Publié le 18 Jan 2019 - 03:47
PRESIDENTIELLE, PARRAINAGE, JUSTICE, ASSISES…

Le grand ‘’Ndeup’’

 

Il est rare que la société civile et les politiques se retrouvent pour une exégèse de la démocratie sénégalaise. Pourtant, c’est ce qui se passe, depuis hier, à travers un forum citoyen sur le thème ‘’Construction d’une démocratie post-électorale : la réforme des institutions comme condition de possibilité du renforcement de la République, de la démocratie, de l’Etat de droit et des droits humains’’. A l’issue d’échanges et de réflexions de deux jours, il est attendu des propositions pour améliorer la démocratie sénégalaise qui s’achemine vers un rendez-vous majeur : la présidentielle du 24 février.

 

S’inscrivant dans une dynamique de construction de la démocratie post-électorale au Sénégal, Afrikajom, en partenariat avec la fondation allemande Friedrich Ebert Stiftung, a choisi le forum citoyen pour réfléchir, durant deux jours, à la démocratie sénégalaise. L’enjeu est de soumettre aux candidats à la présidentielle de février prochain une déclaration comprenant les recommandations issues des échanges des acteurs de la société civile, des partis politiques ainsi que des autres couches de la société sénégalaise. Ces derniers devront, selon le fondateur d’Afrikajom, Alioune Tine, s’engager à respecter ces recommandations, après l’élection présidentielle. 

Des débats, il ressort que la démocratie dans un pays passe par des institutions fortes et indépendantes. C’est en ce sens que le sous-thème portant sur ‘’Une Assemblée nationale émancipée de l’Exécutif et au service de l’intérêt général’’ a eu le mérite de délier les langues et de mettre à nu plusieurs anomalies dans le fonctionnement de cette institution. En dépit du fait qu’elle coûte cher au contribuable (8 vice-présidents et 6 secrétaires généraux recevant tous 2 millions de francs Cfa et 1 000 l de carburant, ainsi que 2 véhicules), les acteurs estiment qu’il faut revoir son fonctionnement.

Selon Cheikh Omar Sy, ancien député à l’Assemblée nationale, l’Exécutif a toujours la décision finale. La culture parlementaire en elle-même refuse la transparence dans sa gestion financière. Pour preuve, la transparence dans la gestion du budget de fonctionnement n’est pas de mise. ‘’Aucun président d’Assemblée nationale n’accepte de répondre à certaines questions de contrôle budgétaire’’, dit-il.

A sa suite, plusieurs intervenants se sont accordés pour décrire un parlement purement politique dont la plupart des députés sont présents par la simple volonté du président de la République. Dès  lors, la mission première du député consistant à représenter le Sénégalais lambda et de défendre l’intérêt général perd tout son sens.

Une institution bien loin de sa mission

Il apparaît donc que la représentativité populaire au sein de l’Assemblée nationale est la condition fondamentale pour asseoir la démocratie. ‘’Je suis député du président, d’un parti politique. Donc, mon travail consiste juste à faire passer des lois du président’’, souligne Mamadou Mignane Diouf, Coordonnateur du Forum social. Qui ajoute que ‘’le Parlement doit normalement constituer une entrave au pouvoir Exécutif qui en fait un machin et non une institution’’.

Pour d’aucuns, c’est le système d’élection du député sénégalais qu’il faut revoir. En effet, l’essentiel du Parlement et de son action sont concentrés dans la région de Dakar, ce qui provoque un sentiment de non appartenance des Sénégalais aux fins fonds du pays. Cheikh Omar Sy estime que ‘’pour porter la voix du peuple, il faut créer des assemblées parlementaires régionales qui seront proches des populations et établiront un budget local, en fonction des besoins de la région’’. Ainsi, les citoyens sénégalais de Fongolembi, de la Casamance ou du Fouta ne seront plus lésés.

A l’heure où les esprits sont tournés vers l’élection du 24 février, le 18 janvier prochain, l’Assemblée nationale va procéder au vote du Code pétrolier. Un document important qu’elle n’a même pas pris la peine d’analyser sérieusement. Un constat qui fait dire à l’ancien député que la ‘’signature de loi ne doit plus se faire à l’approche des échéances présidentielles, parce que cela fausse toute la procédure’’.

Un processus électoral décrié

Les candidats recalés à l’élection présidentielle n’ont pas mâché leurs mots quant au processus électoral qu’ils jugent anti-démocratique. D’une part, Mame Adama Guèye trouve que le ‘’Sénégal n’est pas un pays démocratique’’. ‘’Réveillons-nous et acceptons la vérité. Le président concentre en lui seul tous les pouvoirs. Plus rien ne marche correctement dans ce pays. Tous les secteurs sont politisés’’, a-t-il fulminé. Avant qu’Aminata Tall Sall ne parle ‘’d’une responsabilité partagée’’. ‘’Nous avons, dit-elle, accepté le parrainage, sans même comprendre comment fonctionne les logiciels de vérification des listes’’.

