Publié le 25 Jul 2018 - 03:19
PR. MOUSSA DIAW (ENSEIGNANT-CHERCHEUR A L’UGB)

‘’Il y a toute une pagaille organisée autour de l’élection présidentielle’’

 

La course à l’élection  présidentielle est ouverte et plusieurs candidats se sont déjà déclarés. Seulement, la plupart d’entre eux ne sont pas à la tête d’une formation politique, car c’est récemment qu’ils ont mis sur pied des mouvements. C’est ce qui fait dire à l’enseignant-chercheur à l’Ugb, Moussa Diaw, que l’organisation de ces élections est entourée d’une véritable pagaille. Il pense, en outre, que ces candidats indépendants n’ont aucune chance face au parrainage et à l’électorat. 

 

A 7 mois de la présidentielle, on a noté une floraison de déclarations de candidature. On peut citer les cas de Thierno Bocoum, du juge Ibrahima Dème, de Ngouda Fall Kane, de Boubacar Camara, de Samuel Sarr… Comment appréciez-vous ces prétentions ?

L’élection présidentielle est une échéance importante pour la vie démocratique d’un pays. C’est l’occasion, pour les hommes politiques, d’évaluer leur poids électoral. C’est aussi l’occasion d’entrer en contact avec les citoyens pour sonder l’électorat par rapport à la gestion du régime en place.  Les élections constituent un moyen d’évaluer la politique nationale. Il y a une floraison de candidats, une multitude de candidatures, ce qui justifie, quelque part, l’existence du parrainage et qui est légitimé par la majorité. Cette loi sert de filtre pour éliminer les candidatures fantaisistes.

Justement, pensez-vous que ces candidatures puissent réunir le nombre de signatures requis pour le parrainage ?

Je ne crois pas. Ces candidatures individuelles auront des problèmes. Certains candidats n’ont pas un poids national, ils ne sont pas reconnus et n’ont pas une légitimité politique. Nous sommes dans un système représentatif où il faut nécessairement passer par des  partis politiques. Ce sont donc les candidatures des formations politiques qui ont plus de chance de se positionner sur l’échiquier. Les candidatures individuelles vont avoir d’énormes problèmes. Elles n’ont pas une légitimité politique d’autant plus qu’on ne les voit qu’à la veille des élections. Ce ne sont pas des gens qui se sont auparavant constitués en parti politique pour se battre sur le terrain et, à partir de là, participer à des élections. Ces candidatures risquent d’avoir de sérieux problèmes pour rassembler les signatures nécessaires exigées pour être candidat. Ils vont être filtrés par le parrainage et ce qui va permettre à la majorité de justifier l’instauration de cette loi.

N’est-ce pas une manière, pour ces candidats, de se positionner sur l’échiquier politique afin de mieux négocier le moment venu ? 

On est habitué à des mouvements politiques. Mais, dans les grandes démocraties, ces mouvements de soutien n’existent pas. C’est peut-être des pratiques politiques sénégalaises qui font qu’il y a ces mouvements et ces gens-là s’accommodent au système politique national. Je pense que s’il y avait plus de démocratie, on n’aurait pas besoin de ces mouvements. Une fois qu’un président est élu, il doit déployer sa politique et, au bout du compte, s’appuyer sur ses résultats pour faire campagne.

L’opposition aussi doit s’organiser pour proposer une politique alternative, s’expliquer et donner des arguments auprès des citoyens pour  gagner leur confiance. C’est cela la démocratie. Il y a toute une pagaille organisée autour de l’élection. On a l’impression que certains cherchent tout simplement à se positionner. La négociation se passe au second tour, on a vu des gens, qui ne représentent absolument rien par rapport à leur position, occuper des postes de responsabilité à la tête d’organisations  ou d’institutions économiques. C’est problématique pour une démocratie, ces candidatures ne devraient pas exister. C’est opportuniste, de la part de certains, de postuler juste pour pouvoir négocier des postes ultérieurement.

Aujourd’hui, quelles sont les forces et faiblesses de ces candidats ?

La force est que la démocratie leur donne l’opportunité de se présenter. La faiblesse est qu’on est dans un système représentatif, cela veut dire que si vous n’avez pas un parti politique qui a un maillage au niveau national, vous n’avez aucune chance. La bataille se jouera au niveau de ces forces politiques-là qui sont en présence et qui ont cette capacité de mobilisation. Il faut aussi les moyens de sillonner tout le pays et de battre campagne. Si vous n’avez pas une organisation solide, des gens à mobiliser, vous ne pourrez pas passer.

Et c’est un problème pour les candidatures individuelles et indépendantes. La solution serait qu’il y ait une pluralité de coalitions dans la majorité comme dans l’opposition, pour ratisser large. Toutefois, la dispersion risquerait de se retourner contre l’opposition, si jamais elle est éclatée. Elle risque d’en perdre comme lors des législatives. Il y aura des candidats individuels qui n’auront rien du tout et que les gens, en se dispersant, risquent de perdre des électeurs. Ils n’auront rien de consistant à proposer, alors que ce sont les coalitions qui peuvent jouer leur rôle et faire des propositions afin de pouvoir espérer changer la donne politique. 

Cette situation ne traduit-elle pas aujourd’hui la banalisation de la chose politique ou la dévalorisation de la fonction présidentielle ?

Il y a  des problèmes généralement, mais tout cela vient du système politique sénégalais. On n’a pas besoin de changer les institutions ou de tripatouiller la Constitution à chaque fois qu’il y a un nouveau régime. La politique ne devrait pas être une fin en soi, mais plutôt  servir de moyen à des leaders qui veulent rendre service à leurs pays de s’engager politiquement. Mais la politique n’est pas faite pour gagner de l’argent.

Ceux qui font de la politique doivent avoir une qualification, car elle n’est pas un métier. Ce sont des fonctions, des responsabilités et tant qu’on ne comprend pas cela, on passe à côté. L’espace politique ne doit pas fonctionner selon un système clientéliste. On doit tenir compte de l’avenir, des dangers, des défis à relever dans les domaines prioritaires comme la lutte contre la pauvreté, la famine, les problèmes de santé. Ce sont ces questions qui sont prioritaires pour des pays pauvres comme le nôtre pour permettre aux populations de vivre de façon décente.

HABIBATOU TRAORE

Section: