Publié le 22 Jan 2015 - 22:06
PROCES CREI

L’affaire se corse pour les prévenus 

 

La situation est de plus en plus délicate pour les accusés dans l’affaire d’enrichissement illicite et de corruption jugée devant la Crei. La poursuite des débats, en l’absence de la défense, fragilise davantage Karim Wade et compagnie.

 

Albert Paye est un Janus. Le terme, qui désigne une personne à double identité, sied bien à la confusion de l’audience d’hier. Toute la matinée et une partie de l’après-midi se sont écoulées dans des débats pour démontrer que Pape Mamadou Pouye et Albert Paye sont une seule et même personne. Certitudes de la partie civile et du témoin, dénégations démonstratives du prévenu, l’identité de la personne qui s’est cachée sous le pseudonyme d’Albert Paye est sujette à interprétations.

Est-ce Ibrahim Aboukhalil dit Bibo ou Pape Mamadou Pouye ? Le témoin, Coumba Diagne, belle-sœur du prévenu Alioune Samba Diassé, a été péremptoire. Albert Paye est le faux nom qu’a utilisé le prévenu Mamadou Pouye pour entrer en contact avec elle. Et elle ne s’en est rendu compte qu’après le déclenchement des poursuites pour enrichissement illicite et corruption. ‘‘C’est quand je suis allée à l’identification, à la section de recherches de Colobane en 2013, que j’ai su qu’il s’appelait vraiment Mamadou Pouye’’, a affirmé avec ‘‘certitude’’ l’informaticienne de formation.

En vacances au Sénégal en 2009, ses compétences bilingues français-anglais sont requises. Elle doit servir d’interprète à un Allemand, Florian Mahler, dans la constitution des sociétés Daport sa et Afriport sa. La prestation finie, Coumba Diagne reçoit 600 000 francs comme honoraires, des mains de son beau-frère au téléphone avec quelqu’un. Le mystère est entier sur cet interlocuteur au bout du téléphone. A en croire Alioune Samba Diassé, ‘‘c’était Ibrahim Aboukhalil’’. ‘’Il m’a demandé de lui prêter cette somme pour payer les services de Coumba Diagne’’, a dit le co-prévenu lors de sa confrontation avec sa belle-sœur.

Ainsi, après ce travail d’interprétariat, la dame s’est vu proposer d’intégrer la société, en tant qu’administratrice. ‘‘Après avoir lu et signé les statuts chez la notaire, Me Tamaro Seydi, Albert Paye m’a dit qu’on va enlever mon nom, car j’étais la seule Sénégalaise parmi des Allemands : ‘Quand les choses vont démarrer, on va remettre votre nom’. Ce que j’ai trouvé bizarre’’, déclare-t-elle. Coumba Diagne qui s’est sentie ‘‘utilisée’’ plutôt que ‘‘manipulée’’ dit n’avoir rencontré Albert Paye qu’à cette occasion. Selon elle, son nom n’aurait jamais été enlevé et aurait servi aux manœuvres frauduleuses qui valent aux prévenus leur détention.

‘‘Je ne suis le prête-nom de personne. Je ne connais pas Karim Wade’’, déclare-t-elle. Accablant le prévenu, elle a donné même l’adresse mail à partir de laquelle Albert Paye lui envoyait des instructions. Ce qu’a récusé Pape Mamadou Pouye. Ce dernier ne nie pas avoir comme surnom Albert qui lui colle à la peau, depuis son séjour en France. Par contre, il conteste vivement le nom Paye, ainsi que l’adresse e-mail albertpaye@gmail.com et les numéros de téléphone 776438082  et 776442332.

Pendant la confrontation, Coumba Diagne a été moins tranchante sur des interpellations essentielles du prévenu. ‘‘Quand et comment alliez-vous rejoindre Daport et Afriport ? Y êtes-vous actionnaire ? Avez-vous reçu des ordres dans le sens de la finalisation de l’acte de la société ?’’. Des questions sur lesquelles le témoin n’a apporté aucune réponse explicite, allant même jusqu’à déclarer : ‘‘C’est contradictoire, mais dans cette affaire, rien n’est normal.’’ Tout ce qu’elle déclare avec certitude est que ‘‘Albert Paye et Mamadou Pouye sont une seule et même personne’’.