Pour beaucoup, la politique de la chaise vide adoptée par l’opposition, lors du vote, à l’Assemblée, de la loi sur le parrainage, a été déterminante. Elle aura permis au pouvoir en place d’asseoir cette loi sans aucune embûche.

Cependant, Alioune Tine, fondateur d’Afrikajom, pense que, dans le fond, le parrainage est bénéfique pour le Sénégal. ‘’D’une centaine de candidats, nous sommes passés à 25 ; je pense que c’est à saluer. Néanmoins, on ignore clairement par quels mécanismes nous en avons aujourd’hui 5. Ces failles sont le fruit d’un manque de discussion, d’un manque de concertation’’. Il invite donc à réinventer l’idée du parrainage, en associant à son élaboration toutes les couches de la société sénégalaise.

La Cedeao, un exemple oui, mais avec des limites

Comment tirer profit des règles établis par la Cour de justice de la Cedeao en matière de droits humains ? En effet, l’institution, à travers le Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance, un traité international, promeut le respect de l’opposition, des élections fiables, un fichier électoral régulièrement contrôlé ainsi que l’indépendance de la justice.

Toutefois, ces règles constitutionnelles n’existent que de noms, car non appliquées par les Etats membres.

Cependant, aux yeux d’Alioune Sall, ancien juge à la cour de la Cedeao, tout n’est pas perdu, puisque l’accès à la cour est désormais facilité. Toute personne peut la saisir sans passer par l’Etat, comme auparavant. Aussi, son champ d’exercice s’étend à la personne morale en plus de la personne physique. ‘’La cour a le pouvoir d’aller à l’encontre d’une décision juridique nationale, condamner un Etat, si elle juge que le droit n’a pas été dit’’, explique-t-il. En rappelant la suprématie des décisions de la cour de la Cedeao sur la Constitution, Alioune Sall pense que le problème, aujourd’hui, se pose au niveau de l’exécution des décisions.

Si cette cour représente le sommet en termes de loi dans le baromètre international, elle peine cependant à faire respecter ses décisions aux Etats. Le respect de ces textes doit venir, selon lui, d’une mobilisation nationale. Ce qui fait dire à Kader Boye, ancien recteur de l’Ucad, que ‘’c’est aux Etats de se mettre au diapason de ce qu’ils ont eux-mêmes créé. Il faut qu’ils soient sincères avec eux-mêmes’’.

L’autre aspect limitant l’action de la cour en faveur du respect des droits humains, n’est autre que l’indemnisation strictement pécuniaire du plaignant. Pour certains, c’est un dédommagement ‘’assez léger’’ qu’on devrait repenser.

La société civile à l’heure du bilan

Les précédentes assises nationales font encore couler beaucoup de salive. Si certains membres de la société civile affirment avoir été leurrés par le régime en place, n’ayant pour objectif que la disqualification de certains candidats à l’élection présidentielle, d’autres jugent qu’elle a été un véritable exploit, en termes de proposition dans une démarche inclusive. Selon le professeur d’histoire Bouba Diop, ‘’au cours de ces assises, les politiciens étaient plus préoccupés à nous faire accepter l’âge limite (70 ans) pour être président au Sénégal’’.

D’un autre côté, beaucoup estiment que c’est la société civile qui n’a pas respecté les engagements pris, lors de ces assises. Aucun suivi n’a été fait et le pouvoir en a tout simplement profité. ‘’Au Sénégal, toujours, ce sont les mêmes beaux discours qui se tiennent, mais dans l’application, c’est le vide total. Il faut plutôt qu’on cherche à comprendre pourquoi les violations du droit des Sénégalais se répètent, malgré nos multiples rencontres’’, déclare Moussa Mbaye, représentant d’Enda/Tiers-monde. ‘’Au lieu de mettre l’accent sur comment gouverner, nous appuyer sur la question de savoir qui va gouverner’’.

Abondant dans le même sens, la journaliste Diatou Cissé a tenu à poser des interrogations : ‘’Comment en est-on arrivé au point qu’aujourd’hui, la démocratie soit seulement l’apanage du politicien ? Où se trouve le reste de la société ? Où sont passées l’éducation et la mobilisation citoyenne ?’’ A son avis, l’essence même de la démocratie réside dans la connaissance du citoyen de ses devoirs, mais aussi de ses droits, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Selon ses membres, la société civile apparaît affaiblie depuis le mouvement du 23 juin, car aucune demande ni exigence n’a suivi cet épisode. ‘’Nous nous sommes réunis pour manifester, après, plus rien’’, constate Sadikh Niasse, Secrétaire général de la Raddho.

EMMANUELLA MARAME FAYE

 

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