forces. Qu’est-ce qui explique cela, selon vous ?

Cela veut dire tout simplement qu’il y a un manque de leadership au niveau de l’opposition. Ce manque de leadership se traduit par les différentes initiatives qui se créent autour d’un enjeu important qui est le parrainage qui est en train de cristalliser tout un ensemble de groupe. Mais le problème c’est qu’ils n’arrivent pas à se fédérer pour représenter vraiment un groupe d’opposition solide, capable de mobiliser les citoyens autour de cette problématique qui est le parrainage. Si cette opposition ne parvient pas à cristalliser tous ces mécontentements autour de cette question, cela montre qu’elle a des faiblesses de mobilisation des citoyens autour de thématiques.

En ce moment, la thématique politique qui pose problème, c’est le parrainage. C’est l’occasion de mesurer les capacités et les forces de l’opposition. Même de façon dispersée maintenant, ils vont se sédimenter pour présenter une force crédible susceptible de s’opposer catégoriquement à cette initiative de la majorité. Maintenant, il faudra leur donner le temps. A l’épreuve, on peut mesurer quelle est sa capacité, est-elle représentative, a-t-elle les moyens de mobiliser les citoyens autour de cette problématique ? Là, on verra, à l’approche de cette échéance du vote de la loi, s’il y aura une issue par rapport à cette question du parrainage pour les élections. Parce que, il peut, peut-être, y avoir un relâchement quelque part ou bien des solutions qui vont apparaitre, c’est-à-dire des initiatives au niveau de la majorité pour convoquer les gens autour d’une table.

L’opposition nous a quand même habitués à ces initiatives conjoncturelles. Il y a eu le Fpdr, ensuite le Fsd/Mws, puis la coalition du Non/Gor ca wax ja. Finalement, est-ce que cela ne traduit pas un certain désordre ?

Oui, tout à fait ! Il y a un malaise au niveau de l’opposition. Parce que les différents leaders n’arrivent pas à trouver, parmi eux, un capable de fédérer tout le monde. C’est donc le problème de leadership dont je parlais tout à l’heure. Ce manque de leadership fait aujourd’hui que les forces sont dispersées. L’opposition n’arrive pas aussi à s’unir parce qu’il n’y a pas un projet derrière. C’est cela qui fait que ses alliances sont conjoncturelles et éphémères. S’il y avait un projet de société autour de cette question avec une feuille de route qui traduit un enjeu important pour les échéances électorales, en ce moment, je pense qu’on aurait des coalitions et des regroupements solides qui s’inscrivent dans un objectif précis avec des orientations et des axes de politique bien déterminés. Là, il n’y en a pas et donc, ce sont des regroupements conjoncturels et éphémères qui montrent bien les faiblesses de l’opposition. L’absence vraiment d’initiative, d’offre politique capable de prouver qu’il y a une possibilité d’une alternance politique, est un obstacle. Il y a justement ce vide qui fait qu’on se réunit en fonction de la conjoncture, parce que le gouvernement veut faire passer une loi et puis après ça disparait, ensuite on se retrouve pour d’autres initiatives.

Donc, cela prouve qu’il y a l’absence de consistance dans les initiatives politiques.

Est-ce que cela ne risque pas d’avantager le président de la République, candidat à sa propre succession ?

Tout à fait ! C’est en sa faveur. Parce que là, les citoyens vont se rendre compte que cette opposition n’est pas capable de s’unir, de leur proposer une autre offre politique avec laquelle elle peut espérer un changement notable. Mais là, comme il n’y a pas d’initiatives conjoncturelles, il n’y a pas de confiance à l’égard du citoyen, c’est-à-dire que le citoyen qui regarde n’a pas confiance à ce mouvement éphémère qui ne traduit pas une consistance politique. Donc, c’est en faveur de la majorité qui va trouver cette situation favorable pour faire les ajustements nécessaires, des propositions renforcées autour de son bilan pour compléter ce qu’elle est en train de faire.

A moins d’un an des élections, est-ce que l’opposition n’est pas en retard par rapport à la majorité qui est quand même restée jusque-là soudée ?

Je pense qu’il y a un décalage, pour la simple raison que l’opposition ne semble pas s’inscrire concrètement dans le débat politique pour conquérir le pouvoir. Parce que si on s’inscrit dans cette logique, on a une offre politique, des axes de réflexion et des propositions concrètes comme alternative par rapport à ce qu’on est en train de faire. Cette dispersion ne montre pas qu’il y a un projet qui fédère les gens. Il n’y en a pas et les citoyens qui regardent cela n’ont pas confiance et prennent leur distance.

Est-ce que le temps permet aujourd’hui à ceux qui sont contre le pouvoir du président Sall  de se réajuster et de rectifier le tir ?

Le temps passe vite. Ça m’étonnerait que l’opposition puisse avoir le temps de se réunir, de réfléchir sur des axes de projet, de société comme alternative par rapport à la politique qui est menée. Quand on entend les déclarations des uns et des autres, on ne voit rien de concret. C’est généralement des attaques contre le pouvoir, mais rien comme perspective ou réflexion devant constituer une feuille de route.

J’ai entendu le président de Rewmi, Idrissa Seck, qui fait des propositions au président de la République pour régler la crise de l’éducation, dire que si jamais le chef de l’Etat l’appelle, il va lui faire des propositions. Mais c’est à l’opposition de faire des propositions concrètes. Ce n’est pas seulement pour le président Macky Sall, mais pour tous les citoyens sénégalais. S’il a des propositions, il devrait le dire et dire qu’il va l’intégrer dans ses projets de société qui vont représenter une alternative pour les prochaines élections. A mon avis, rien n’est fait pour rassurer les citoyens pour une offre politique. Au niveau des pratiques, rien n’a changé et le discours politique est semblable.

Est-ce à dire que les contestataires du régime sont aujourd’hui largués par la mouvance présidentielle, en perspective des prochaines échéances ?

L’opposition est mal partie dans la course à la présidentielle de 2019, pour l’instant. Le temps, en politique, est très important. Si vous le ratez, c’est fini. Ils n’ont pas le temps de s’organiser, de s’entendre, de mettre en perspective leurs projets. Cela demande beaucoup de temps, beaucoup de volonté et des discussions pour trouver des compromis. A mon avis, cette opposition que je vois fragmentée, avec des leaders plus ou moins individualistes, ce n’est pas elle qui pourrait constituer une alternative crédible pour gagner les prochaines élections.

PAR ASSANE MBAYE

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