Publié le 11 Oct 2018 - 22:38
PRESIDENCE DU GROUPE PARLEMENTAIRE LIBERAL

L’antichambre des récalcitrants 

 

De Modou Diagne Fada à Me Madické Niang, en passant par Aïda Mbodj, les différents responsables libéraux qui se sont succédé à la tête du groupe parlementaire libéral sont tous entrés en conflit avec le ‘’Pape du Sopi’’, Abdoulaye Wade. Avant de se frayer une place dans le landerneau politique sénégalais.

 

La présidence du groupe parlementaire libéral est décidément une station à problèmes ou plutôt un tremplin, soit pour rejoindre le pouvoir, soit  pour prendre son destin politique en main. Entre 2012 et 2018, tous les caciques libéraux qui se sont succédé à la tête dudit groupe ont, à un moment ou à un autre, entamé un bras de fer qui a toujours abouti à un divorce avec le ‘’Pape du Sopi’’, Me Abdoulaye Wade. D’abord Modou Diagne Fada, ensuite Aïda Mbodj. Tous ont fini par tourner casaque avant de claquer la porte du Parti démocratique sénégalais (Pds) pour se frayer une place dans le landerneau politique sénégalais.

Aujourd’hui inscrit dans cette même dynamique, Me Madické Niang est parti pour rendre le tablier, à quelques encablures seulement des prochains renouvellements du Bureau de l’Assemblée nationale qui ouvre sa session unique de 2018-2019, demain vendredi 12 octobre. Même si, jusque-là, il n’a pas encore annoncé son départ du Pds, l’avocat-politique compte tout de même couper l’herbe sous les pieds de son désormais ex-mentor, en mettant en jeu son poste lors de la prochaine rentrée parlementaire. Se gardant de tout bras de fer avec le secrétaire général national du Pds pour garder ses fonctions, l’ancien ministre de la Justice sous la première alternance a décidé de jeter l’éponge. ‘’Avant que le parti ne se saisisse de la question, j'ai décidé, pour le mettre à l'aise, de remettre en jeu immédiatement mes fonctions de président du groupe parlementaire, car mon honneur ne me permet pas de m'accrocher à des responsabilités que le président Wade m'a confiées’’, soutient Me Madické Niang dans une note rendue publique avant-hier.

La révolte de Madické Niang

Depuis quelques semaines, Abdoulaye Wade et Madické Niang se mènent une guerre sans merci sur la question de la candidature alternative à celle de Karim Wade dont l’éligibilité semble aujourd’hui hypothéquée par ses déboires juridiques à l’origine de son ‘’exil’’ à Doha, au Qatar. Alors que Me Madické Niang se positionne de plus en plus comme le plan B du Pds, Abdoulaye Wade s’y oppose et soupçonne derrière une main de l’actuel président de la République, Macky Sall.

Si les relations toujours empreintes de cordialité, de fraternité et de respect mutuel entre les deux hommes en sont arrivées aujourd’hui à une adversité, c’est parce qu’à l’origine, un point sensible a été touché : la question de la candidature du parti en 2019. Principal point d’achoppement entre Abdoulaye Wade et l’ensemble des caciques libéraux qui lui ont tourné le dos, la candidature de Karim Meïssa Wade ne fait pas l’unanimité dans les rangs du Pds. Elle a toujours été contestée par bon nombre de responsables. Et les menaces qui pèsent sur celle-ci, en perspective de 2019, ne sont pas pour arranger les choses pour l’ancien président de la République qui ne veut d’aucune candidature alternative à celle de son fils. Mieux, Me Abdoulaye Wade  reste persuadé qu’une candidature de substitution faciliterait même la réélection du président Macky Sall en 2019.

Ce dialogue de sourds montre à suffisance le degré de gravité de la situation et la profondeur de la crise qui mine le Pds. Toutefois, le duel fratricide que se mènent Abdoulaye Wade et Madické Niang n’est que la face visible de l’iceberg. Il cache mal une crise de leadership à la fois endémique et endogène que traverse le Parti démocratique sénégalais depuis bien avant sa chute en 2012.

Jusque-là différée, l’alternative à la candidature de Karim Wade se pose avec acuité, au fur et à mesure qu’on s’approche des prochaines joutes électorales. Devant toutes les menaces qui pèsent sur la candidature du fils de l’ancien président de la République, Karim Meïssa Wade, investi par le Congrès du Pds, bon nombre de caciques libéraux ‘’trouvent aujourd’hui tout à fait nécessaire et impérieux d’envisager une alternative pour ne pas prendre le risque de rater le rendez-vous électoral du 24 février 2019’’.

Pour Me Madické Niang, au regard des faits, le véritable "suicide" politique serait, pour le Pds, de ne pas avoir de candidat à l'élection présidentielle de 2019. ‘’Contrairement aux accusations qui sont portées contre moi, j'ai voulu redonner espoir à tous les militants désemparés face à l'éventualité d'une élection présidentielle sans un candidat du Pds. Combien de membres de l'opposition radicale se sont ouverts à moi sur l'absence éventuelle d'un candidat du Pds en 2019, estimant qu'elle permettrait à Macky Sall de gagner facilement. Ainsi, j'invite tous ceux qui, dans le parti comme en dehors, sont convaincus de la nécessité d'une candidature alternative, à me rejoindre pour mener ce combat’’, déclare-t-il.

