Publié le 25 Apr 2017 - 00:12
PRESIDENTIELLE FRANÇAISE - CHEZ MACRON

«J’aime bien dans les films quand les gentils gagnent à la fin» 

 

Au Parc des expositions de Paris, où le candidat d'En marche organisait sa soirée électorale, les militants ont fêté son arrivée en première position comme s'il avait déjà gagné l'élection.

 

S’il se disait dans un «brouillard serein», Emmanuel Macron avait vu les choses en grand, et l’histoire lui aura donné raison. Un pavillon entier du Parc des expositions de Paris, d’une capacité de 3 500 personnes, plus d’un millier de journalistes accrédités, dont 600 pour la presse étrangère, et une armada de «helpers». Noyé dans la masse, des militants choyés (broches, tee-shirts, sacs en toile et drapeaux tricolores et européens à volonté) à la liesse télécommandée - ce qui ne l’empêche pas d’être sincère. Une foule générationnellement bien répartie, relativement métissée et bien mise, en uniforme de cadre «casual friday» – rarement aura-t-on vu autant de chemises en jean et de blazers bleu marine au mètre carré. Il semblerait qu’une personne sur trois ait un projet «digital» sur le feu.

Il est 18h30. Sous le pupitre où Emmanuel Macron doit s’adresser à la foule, on croise Raphaël, entrepreneur de 36 ans qui rêve «d’enfin dépasser le clivage-gauche droite». Il se dit «tendu». Pas à l’idée que Macron ne soit pas au deuxième tour, mais à celle que Mélenchon pourrait l’accompagner. «Marine Le Pen, ce serait vraiment l’idéal, dit-il. Enfin, façon de parler.» A ses côtés, Maud, informaticienne de 36 ans, est là «pour l’Europe». On discute ensuite avec Darius, 47 ans, au passé militant aussi long que tortueux. Depuis 1989, il a fait campagne pour Simone Veil, Michel Rocard, Lionel Jospin et Ségolène Royal. «Au fond, je suis "rocardo-barriste". Donc Macron, c’est pile-poil pour moi», dit cet avocat fiscaliste reconverti dans le «marketing digital». Jusqu’à présent, ses inclinations centristes n’ont jamais été récompensées. Ça pourrait changer ce soir.

A cinq minutes des premières estimations, on croise l’académicien Erik Orsenna, basket New Balance aux pieds, avec son habituelle moue de hibou tombé de sa branche. «Je ne peux pas vous parler, j’attends là, j’attends!» L’académicien veut vivre la victoire au milieu des militants. Alors que la silhouette d’Emmanuel Macron apparaît à l’écran à côté de celle de Marine Le Pen, il est servi. Une Marseillaise est entonnée, on entend des «on a gagné».

«Oui, on est un cliché !»

Stéphanie, cadre juridique lyonnaise d’une quarantaine d’années, a pourtant les yeux humides. «Voir Marine Le Pen à ce niveau, je ne peux pas.» Catholique, («mes enfants sont aux scouts !») elle a toujours voté à droite, a soutenu Juppé à la primaire. «Mais Fillon et les affaires, c’était pas possible.» Son ami Nathalie, cheffe d’entreprise, ajoute : «Et Sens commun, c’était la goutte de trop.» Les deux femmes se disent «libérales» et pro-européennes. Leur crainte : qu’aux législatives, «chacun retourne au bercail et fasse s’effondrer ce projet…» Léa et Benjamin, un couple d’entrepreneurs dans le Web («oui, on est un cliché !») se disent eux aussi attristés par le score de la frontiste. «C’est mieux pour notre camp, mais on n’est pas des cyniques.» La «bienveillance», vertu macroniste entre toutes, toujours. A l’écran, Benoît Hamon appelle à voter Macron – applaudissements nourris. Puis c’est le tour de Bernard Cazeneuve et enfin de François Fillon. Il y a un petit côté Eurovision à la séquence, façon «Macron, five points», avec vivats de la salle à chaque appel au «barrage contre l’extrême droite».

Un peu plus loin, on croise Aurore Bergé, ex-cadre de la campagne de Juppé passée chez En marche. Elle parle bien sûr du «barrage sanitaire» au FN mais aussi du besoin de défendre «l’adhésion au projet. Sinon, on va se faire confisquer la victoire aux législatives». Elle sourit en disant que cette semaine, et surtout ce soir, elle a reçu pas mal de SMS de ses anciens camarades. Finalement, quitter les Républicains n’était pas un si mauvais choix. «Il faut rassembler, mais il faut avoir de la mémoire», sourit-elle.

