Publié le 24 Apr 2019 - 16:53
PROCÉS DE ‘’THIANTACOUNES’’

Les talibés jugés sans leur guide

 

Le procès du guide des ‘’thiantacounes’’ et ses 19 disciples et co-inculpés, dans l'affaire du double meurtre de Madinatoul Salam, s’est ouvert, hier, au tribunal de grande instance de Mbour.

 

Béthio Thioune, Cheikh Faye, Serigne Khadim Seck, Mamadou Hanne dit ‘’Pape’’, Demba Kébé, Aziz Mbacké Ndour, Serigne Saliou Barro, Pape Ndiaye, Ablaye Diouf, Alassane Ndiaye, Samba Ngom, Mame Balla Diouf, Mamadou Guèye, Aliou Diallo, Al Demba Diallo, Momar Talla Diop, Samba Fall, Mouhamed Sène, Adama Sow et Aly Diouf sont accusés d’avoir, le 22 avril 2012, formé une association ou établi une entente dans le but de préparer ou de commettre un ou plusieurs crimes ou délits.

Hormis, leur guide religieux Béthio Thioune, absent pour des raisons de santé, les dix-neuf autres accusés ont comparu, hier, au tribunal de grande instance de Mbour, pour répondre des délits de meurtre avec usage d’acte de barbarie, complicité desdits homicides aggravés et association de malfaiteurs, recel de cadavres, inhumation sans autorisation administrative, non dénonciation de crimes, détention d’armes sans autorisation et de recel de malfaiteurs. Il est établi que seul Alassane Ndiaye, chauffeur de la première femme de Béthio Thioune, n’a pas joué un rôle dans la bagarre. Sa présence se justifie par le fait qu’il était venu déposer sa patronne, dans le cadre des ‘’thiants’’ qu’organise Béthio Thioune pour célébrer sa rencontre avec Serigne Saliou Mbacké.

Pour rappel, Bara Sow, accompagné d’une forte délégation, s’était rendu à la résidence de Béthio Thioune pour renouveler son allégeance à son marabout qui l’avait banni des siens. Ils sont arrivés devant le domicile de Béthio, entonnant des ‘’khassaides’’. Mais, rapidement, des échauffourées ont éclaté, au cours desquelles Bara Sow a été extirpé de la foule et introduit dans la résidence de Béthio Thioune. Là-bas, il a été sauvagement battu, avant d’être jeté comme un malpropre. Puis, des talibés sont sortis de la résidence, armés de gourdins et de coupe-coupe. Ils ont pris en chasse les accompagnants de Sow. Sur ces entrefaites, quatre coups de feu ont été tirés. L’un atteint Babacar Diagne qui s’est affalé.

Les talibés ont caché les deux corps derrière la maison de leur guide. Ils ont attendu la tombée de la nuit, pour enterrer les corps. L’arme à feu a été dissimulée sur un chantier de leur guide qui, selon leurs dires, n’a pas été informé de ces faits.

L’absence de Béthio Thioune cristallise les débats

Hier, l'absence de Béthio Thioune n’a pas plu, provoquant des exceptions. Ses avocats ont présenté au juge un certificat médical qui atteste de l'état de santé du guide des ‘’thiantacounes’’. Dans le dossier médical présenté au juge, il est écrit que : ''Son état de santé général ne lui permet pas de faire le voyage de Bordeaux au Sénégal.'' Selon le juge Thierno Niang, ''ces propos ne renseignent en rien sur l'état de santé du mis en cause''. Estimant que les pièces versées au dossier n’indiquent pas sur l’état de santé de Béthio, le juge a décidé, après consultation, de juger l'absent le plus présent par contumace.

Un Pv glaçant

Il résulte des éléments de l'enquête contenus dans le procès-verbal que Béthio Thioune avait prononcé une interdiction formelle de la présence de Bara Sow à Madinatoul Salam. Il a, de ce fait, donné l'ordre à ses talibés de ne plus l'admettre dans ses résidences. Cette décision s'explique du fait que Bara Sow était un dissident qui avait un comportement injurieux envers son guide Serigne Saliou Mbacké et sa famille. Toujours dans la lecture du procès-verbal, il est écrit que Béthio Thioune avait affirmé que Bara Sow risquait de se faire tuer par ses talibés, à cause de son comportement. Il avait aussi précisé au cours de l'enquête ''qu'il serait le premier à le tuer''.