La fronde de Fada

Avant Me Madické Niang, Modou Diagne Fada s’est auparavant frotté au ‘’Pape du Sopi’’. Soutenu par des membres du Comité directeur du Pds et des responsables de la Fédération nationale des cadres libéraux (Fncl) dont Mamadou Lamine Keïta, Abdou Khafor Touré et Pape Birame Ndiaye, entre autres, l’actuel président de Ldr/Yessal (Les démocrates réformateurs) a dirigé une fronde pour exiger le renouvellement du parti de la base au sommet, la refondation de ses textes, la formulation d’une nouvelle offre programmatique et la convocation du Congrès.

Il a, à cet effet, produit un mémorandum signé par plusieurs cadres du parti avant de le remettre à Abdoulaye Wade qui, pour couper l’herbe sous les pieds des frondeurs, a lâché la Commission de discipline de son parti à leurs trousses. Parallèlement, il a recommandé la destitution de Modou Dagne Fada de la présidence du groupe parlementaire libéral. Mais il a vu sa stratégie tenue en échec par son ex-secrétaire national en charge des élections. Soutenu par le régime, Modou Diagne Fada s’est révélé plus stratège que son maître, dans la bataille pour le contrôle du groupe parlementaire des Libéraux et démocrates. Il a, en effet, fait capoter toute l’armada mise en branle par Abdoulaye Wade pour le débarquer de la tête dudit groupe parlementaire afin d’y installer l’ancienne présidente du Conseil départemental de Bambey, Aïda Mbodj, dont le choix sera finalement rejeté par le Bureau de l’Assemblée nationale qui a tranché en faveur du leader des frondeurs.

Un revers que le ‘’Pape du Sopi’’ et ses lieutenants dont Oumar Sarr et Aïda Mbodj n’ont jamais pu digérer. Devant une telle situation, ils ont engagé une bataille juridique et porté l’affaire devant la Cour suprême. Mais ce sera sans suite. Puisque Modou Diagne Fada continuera à présider le groupe parlementaire des Libéraux et démocrates jusqu’en 2016, à un an des élections législatives de 2017, avant de laisser finalement la place à Aïda Mbodj. En perspective de ces joutes électorales d’ailleurs, il lance sa propre formation politique, Les démocrates réformateurs, le samedi 7 mai 2016, à la place du Souvenir africain, devant les 45 délégués départementaux de son parti. C’est d’ailleurs sous la bannière de cette formation politique, renforcée par d’autres partis, dans le cadre de la coalition Mankoo Yessal Sénégal, que Modou Diagne Fada va se présenter aux élections législatives du 30 juillet 2017, au sortir desquelles il obtient un poste de député qu’il occupe depuis lors. Mais, entre-temps, il quitte l’opposition et intègre la mouvance présidentielle pour, dit-il, soutenir la candidature du président Macky Sall à la prochaine élection présidentielle du 24 février 2019.  

La rébellion d’Aïda Mbodj

Après un long bras de fer qui a duré plus d’un an, les libéraux du Parti démocratique sénégalais et leurs alliés finissent par obtenir gain de cause. Aux renouvellements du Bureau de l’Assemblée nationale d’octobre 2016, ils réussissent  à mettre la main sur la présidence du groupe parlementaire des Libéraux et démocrates. Très active dans le combat, Aïda Mbodj est alors désignée par Wade pour remplacer Modou Diagne Fada.

Mais l’entente qu’il y a désormais entre la présidente du Conseil départemental de Bambey d’alors et la direction du Pds ne durera que le temps d’une rose. Les deux parties sont vite allées au clash, lorsque le ‘’Pape du Sopi’’ a décidé d’organiser des primaires au sein du Congrès du parti pour désigner le candidat du Pds. Sentant le coup venir, Aïda Mbodj est vite entrée en rébellion contre la direction du parti. Dans un contexte politique où beaucoup de ses lieutenants se trouvaient derrière les barreaux, l’idée d’organiser des primaires n’enchantait pas l’ex-maire de Bambey qui a manifesté toute sa désapprobation au cours d’une conférence de presse organisée à cet effet à Dakar.

‘’Ma conviction est que la décision prise par le Comité directeur, alors que j’étais en tournée dans le sud du pays pour élargir les bases de notre parti, est inopportune et insidieuse. Elle intervient dans un contexte particulièrement difficile pour le Pds avec plusieurs de ses responsables injustement maintenus en prison pendant que d’autres sont sous la menace de poursuites. J’invite le parti à privilégier davantage la dynamique unitaire et à éviter tout ce qui peut jouer les brandons de la discorde et/ou favoriser l’affirmation d’ambitions personnelles’’, avait-elle déclaré.

Malgré ses vociférations et autres cris d’orfraie, le Pds tient tout de même son Congrès et désigne Karim Wade comme son candidat. Frustrée, Aïda Mbodj claque la porte du parti et remet en selle son mouvement : l’Alliance nationale pour la démocratie/And Saxal Liggey lancé en 2014 pour, disait-elle, contribuer à la massification du Parti démocratique sénégalais.

Désormais en rupture de ban avec la direction de son parti, elle se lance dans la campagne électorale pour les législatives de 2017 et parvient à avoir un poste de député qu’elle occupe depuis lors à l’Assemblée nationale.

ASSANE MBAYE

 

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