Devant la commission d’instruction de la CREI, Karim Wade avait accusé le substitut du procureur d’entretenir des relations proches avec ce témoin à charge. ‘‘Je vous ai vue une fois en 2013, une fois en 2014 et une fois hier (avant-hier). C’est archi faux, il n’y a absolument rien entre nous. Je ne sais pas d’où il tient ces informations’’, s’est défendue Coumba Diagne.

Les liaisons coupables de Ahs

Le témoignage des deux comptables, Paul Sarr et Ely Manel Diop, n’auront pas rendu grand service aux prévenus. Des dépositions qui ont mis à nu les entorses dans la création et la gestion de l’entreprise Aviation handling service (Ahs). Une connivence troublante entre les prévenus Karim Wade, Pape Mamadou Pouye, Ibrahim Aboukhalil et la tutelle du transport aérien de l’époque a été établie par les deux témoins de l’après-midi. Dans le témoignage du premier cité, il ressort que la société a été constituée sur demande d’Ibrahim Aboukhalil dit Bibo, avec 10 millions de Fcfa et trois actionnaires que sont Paul Sarr 10 %, sa sœur Germaine Sarr 5 %, et Jerry Guerdhian 85 %. Les statuts ont été faits par Bibo lui-même, évoquant des motifs de ‘tricherie’ pour ne pas apparaître dans la constitution de la société.

Cependant, l’augmentation du capital d’un quart de milliard va faire quitter le témoin. ‘‘Ibrahim Aboukalil m’a donné 250 millions en espèces pour que je le verse dans un compte à la SGBS. J’ai lui ai dit que je libérais mes actions, car cette somme de 26 millions (Ndlr : 10% d’actions) était trop. Je ne voulais pas être esclave de l’argent. J’ai fait une décharge pour céder gratuitement mes actions chez le notaire, en 2003. Ma sœur aussi a cédé, comme moi’’, a souligné Paul Sarr. Ici, la partie civile a voulu connaître la réaction de la banque. ‘‘Elle n’a rien dit. Il y avait plusieurs personnes comme moi qui venaient déposer des sommes astronomiques’’, a-t-il répondu.

Une déposition corroborée par Ely Manel Diop. Le comptable, condisciple de Karim Wade à l’école franco-sénégalaise de Fann et de Mamadou Pouye aux Cours Sainte Marie de Hann, était gestionnaire de la société sur demande du fils de l’ancien président. Cette augmentation de capital s’explique par le désir des actionnaires de gagner le marché du handling à l’aéroport. ‘‘Pour déposer à un appel d’offres, il faut au moins 250 millions, selon la loi’’, affirme le témoin. Il apparaît dans sa déposition que des moyens détournés ont été utilisés. ‘’Ahs devait avoir un partenaire technique reconnu dans le domaine de l’aviation pour opérer.

Elle a choisi Menzies Aviation pour plus de crédibilité. Ce qui correspond aux départs en cascade des trois actionnaires précités de Ahs ». « Il semble qu’à l’intervention de Menzies Afrique dans le capital, les autres sont sortis de Ahs. Comment ? Je ne sais pas exactement ! Mais Ibrahim Aboukalil était à la tête. Ce n’était pas très transparent. Il n’y a pas eu d’appel d’offres, puisque c’est un agrément délivré par le ministre des Transports. Karim Wade est intervenu pour l’obtention’’, a soutenu le témoin sous le feu roulant des questions de l’assesseur. Mamadou Pouye qu’il a désigné comme ‘‘le gestionnaire de Ahs, qui lui a demandé des sommes dépassant la centaine de millions, entre 2002 et 2007’’, n’a pas eu le temps de se défendre. La séance reprend cet après-midi à 15 heures.

Ousmane Laye Diop (stagiaire)

 

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