Ainsi, pour le parquet, l'attitude de Béthio Thioune, durant tous les évènements ayant conduit au double meurtre, démontre à suffisance qu'il a, non seulement provoqué, aidé ou assisté matériellement et moralement ses disciples à commettre les deux meurtres.

Que l'absence de réaction de Béthio Thioune, pendant le déroulement des évènements dans son propre domicile, alors qu'il est bien informé, démontre aussi, de sa part, un acquiescement des actes criminels perpétrés par ses disciples. D'ailleurs, les victimes étant des dissidents et des réfractaires parmi les ‘’thiantacounes’’, cela illustre le consentement de Béthio Thioune. Il ressort toujours du procès-verbal que Béthio Thioune avait armé tous ses talibés de gourdins et qu'ils n'hésitaient pas à proférer des menaces avec. Et que, malgré ses dénégations, il est avéré que les talibés ont agi sur instruction de Béthio Thioune, dont il voulait démontrer leur dévouement sans faille. Pis, que Béthio Thioune a remis à Khadim Seck le fusil qui a servi à tuer Babacar Diagne dit ‘’Pape Diagne’’.

Les talibés ont fait du ‘’barkelou’’ sur Bara et Babacar

Samba Ngom a précisé qu'il avait gardé l'arme de type revolver P22 dans le véhicule de Béthio qu'il conduisait, avant de la donner à son tour à sa belle-mère, six mois avant les élections. Serigne Saliou Barro, sur ordre de Béthio Thioune, est allé déposer à la brigade de Touba qui a procédé à son interpellation, l’arme qui lui a été confiée. Dans le procès-verbal, il est aussi dit que le guide avait soutenu que son degré de spiritualité ne lui permettait pas de voir du sang. La majorité des détenus accuse Demba Kébé d’être l’instigateur de toute la violence qui a emporté les deux jeunes. 

Au cours, des débats d’audience, il est ressorti que Béthio Thioune avait des talibés appelés ‘’commandos’’. En effet, ces derniers faisaient tous les travaux que leur marabout demandait. Ainsi, le jour des faits, en entendant ‘’Aux commandos !‘’, les talibés se sont rués sur la délégation de Bara Sow et compagnie, sans savoir de quoi il retournait. Certains ont escaladé les murs pour aller prêter main-forte aux talibés du guide.

C’est le cas d’Adama Sow qui raconte avoir poursuivi les accompagnants de Bara Sow. A leur retour au domicile de Béthio, certains continuaient à tabasser Bara Sow et Babacar Diagne, qui gisaient sur le sol, disant faire du ‘’Barkelou’’.

‘’Diawrigne’’ Cheikh Faye : ‘’J'ai 5 femmes et 17 enfants’’

Bien qu'il y ait eu bagarre, des jets de pierres, une course-poursuite, l’utilisation d’armes (machettes, gourdins, etc.)  puis meurtre et enterrement sans autorisation, aucun des accusés n’a reconnu, devant la barre, avoir donné un coup à Bara Sow, ni tiré sur Babacar Diagne. C’est le cas de Cheikh Faye, le ‘’diawrigne’’ qui était en compagnie de Béthio Thioune, au moment des faits. Il révèle : ''J’ai 49 ans. J'ai 5 femmes et 17 enfants. J'étais un antiquaire, avant de faire la rencontre de Béthio Thioune, en 2003. Avant de le rencontrer, j'ai fait des choses inimaginables. J'ai bu de l'alcool, j'ai fumé du chanvre indien. Je sortais avec de vieilles Européennes. C’est grâce au cheikh que j’ai arrêté tout cela.’’ Ces précisions faites, il a appris à la cour qu’il n’est pas étranger aux déboires de Bara, puisqu’il fait partie de ceux qui se sont plaints auprès du guide du sieur Sow.