Macron, «pas pollué»

Il est presque 22 heures et Emmanuel Macron se fait désirer. Comme lors de ses meetings, on se croirait dans une boîte de nuit en 2011 (datation au carbone 14 des tubes diffusés). Rihanna vocalise : «We found love in a hopeless place» («on a trouvé l’amour dans un endroit sans espoir») – message subliminal? On tombe sur l’écolo-libérale et ex-ministre chiraquienne Corinne Lepage. Elle est heureuse de la pole position de son champion, «surtout pour l’image de la France à l’étranger». Macron a fait en un an ce qu’elle essaye de faire depuis vingt ans : «Il faut s’en réjouir, que dire d’autre ?»

Jean Arthuis, député européen UDI jusqu’à ce qu’il soutienne Macron («après, je me suis fait virer !»), est accoudé à la barrière qui sépare les médias des VIP. Il ne veut pas parler de hold-up du siècle, «trop négatif». Mais c’est l’idée. Le centriste préfère se féliciter du changement de paradigme : fini le droite-gauche selon lui, l’opposition est maintenant entre repli et ouverture. Macron, un centriste donc? «Euh, disons, un moderne. Et c’est bien qu’il n’ait pas eu d’expérience électorale. Il n’a pas été pollué par la complaisance qui va généralement avec les parcours politiques.»

Jean-Paul Huchon est là aussi. L’ex-président socialiste du conseil régional de l’Ile-de-France ne fait pas de sentiments : «Je pense que le PS a fait son temps, il n’a plus vraiment d’utilité sous sa forme actuelle, dit-il. On le voit bien avec le score calamiteux de Hamon, qui n’est que justice après la gestion médiocre de ce parti depuis quinze ans.» Pour le reste, Huchon est content : «J’aime bien dans les films quand les gentils gagnent à la fin.» Zoumana Touré se présente à nous comme le «référent diversité» d’En marche, «fier, soulagé et confiant dans l’avenir». Le score de Marine Le Pen? «Un non-événement», répond le militant, qui préfère croire à une adhésion massive au projet de son candidat. Sur les écrans, on voit l’ex-banquier propulsé au second tour de la présidentielle sortir de son QG, V de la victoire et poing levé.

«Brigitte, Brigitte, Brigitte !»

22 heures. La garde rapprochée d’Emmanuel Macron commence à former une haie d’honneur, bras dessus, bras dessous. Il y a la famille Trogneux, les grands enfants de sa femme Brigitte, les Bercy boys et son équipe de campagne. Jean Pisani-Ferry affiche un sourire de bonze oriental, sac dos nonchalamment porté sur une épaule comme s’il venait de terminer une randonnée. Echarpe blanche autour du cou et écouteur à une oreille, Ismaël Emelien, l’éminence grise macroniste, sourit rapidement avant de replonger sur son téléphone portable. Comme s’il téléguidait quelqu’un. On se fait la bise, on s’embrasse, mais les effusions restent mesurées.

22h17. Macron apparaît. Il monte sur scène, à l’américaine, c’est-à-dire en couple, avec Brigitte Macron, tailleur gris et talons hauts. Le candidat lève les deux bras. Son épouse en soutien un, comme si Macron était un boxeur qui vient de gagner par KO. Le message est clair, comme avec les Clinton en 1992 (autres icônes de la «troisième voie»), c’est un couple qui l'a emporté, même si Brigitte Macron fait signe avec les mains, en mode «non, non, je vous jure, ce n’est pas moi la star». Elle va s’asseoir à côté de la scène avec ses deux filles. Les trois blondes se font mitrailler par leur paparazzi maison de l’agence photo Bestimage, pendant qu’Emmanuel Macron se lance dans son discours. Quand il la mentionne, la foule scande «Brigitte, Brigitte, Brigitte!».

Marie-George, start-uppeuse de 29 ans, adore le fait que Macron ait une femme de plus de vingt ans son aîné. «Vous imaginez la force de conviction de cet homme face au qu’en-dira-t-on ? Politiquement, il tiendra.» Brigitte Macron comme référence politico-féministe? «Ce sera une présidence à deux têtes, enfin c’est comme ça que je le comprends. Ce couple symbolise l’idéologie d’Emmanuel Macron, le fait qu’on peut dépasser les clivages, la norme.»

«Pas une lubie»

L’ex-ministre de l’Economie fait applaudir les candidats défaits du premier tour, ce qui lui évite de mentionner Marine Le Pen. Il déroule un discours lisse, toujours un brin évangéliste («vous les marcheurs, vous avez fait mentir les assis») et avide en oxymores plus ou moins poétiques (voire à deux doigts de la contrepèterie foireuse), comme lorsqu’il évoque la «joie grave et lucide» qui «l’habite». Macron donne l’air de déjà savourer la victoire, d’enjamber le second tour. En marche, se félicite-t-il, n’est donc «pas un rêve, une lubie ou une bulle, mais une volonté acharnée et bienveillante». Il se projette dans les législatives, veut «construire une majorité de gouvernement. Chacune et chacun peut y avoir sa place». Un référent souffle, «Ah là-dessus, on a du boulot…»

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