Publié le 19 Jun 2023 - 20:49
PREPARATIFS DE LA TABASKI

Rareté et cherté des moutons

 

Devant être célébrée le 29 juin, la Tabaski s’annonce mal. Les moutons maliens et mauritaniens qui encombraient le marché tardent à venir. Une inquiétude s’installe, à quelques jours de la fête. Les moutons élevés dans les maisons sont plus présents sur le marché, mais à des prix exorbitants.

 

À quelques semaines de l'Aïd El-Kébir, communément appelé Tabaski, ce n’est pas encore le rush au niveau des points de vente de moutons. Habituellement, à quelques jours de cette fête importante pour la communauté musulmane, les marchés grouillaient de monde. Mais il faut dire que cette année, la situation est exceptionnelle, à bien des égards. Il y a peu de moutons dans les points de vente.

Selon les vendeurs trouvés au ‘’daraal’’  du stade Léopold Sédar Senghor, il est fort probable qu'il y ait pénurie de moutons, cette année. Dans cet endroit habitué aux fortes affluences durant la période des préparatifs de la Tabaski, le décor a aujourd’hui changé ; il n’y a que quelques stands de moutons. La majeure partie des bêtes viennent de l’élevage familial. La présence des éleveurs mauritaniens et maliens n’est pas importante.

Cette zone n’a jamais été aussi vide, surtout en cette période de préparatifs. ‘’Nous sommes à quelques jours de la Tabaski, mais le stade est presque vide. Les moutons qui devraient venir du Mali et de la Mauritanie tardent à débarquer. Il est difficile de trouver des moutons’’, fait savoir cet éleveur qui préfère garder l’anonymat. À côté de lui se trouve Modou Diop qui explique qu’un de ses amis s’est rendu dans un village pour se procurer un troupeau de moutons, mais il est revenu avec seulement 10 moutons. ‘’Cette année, celui qui fera un prêt à la banque pour une opération Tabaski va le payer cher’’, avertit-il.

En effet, les éleveurs de la sous-région devaient venir depuis le 1er juin, mais à cause des manifestations suite à la condamnation d’Ousmane Sonko, ils n’ont pas pu rallier Dakar comme chaque année pour satisfaire la majeure partie de la population.  Trouvé en train de faire le tour d’un stand de moutons, Ousseynou, la mine froissée, dit son inquiétude face à cette situation. ‘’Nous qui avons un pouvoir d’achat limité, on ne peut pas s’offrir un mouton à 250 000 F. On compte sur ces moutons Thiogal pour nous approvisionner’’, dit-il avec une mine triste.

En quittant Ousseynou pour un autre stand, on rencontre Abdou qui affirme être sur le point de rentrer à la maison. ‘’Je n’ai pas eu un mouton qui correspond à mon pouvoir d’achat. Je vais aller chercher dans un autre point de vente. Vraiment, cette année, ce sera la pire Tabaski de ma vie‘’, prédit-il déjà.

Une inquiétude générale

Abondant dans le même sens que ce client, Tapha, trouvé en plein marchandage avec un vendeur malien, explique son désarroi. Il estime que ça va être très difficile pour certaines familles de fêter la Tabaski cette année, à cause de la rareté et la cherté des moutons sur le marché.

Derrière le mur du stade, se trouve une dizaine de stands. Des moutons d'élevage et de la sous-région sont exposés. Le passage d’un camion soulève une poussière aveuglante qui pousse les passants à se masquer le visage. ‘’Eupeutelew !’’, s’exclame un passant en se bouchant le nez avec un mouchoir. Les vendeurs de moutons partagent l’espace avec les laveurs de voitures et les mécaniciens. ‘’Les autorités leur ont demandé de déguerpir, mais ils sont toujours là. Vous avez vu ce camion là-bas ? Il est là depuis deux heures, parce qu’il n’a pas où descendre son troupeau, à cause des mécaniciens’’, lance ce vendeur trouvé en train de nourrir ses bêtes.   

Si les éleveurs maliens et mauritaniens sont rares cette année, cela peut s’expliquer par les manifestations du 1er juin, d’après ce jeune laveur de voitures d’une vingtaine d'années. ‘’Je pense qu’ils ont juste peur’’, souligne-t-il tout en continuant sa besogne. Cette explication est confirmée par ce vendeur de moutons trouvé en pleine discussion avec ses amis. Il souligne qu’il a exposé ses bêtes le jour de la manifestation et qu’il a failli être attaqué par des manifestants. ‘’C’est par la grâce de Dieu que j’en suis sorti sain et sauf. Heureusement qu’ils n’ont pas touché à nos moutons’’, souligne-t-il en riant.

Les moutons élevés dans les maisons à l’honneur

Les points de vente sont nostalgiques de l’ambiance de veille de fêtes d’antan. La rareté du mouton est la principale cause de ce changement.  Idem au niveau du rond-point Nord-Foire, en face du garage des camions. L’animation est assurée par le bruit des voitures et les causeries de groupes de personnes. Certaines tentes n’abritent que quelques moutons qui mangent du foin ou sont couchés.  La rareté des moutons n’arrange pas la population, même si certains éleveurs sénégalais estiment qu’ils feront bonne affaire, puisque les moutons maliens et mauritaniens ne sont pas là. ‘’Je vends mes moutons entre 300 000 et un million de francs CFA’’, informe Matar Diagne.

Pour lui, cette situation n’arrange pas tous les Sénégalais. ‘’Les moutons vont être chers, cette année. Mais les clients viennent petit à petit’’.

 Toutefois, si Matar pense faire une bonne vente, Malick Wane, lui, souhaite que tous les Sénégalais puissent avoir un mouton. ‘’Je souhaite que chaque famille ait un mouton pour fêter la Tabaski’’, prie-t-il.

L’insécurité est aussi un des problèmes des éleveurs. Le dispositif nécessaire n’est pas au rendez-vous. Pour les exposants du rond-point Nord-Foire, le manque de sécurité explique leur réticence. ‘’Nous avons peur de sortir toutes nos bêtes, par mesure de sécurité’’, affirme Matar Diagne tout en servant à manger aux moutons.  D’après lui, c’est l’insécurité qui pousse les éleveurs à garder leur bétail à la maison, par mesure de précaution. 

Du côté du gouvernement, le Premier ministre Amadou Bâ, par ailleurs ministre de l’Élevage par intérim, a, lors d’une conférence de presse organisée par le gouvernement, rassuré les populations sur l’approvisionnement correct du marché. Il a déclaré : ‘’Je peux vous dire que le marché est globalement correctement approvisionné.’’ Il a affirmé qu’il y a un excédent de plus de 30 000 moutons par rapport à la même période de l’année dernière. Mais, précise-t-il, cet excédent ne concerne pas la capitale. D’après lui, le déficit à Dakar peut s’expliquer par la situation que le pays a traversée récemment. ‘’Je peux vous annoncer que depuis le week-end dernier, ce ne sont pas moins de 4 000 moutons qui arrivent à Dakar chaque jour’’. Amadous Ba précise que la demande dans la capitale se situe entre 290 000 et 300 000 moutons. Toutefois, si le ministre de l’Élevage assure une bonne gestion de l’approvisionnement en mouton, certains éleveurs et clients restent toujours sceptiques.

Sokhna Aminata DIOP (STAGIAIRE)

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