‘’Ce n’était pas la première fois que j’appelais le commandant pour me plaindre de Bara Sow. J’ai reçu un message qui disais : ‘Sors vite.’ Je ne suis pas sorti, parce que je pensais qu’on voulait me taquiner sur la lutte, car mon lutteur avait été battu. Quelques instants après, j’ai entendu des cris ; je suis sorti pour m’enquérir de ce qui se passait. Et j’ai remarqué des jets de pierres. J’ai demandé ce qui se passait ; on m’a dit que c’était encore Bara Sow qui créait des histoires. Je suis alors retourné dans le salon du cheikh. Il m’a demandé ce qui se passait et je lui ai dit que c’était encore Bara qui créait des problèmes. Il a voulu sortir. Je l’ai retenu, en lui disant de ne pas s’inquiéter, que c’était sous contrôle et que j’avais déjà appelé le commandant de la gendarmerie. Nous sommes alors sortis faire un tour dans deux chantiers du cheikh’’.

Dénégations en série

Pape Ndiaye, né en 1976, a fait allégeance à Béthio Thioune depuis 1999. Il soutient : ‘’J’étais au chantier. J’ai laissé la clé du tracteur à un de mes apprentis. Je suis allé chez le cheikh pour récupérer l’argent pour le gasoil. A mon arrivée, j’ai entendu des cris, je pensais que c’était à cause de la lutte. J’ai demandé après le cheikh, on m’a dit qu’il s’était retranché dans son salon, que je ne pouvais le voir. J’ai vu Bara et ses accompagnants être repoussés par des talibés du cheikh.’’ Il soutient qu’il n’a pas entendu de coups de feu. Il nie avoir participé à la bagarre, ainsi qu’à l’enterrement des victimes.

Après avoir passé deux ans à la faculté de Droit, Abdoulaye Diouf est devenu ferrailleur et s’était installé à Madinatoul Salam. Au moment des faits, il travaillait dans les chantiers de Béthio. Etant donné qu’il s’agissait d’une bagarre, il ne voulait pas se rendre sur les lieux les mains vides. Il s’est emparé de son gourdin afin de se défendre. Il a poursuivi les talibés qui accompagnaient Barra Sow. De retour au domicile de Béthio, il a trouvé des talibés de son guide autour de deux corps. ‘’Je fais partie de ceux qui ont creusé le trou, de même que Balla Diouf, Adama Sow, Mohamed Sène et Mohamed Diouf. Moussa Dièye conduisait la charrette qui a amené les corps’’, a-t-il déclaré.

Même ligne de défense pour Samba Fall qui explique qu’ayant entendu des cris, il s’est précipité dehors. ‘’J’ai ramassé la manche d’une pelle et je me suis rendu sur les lieux’’. ‘’Tu l’as utilisé sur qui ?’’, a demandé le juge. ‘’Personne’’, a-t-il répondu. Mais à son arrivée, poursuit-il, il y avait déjà deux corps qui gisaient par terre. ‘’Après avoir repoussé la foule, nous les avons cachés derrière la maison du Cheikh. Sur place, j’ai eu de violents maux de tête et je suis tombé dans les vaps. Je n’ai pas pu assister à l’enterrement’’, dit-il.  

Moussa Dièye a, lui, expliqué faire partie des commandos. ‘’Quand ils m’ont informé de l’enterrement de deux personnes, je me suis engagé à les accompagner. Sans connaitre ce qui s’était réellement passé. Notre erreur a été de les enterrer sans autorisation’’, a-t-il déclaré. Refusant catégoriquement avoir assisté à la séance de baston.  

Devant cette série de dénégations, une projection de photos a été demandée par le procureur Youssoupha Diallo. Mais les prévenus ne se sont pas départis de leur ligne de défense faite de dénégation.

Finalement, l’audience a été suspendue, car les détenus ont laissé entendre qu’ils n’avaient pas mangé de toute la journée et qu’ils risquaient de rater le diner. L’audience se poursuit ce mercredi.

KHADY NDOYE [MBOUR]

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